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Si vous voulez la paix en Libye, évitez la partition et acceptez le partage du pouvoir

Le projet de partition de la Libye d’un assistant de Trump devrait être remplacé par une conversation plus franche sur la décentralisation et le partage du pouvoir économique

Sebastian Gorka a toujours été au sommet de la liste des conseillers controversés que Trump a amenés avec lui à la Maison-Blanche en raison de son passé en tant que politicien hongrois aux sympathies antisémites et son idée selon laquelle l’islam lui-même est la source du terrorisme.

La partition est parfois présentée comme la seule solution capable d’éviter de nouveaux conflits, mais dans le cas de la Libye, elle pourrait être justement le déclencheur d’un conflit bien pire

Cette semaine, son nom est associé à un plan visant à diviser la Libye selon les trois provinces ottomanes : la Tripolitaine, la Cyrénaïque et le Fezzan, comme l’a signalé le Guardian. Le projet de Gorka, écrit le journal britannique, a été dessiné sur une serviette devant un diplomate européen perplexe.

Ce projet de partition rudimentaire pourrait faire partie de l’approche décontractée de nombreux membres de l’administration Trump en ce qui concerne l’élaboration des politiques et, de ce fait, il ne faut pas trop insister là-dessus.

Bien que Gorka puisse être en lice pour le poste d’envoyé spécial des États-Unis en Libye, d’autres noms circulent également et l’ancien éditeur de Breitbart pourrait être victime de la marginalisation croissante de ceux qui sont venus à la Maison-Blanche sous l’égide de Steve Bannon, principal idéologue de Trump, aujourd’hui évincé du Conseil de sécurité nationale.

Caricature : Trois façons de partager le Moyen-Orient

Néanmoins, le projet de Gorka soulève deux problèmes qui méritent d’être discutés. Tout d’abord, en examinant les politiques des acteurs extérieurs concernant la Libye, il faut regarder la relation entre la poursuite de l’intégrité territoriale de la Libye et la poursuite de la désescalade. La partition est parfois présentée comme la seule solution capable d’éviter de nouveaux conflits, mais dans le cas de la Libye, elle pourrait être justement le déclencheur d’un conflit bien pire.

Le second problème qui ressort de cette histoire est que la direction empruntée par la politique américaine en Libye n’est toujours pas claire, trois mois après la prise de fonction de l’administration Trump.

Une conversation intéressante, une mauvaise idée

L’idée que la solution aux problèmes de la Libye est de revenir aux trois provinces ottomanes de Tripolitaine, Cyrénaïque et Fezzan refait surface de temps à autre, principalement de la part d’analystes et de politiciens (souvent de l’ancienne puissance coloniale) qui ont une connaissance superficielle du pays.

L’analyste Geoff Porter a expliqué pourquoi c’est une mauvaise idée, mais il suffit de dire que la partition a été essayée à côté au Soudan et qu’elle n’a pas engendré la paix, mais plutôt l’inverse.

Ce que Gorka a esquissé pour le diplomate européen (MEE/Katie Miranda)

Plus important encore, les frontières des trois régions de la Libye ne sont pas claires, en particulier celles de la Tripolitaine à l’ouest et de la Cyrénaïque à l’est. Dans la plupart des cas, les Libyens dessineront cette frontière à l’est de Syrte, au milieu du Croissant pétrolier, la région par laquelle la plupart des exportations de pétrole libyennes transitent et qui a fait l’objet de plusieurs offensives militaires ces dernières semaines.

Si les États-Unis, l’Europe et les voisins de la Libye veulent contribuer à stabiliser la Libye, ils devraient soutenir les Libyens qui discutent de la façon de partager la richesse du pays et non de se battre pour elles

En somme, la mise en place de la partition impliquerait de déclencher un conflit sur la frontière entre deux des trois nouveaux États d’une région qui a déjà vu des combats pour le contrôle des principales ressources naturelles, la seule richesse de la Libye. Parler de partition peut être très intéressant pour les mercenaires et les marchands d’armes, mais devrait être évité par les artisans de paix.

Au lieu de prendre des décisions sur l’intégrité territoriale de la Libye au nom des Libyens, la communauté internationale devrait soutenir les initiatives menées par les Libyens qui s’attaquent aux principaux moteurs du conflit, notamment la répartition équitable des ressources. Si les États-Unis, l’Europe et les voisins de la Libye veulent contribuer à stabiliser la Libye, ils devraient soutenir les Libyens qui discutent de la façon de partager la richesse du pays et non de se battre pour elles.

Partager la richesse

Depuis quelque temps, l’ancien ministre de la Stabilisation et le directeur de la Banque mondiale pour le pays, Ahmed Jehani, de jeunes économistes et analystes libyens comme Hammam Alfasi, Abdul Rahman al-Ageli et Hala Bugaigis proposent des projets d’accord économique libyen pour que l’accord politique libyen soit réalisable.

L’accord économique établirait des principes fondamentaux axés sur l’égalité d’accès aux ressources par tous les citoyens afin de promouvoir les droits et de venir à bout de l’État rentier établi par Kadhafi. Il sauvegarderait essentiellement l’unité des institutions souveraines clés comme la National Oil Company et la Banque centrale en décentralisant largement le pouvoir politique et économique localement.

Parallèlement à la répartition de la richesse, de nombreux Libyens se sont attaqués à la question du transfert du pouvoir du centre vers la périphérie, soit par une décentralisation axée sur les conseils municipaux ou un fédéralisme basé sur des régions.

