Un propre mur d’apartheid pour le Liban ?
On a récemment rapporté au Liban que l’armée avait commencé à construire un mur de « sécurité » – ponctué de tours de guet – autour du périmètre d’Ain al-Hilweh, le plus grand camp de réfugiés palestinien du pays, à la périphérie de la ville de Saïda.
Comment justifier l’érection d’un mur parsemé de tours de guet autour d’un camp abritant des dizaines de milliers de personnes, dont la grande majorité ne sont pas des djihadistes militants ?
Bien que le gouvernement libanais, pour des raisons sectaires, n’aime pas vraiment compter les habitants de son pays – le dernier recensement national a été effectué en 1932 pendant le mandat français –, on estime que plus d’un demi-million de réfugiés palestiniens sont présents, en grande partie dans les douze camps de réfugiés officiels du Liban.
Au cours des dernières années, la population palestinienne du Liban s’est élargie en raison de la guerre civile en Syrie voisine et de l’absorption des réfugiés palestiniens de ce pays, devenus ainsi doublement réfugiés.
La fureur des murs
Naturellement, la nouvelle du mur d’Ain al-Hilweh a causé un tumulte auprès des secteurs de la société plus attachés aux principes – particulièrement étant donné la proximité du propre mur d’apartheid d’Israël, juste de l’autre côté de la frontière méridionale du Liban.
Les médias israéliens se sont vite emparés de l’histoire du mur, comme cela a tendance à se produire chaque fois qu’il est possible d’accuser les Arabes de traiter les Palestiniens aussi mal qu’Israël.
Alors que la construction sur le terrain est interrompue pour le moment, un article publié le 25 novembre dans le journal libanais The Daily Star a soutenu que l’armée libanaise était engagée à mener à bien le projet.
Ce n’est pas comme si l’État libanais avait mieux à faire – comme former un gouvernement, résoudre la crise des ordures ou travailler à fournir plus de quelques heures d’électricité par jour à certaines parties du pays
Cinq jours plus tard, le même journal a rapporté qu’un groupe d’érudits religieux libanais et palestiniens avait émis une fatwa contre cette entreprise et que le chef des services de renseignement militaire dans le sud du Liban avait « affirmé que les travaux rester[aient] à l’arrêt alors que "les factions palestiniennes prépar[eraient] un plan de sécurité pour contrôler la situation à Ain al-Hilweh, remettre des fugitifs et prévenir tout acte suspect qui pourrait menacer la sécurité au Liban et dans le camp" ».
Pour sûr, Ain al-Hilweh est depuis longtemps considéré comme un lieu suspect – un foyer d’activité djihadiste sans lois et saturé d’armes généralement impénétrable pour les forces de sécurité libanaises.
Cependant, la tradition des forces de sécurité consistant à laisser accidentellement les djihadistes s’échapper de prison ou à perdre leurs traces soulève la question de savoir à quoi servirait finalement un mur anti-« fugitifs » autour d’Ain al-Hilweh.
Mais attendez, ce n’est pas comme si l’État libanais avait mieux à faire – comme former un gouvernement, concevoir une solution à long terme à la crise des ordures ou travailler à fournir plus de quelques heures d’électricité par jour à certaines parties du pays.
Et de toute façon, les murs font fureur ces jours-ci sur la scène internationale. De plus, la monstruosité d’Ain al-Hilweh s’accorderait parfaitement avec la campagne post-guerre civile du Liban visant à recouvrir autant d’espace que possible avec du béton.
Une nouvelle pierre à l’édifice
En fin de compte, cependant, il n’y a pas matière à rire. Comment justifier l’érection d’un mur parsemé de tours de guet autour d’un camp abritant des dizaines de milliers de personnes, dont la grande majorité ne sont pas des djihadistes militants ?
Cette mesure punitive viendrait s’ajouter aux près de sept décennies de formes variées de discriminations contre les réfugiés palestiniens au Liban. Évidemment, la faute originelle pour le malheur des réfugiés réside dans la décision prise par Israël en 1948 de s’inviter sur la terre d’autres personnes.
Se servant du droit au retour indéniablement légitime des Palestiniens comme d’une excuse pour refuser aux Palestiniens leurs droits au Liban, l’État libanais a exclu les citoyens palestiniens de la citoyenneté et leur a interdit d’être propriétaires ou de travailler dans toute une liste de professions, notamment dans les domaines de la médecine et du droit.
De même, bien entendu, les Israéliens n’ont pas laissé les réfugiés palestiniens tranquilles pendant toutes ces années. Ain al-Hilweh a par exemple été attaqué à diverses reprises. Dans son livre Pity the Nation (Liban, nation martyre), Robert Fisk, correspondant chevronné pour le Moyen-Orient, décrit un camp « pulvérisé » par les bombardements aériens pendant l’invasion israélienne du Liban en 1982 – une affaire qui a coûté la vie à environ 20 000 Libanais et Palestiniens, essentiellement des civils.
Avançons jusqu’à un autre raid aérien israélien contre Ain al-Hilweh, en 1987. Comme le constate Fisk, la même vieille rengaine a été répétée : des « cibles terroristes » avaient été touchées. Sa visite à l’hôpital Hammoud de Saïda raconte une autre histoire :
« [Une] fillette palestinienne de 9 ans est allongée sur un lit... Elle s’appelle Jihan Abu Greif. "Les avions sont arrivés, la colonne de notre maison a cédé et est tombée sur mon pied." Elle commence à pleurer. "S’il vous plaît, ne prenez pas ma jambe gauche en photo." Je ne le peux pas. Elle n’a pas de jambe gauche. "Nous l’avons enlevée ce matin, explique le médecin. Pouvez-vous imaginer ce que cela signifie ? C’est une fille, elle voudra se marier et elle n’a qu’une jambe." »
Une criminalisation contre-productive
Tant que nous imaginons des choses, nous pourrions envisager les effets potentiels sur les populations de réfugiés palestiniens de plusieurs décennies d’abus pluridimensionnels et de droits pour l’essentiel inexistants.
Au Liban, à l’heure actuelle, il y a plus que suffisamment de murs pour séparer les gens
On peut présumer sans crainte que la criminalisation flagrante d’Ain al-Hilweh et de ses habitants avec la construction d’un mur de « sécurité » pourrait en réalité – seulement peut-être – contribuer à un déclin de la « sécurité » libanaise (qui, rappelons-le, est en premier lieu un oxymore manifeste).
Après tout, être traité comme l’ennemi n’encourage vraisemblablement pas les gens à œuvrer excessivement en faveur de la sécurité et du bien-être du système.
Au Liban, à l’heure actuelle, il y a plus que suffisamment de murs pour séparer les gens – principalement au profit des membres de l’élite sectaire qui tirent parti depuis des décennies de l’effusion de sang et des conflits internes.
Il va sans dire qu’il n’est nul besoin d’en construire un de plus.
- Belen Fernandez est l’auteure de The Imperial Messenger: Thomas Friedman at Work (Verso). Elle collabore à la rédaction du magazine Jacobin.
Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.
Photo : photo datant du 21 novembre 2016 du camp de réfugiés palestiniens d’Ain al-Hilweh, près de la ville libanaise de Saïda, dans le sud du pays, où l’État envisageait de construire un mur (AFP).
Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.
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