Que ferait Hussein ?
Muharram, le premier mois du calendrier islamique, est observé à travers le monde musulman de diverses façons, allant de la joie à la tristesse, et pour différentes raisons. Les sunnites marquent l’Achoura, littéralement « le dixième » jour, en jeûnant ce jour-là et la veille afin de montrer leur gratitude envers Dieu pour avoir détruit Pharaon et avoir sauvé Moïse ainsi que les fidèles. Pour les chiites, c’est un moment de tristesse et de deuil, exprimé de différentes façons, et l’Achoura est considéré comme le jour où Hussein ben Ali, petit-fils du prophète Mohammed, a été tué à la bataille de Kerbala par les forces du calife Yazid ibn Mu’âwiya. Hussein est vénéré à la fois par les sunnites et par les chiites. Bien que cet événement tragique se soit produit il y a environ 1 400 ans, il sert malheureusement d’excuse pour perpétuer le cycle de la spirale de meurtres et d’assassinats confessionnels à travers le Moyen-Orient.
Les commentateurs laïcs et les militants anti-religion ont tendance à pointer la religion comme une des principales causes de violence (Richard Dawkins dans The God Delusion, par exemple) et, à première vue, ils semblent marquer un point. Ces derniers jours, des chiites ont été abattus par des terroristes en Arabie saoudite et en Iran, les Israéliens et les Palestiniens observent les perspectives d’une Troisième Intifada en Terre Sainte, et la guerre contre l’État islamique (EI), lequel porte bien mal son nom, se poursuit avec la bénédiction de l’Église orthodoxe russe. Pour ma part, je soutiens que les gens tuent des gens pour toutes sortes d’idéologies, y compris la laïcité acharnée : il suffit de penser à Staline ou à l’expérience de la Turquie et sa junte militaire s’érigeant en « gardiens » de la laïcité kémaliste. Néanmoins, il est vrai que les gens meurent et tuent pour leurs croyances religieuses, que leurs croyances soient ou non, même indirectement, liées d’une manière ou d’une autre à la religion en question.
Par exemple, au lieu de tirer une signification de la mort d’Hussein à la bataille de Kerbala, reconnue comme une tragédie par tous les musulmans, et d’en tirer les enseignements pour s’assurer que de telles violences, manœuvres politiciennes et divisions intracommunautaires ne conduisent plus jamais à ce que des gens perdent la vie inutilement, l’événement lui-même a été impitoyablement politisé. Il est notoire que les politiques irakiens en particulier manipulent les événements historiques et s’en prennent à toute une communauté qui n’a eu aucune influence sur les vivants et les morts d’il y a plus d’un millénaire. La façon dont l’ancien Premier ministre Nouri al-Maliki a décrit des manifestants pacifiques, majoritairement sunnites, en 2013, en est un exemple flagrant. Dans un discours télévisé, Maliki, en toute connaissance de cause, avait déclaré que le « crime perpétré contre Hussein n’est pas terminé » et que « ceux qui ont tué Hussein [...] sont présents ici aujourd’hui, et les partisans de Yazid et d’Hussein s’affrontent encore une fois ».
Puisque des politiques tels que Maliki, occupant les plus hautes fonctions du pouvoir et de l’autorité en Irak, tiennent des discours de haine religieuse comme celui-ci, est-ce une surprise que les miliciens chiites comme celui qui s’est baptisé Abu Azrael (l’ange de la mort) puissent littéralement couper avec un katana des morceaux de chair humaine sur un sunnite pendu, comme s’il s’agissait d’un kebab ? De manière tout à fait contraire à l’image romantisée que l’on trouve communément dans la presse d’un homme qui est très probablement un criminel de guerre, Abu Azrael est même apparu à la télévision et a dit que toute personne qui critique les unités de mobilisation populaire chiites (UMP) « est un terroriste », ce qui inclurait évidemment de nombreux commentateurs et analystes du monde entier. En Irak, le terrorisme est un crime capital. Ces problèmes ne se sont pas résolus avec la destitution de Maliki, puisque l’incident susmentionné du kebab humain s’est produit sous le Premier ministre Haïder al-Abadi, lequel a également été photographié embrassant Abu Azrael sur le front, le plus grand signe de respect dans la culture arabe.
Il relève de la responsabilité commune des autorités religieuses en Irak, sunnites et chiites, de dénoncer les déclarations controversées et dangereuses des hommes politiques. Bien que le groupe EI dispose évidemment de ses propres idéologues qui encouragent la haine, la mort et la destruction de tous (pas exclusivement des chiites), les autorités religieuses traditionnelles sunnites ont dénoncé le groupe EI, condamné leurs actions et décrété illégitime leur « État ». D’autre part, et avec des exceptions notables comme l’ayatollah al-Sarkhi, qui s’est dressé contre le sectarisme endémique de Maliki et a été attaqué avec des hélicoptères de combat, l’ayatollah Sistani, auquel les UMP doivent leur existence, n’a pas dénoncé les propos incendiaires qui ont conduit à la mort de manifestants. Le message à retenir étant que si vous défiez ouvertement un politicien soutenu par l’Iran comme Maliki, que vous soyez une autorité religieuse chiite ou non, vous serez pris pour cible. En Irak, comme dans beaucoup d’autres endroits au monde, le pouvoir n’a pas de confession ou de croyance, et vous serez réduit au silence si vous vous dressez contre les détenteurs du pouvoir – le tout justifié par, et au nom de, la propagation de la vengeance incessante de la mort d’Hussein.
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Alors que les musulmans observent l’Achoura, ils doivent d’abord se demander : Hussein approuverait-il tout ce sang versé en son nom ? Ou se tournerait-il vers Dieu, face blême, cherchant refuge de ceux qui voudraient souiller sa mémoire en commettant des horreurs indicibles dans le but de le venger ? Hussein s’est opposé à la puissance dominante de son époque, car il croyait que c’était la bonne chose à faire, et parce qu’il estimait que des personnes étaient opprimées et qu’il était de sa responsabilité de se dresser pour eux. Il n’a certainement pas commis d’atrocités ni décidé de couper des bandes de chair sur le corps de ses ennemis, et il n’a pas attaqué ni incendié les quartiers de ceux avec lesquels il était en désaccord, comme cela s’est produit dans le quartier al-Adhamiya à Bagdad en mai dernier, sans que cela fasse grand bruit dans les médias internationaux.
Si Hussein vivait aujourd’hui, il aurait résisté contre la tyrannie des tyrans omniprésents au Moyen-Orient. Il aurait résisté avec le peuple syrien contre la dynastie Assad, avec les Baloutches et les Arabes persécutés en Iran et avec tous les opprimés du monde entier. Je suis persuadé que la première chose qu’il dirait aujourd’hui à ceux qui croient le venger serait : « Pas en mon nom ».
– Tallha Abdulrazaq est chercheur à l’Institut de sécurité et de stratégie de l’université d’Exeter. Il a été récompensé par le Young Researcher Award de la chaîne Al Jazeera. Vous pouvez consulter son blog à l’adresse thewarjournal.co.uk et le suivre sur Twitter (@thewarjournal).
Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.
Photo : un chiite irakien participe à la reconstitution de la bataille de Kerbala dans le cadre des commémorations de l’Achoura, le 4 novembre 2014 à Bagdad (AFP).
Traduction de l’anglais (original) par VECTranslation
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