La deuxième idée est au cœur du mouvement fédéraliste très actif en Cyrénaïque et auprès de membres élus à la Chambre des représentants à Tobrouk. Le plan le plus détaillé en anglais est encore celui de Karim Mezran et de Mohammed Eljarh intitulé « Case for a New Federalism in Libya ».

Les fédéralistes de la Cyrénaïque sont l’une des principales factions soutenant le général Khalifa Haftar, mais on ne sait toujours pas comment leur objectif d’autonomie accrue pour la région de l’Est s’inscrit dans les projets de Haftar consistant à contrôler l’ensemble du pays.

La décentralisation au niveau municipal a eu de meilleures chances politiques. La révolution libyenne en 2011 était, entre autres, une « révolution municipale » avec des conseils militaires basés sur les villes et des groupes armés communautaires menant la lutte contre Kadhafi sous l’égide du Conseil national de transition.

De même, après la chute de Kadhafi, les gouvernements à Tripoli ont toujours été faibles. Certains, comme le Conseil actuel de la présidence dirigé par Fayez Seraj, étaient plus faibles que d’autres.

À LIRE : Comment stabiliser la Libye si Haftar refuse de jouer le jeu

Le pouvoir est principalement au niveau local, à la fois en raison des milices qui sont principalement perçues comme des oppresseurs par la population, et à cause d’un mélange entre les conseils municipaux élus et un tissu social complexe qui comprend des notables, des militants et des aînés des tribus.

La partition risque d’encourager l’appétit des seigneurs de la guerre et des puissances extérieures, tandis que la décentralisation du pouvoir pourrait reconnaître que l’État et la citoyenneté en Libye doivent être construits depuis la base, sans porter atteinte à la nécessité d’avoir des institutions centrales, et les construire à la place sur des fondements sociaux et politiques plus solides.

Arbitre final

La Libye est bien plus compliquée que les trois régions que certains analystes ou décideurs étrangers ont pu découvrir sur Wikipédia. Reconnaître cette complexité est un premier pas, utiliser les énergies présentes au niveau local pour favoriser une réconciliation plus profonde et la stabilisation devrait être le second.

Que ce soit sur une serviette ou sur une carte appropriée, il n’incombe pas aux décideurs occidentaux de décider si le monde a besoin d’une ou de trois "Libyes"

En fin de compte, il appartient aux Libyens de décider de l’avenir de leur État. Que ce soit sur une serviette ou sur une carte appropriée, il n’incombe pas aux décideurs occidentaux de décider si le monde a besoin d’une ou de trois "Libyes". Cependant, il serait naïf de ne pas tenir compte du rôle que les pays étrangers, en particulier les États-Unis, peuvent jouer en soutenant simplement des idées concernant l’avenir de la Libye et c’est là que la relation entre les idées de Gorka et la politique étrangère américaine entre en jeu.

Le rôle des États-Unis en Libye au cours des trois dernières années devrait être bien compris pour l’efficacité de la future politique américaine. L’envoyé spécial sortant des États-Unis, Jonathan Winer, a dû trouver le juste équilibre entre les deux tentations opposées de la négligence et de l’ingérence, soutenant une stratégie politique tout en menant la seconde intervention militaire américaine en Libye en seulement cinq ans.

Loin d’être parfaite, la politique des États-Unis au cours des trois dernières années a maintenu unis les efforts politiques pour concilier la Libye orientale et occidentale avec les mesures nécessaires pour éradiquer le groupe de l’État islamique (EI). C’est la politique des États-Unis qui a protégé les institutions économiques telles que la Banque centrale et la National Oil Company tout en sévissant contre ceux, comme Ibrahim Jadhran, qui cherchaient à vendre du pétrole de leur propre chef.

Le président Obama lui-même a reconnu sa négligence en Libye après 2011, mais il convient de rappeler que ce ne sont pas les armes américaines qui ont alimenté la guerre civile de 2014 et qu’il serait difficile de trouver une marionnette américaine parmi les seigneurs de la guerre de Libye.

Le président Trump n’a pas encore donné son point de vue sur la Libye, mais son arrivée au pouvoir a suscité des attentes selon lesquelles il pourrait modifier la politique américaine envers Haftar en raison de ses références anti-islamistes. Ces espoirs reposaient sur la présence au sein de l’administration de faucons anti-islamistes comme l’ancien conseiller à la sécurité nationale Michael Flynn et des idéologues comme Gorka et son maître, Steve Bannon.

Ce groupe est maintenant engagé dans un bras de fer manifeste avec des fonctionnaires de l’administration avec une formation militaire tel que le secrétaire à la Défense James Mattis ou le nouveau conseiller à la sécurité nationale, H.R. McMaster. Le « plan sur la serviette » de Gorka n’est qu’un exemple de la superficialité des idéologues et l’on espère que les autres membres de ce groupe ne trouveront pas la Libye sur une carte.

Plus important encore, il vaut la peine d’espérer que les décideurs américains traiteront la question du « nombre de "Libyes" » en mettant l’accent sur ce qui peut vraiment favoriser la désescalade et la réconciliation plutôt qu’en s’appuyant sur des projets malavisés.

- Mattia Toaldo est chargé de recherche au Conseil européen des affaires étrangères.

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Photo : le conseiller du président Trump Sebastian Gorka participe à une discussion lors de la Conservative Political Action Conference (Conférence d’action politique conservatrice) au Gaylord National Resort and Convention Center, en février 2017 (AFP).

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

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