Que se cache-t-il derrière l’intervention humanitaire russe en Syrie ?
L’Église orthodoxe russe se serait lancée dans l’action communautaire en Syrie, notamment par la mise en place d’associations caritatives et d’initiatives humanitaires locales.
Ce n’est pas surprenant au vu de la plus large implication russe en Syrie. Cet engagement est motivé par les intérêts russes davantage que ceux du régime du président Bachar al-Assad ou de tout autre acteur du conflit.
L’objectif principal de l’intervention de Moscou en Syrie semble être la restauration de son statut de superpuissance. Le relatif retrait des États-Unis, après un engagement sérieux en Syrie, a laissé le champ libre à la Russie, qui peut l’utiliser comme nouvelle plateforme – après l’Ukraine – pour s’opposer à l’Occident.
Renforcer son influence
Bien que la Russie ait semblé initialement engagée à consacrer des ressources importantes à sa campagne en Syrie, sa stratégie finale consiste à réduire au minimum son implication, tout en utilisant les outils à sa disposition pour renforcer son influence dans le pays et améliorer sa position sur la scène internationale.
Le régime d’Assad est l’un de ces outils. Beaucoup interprètent les actions de la Russie en Syrie comme visant à soutenir le régime, mais en réalité, ce sont les institutions de l’État syrien que soutient la Russie, en particulier les services de sécurité et l’armée. La Russie est allée jusqu’à créer un nouveau corps au sein de l’armée, tout récemment le cinquième corps, et à nommer du personnel loyal à Moscou à des postes clés.
En cherchant à garantir la viabilité et la loyauté des institutions syriennes, la Russie s’assure une influence durable en Syrie, quelle que soit la personne qui dirige le pays.
L’objectif principal de l’intervention de Moscou en Syrie semble être la restauration de son statut de superpuissance
L’Iran est un autre outil. La Russie se présente comme étant en mesure de rétablir l’ordre dans le chaos créé par le régime syrien et l’Iran par l’intermédiaire de milices pro-régime qui se seraient livrées à des actions agressives envers les Syriens, telles que des pillages.
Moscou passe sous silence son propre rôle dans ce chaos. Elle a eu recours à des tactiques, telles que le déploiement de la police militaire sunnite tchétchène dans des zones reprises aux rebelles syriens, pour les protéger contre les pillages, montrant ainsi aux habitants sunnites que la Russie est à leurs côtés.
Cela contraste vivement avec la présence de l’Iran, qui a créé des tensions avec les communautés locales, lesquelles considèrent la République islamique comme un étranger sur le plan culturel par rapport à la Russie.
Garder le dessus
Ces développements sur le terrain se répercutent dans les milieux politiques. Lors de la célébration du 200e anniversaire de l’Institut russe d’études orientales à Moscou en octobre, l’ambassadeur d’Iran en Russie a reçu une médaille spéciale soulignant leur partenariat.
Ainsi, la Russie récompensait l’Iran pour son soutien tout en rappelant à Téhéran qui a le dessus dans cette relation. La raison de l’envoi de ce message est que, malgré la position de force de la Russie en Syrie, elle n’est pas en mesure de dicter à l’Iran ce qu’il doit faire.
Quelques semaines après l’événement à l’Institut d’études orientales, le Premier ministre israélien Benyamin Netanyahou a rencontré le président russe Vladimir Poutine et a annoncé que la Russie, à elle seule, ne pouvait pas chasser l’Iran de Syrie, laissant entendre qu’un soutien israélien pourrait être nécessaire.
Malgré la position de force de la Russie en Syrie, elle n’est pas en mesure de dicter à l’Iran ce qu’il doit faire
Le ciblage par Israël du personnel et bases militaires iraniens en Syrie aide la Russie à garder la main sur l’Iran.
La Russie se sert en outre de son Église orthodoxe pour s’attirer le soutien de la minorité chrétienne de Syrie alors que l’Iran a gagné en influence dans le pays. Cette influence s’est manifestée à la fois dans les combats contre les milices pro-régime, dans les associations caritatives iraniennes et dans les initiatives culturelles destinées à attirer les Syriens issus de milieux défavorisés.
Néanmoins, des entretiens que j’ai récemment menés à Istanbul avec des politiciens de l’opposition syrienne et des leaders des Frères musulmans ont révélé que, même parmi certaines factions de l’opposition syrienne, la Russie est considérée comme le moindre mal comparé à l’Iran. Les Frères musulmans syriens n’ont pas fui l’idée de conclure un accord de partage du pouvoir en Syrie si la Russie négociait un tel accord.
Négocier le conflit
Dans cette course russo-iranienne, si Moscou parvient à rallier les communautés alaouites et chrétiennes en Syrie et à attirer les sunnites, alors il ne restera à l’Iran qu’une petite partie de la population le préférant à la Russie.
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La Russie n’hésitera pas à délaisser ses outils quand elle sentira que son implication en Syrie la met sur la voie qui lui permettra d’être considérée comme le médiateur du conflit.
À court terme, la Russie ne sera probablement pas prête à abandonner le régime d’Assad ou sa coopération avec l’Iran – mais les perspectives à long terme de cet accord à trois voies ne sont pas garanties.
- Lina Khatib est à la tête du programme Moyen-Orient/Afrique du Nord de Chatham House. Vous pouvez la suivre sur Twitter : @LinaKhatibUK.
Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.
Photo : une Syrienne bénéficie d’une consultation médicale auprès d’une équipe médicale russe, à l’est de la province d’Idleb, le 23 octobre 2018 (AFP).
Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.
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