ANALYSE : Bahreïn et Israël, un îlot d’amitié dans un océan d’hostilité
MANAMA – Une délégation israélienne a été reçue à Manama. Des projets existent visant à détendre les règles concernant les citoyens bahreïnis en visite à Israël, ainsi que des plans pour la construction conjointe d’un musée israélo-bahreïni en faveur de la « tolérance religieuse ». Encore plus significatif sans doute, le roi de Bahreïn aurait dénoncé le boycott arabe d’Israël.
Après des décennies d’opposition farouche au sionisme et d’un soutien sans borne à la cause palestinienne, le très petit Bahreïn semble prêt à devenir le premier État du Golfe à normaliser ses relations avec Israël. Une source diplomatique affirme d’ailleurs qu’une annonce officielle pourrait être faite l’année prochaine.
La raison principale d’un tel retournement est à chercher de l’autre côté du Golfe, à Téhéran, et dans ce que l’élite musulmane sunnite du Bahreïn voit comme la menace croissante de l’Iran chiite et de son mandataire libanais – le Hezbollah. Or, ces initiatives menacent de provoquer de nouvelles scissions au sein d’un pays déjà confronté à un schisme entre les souverains et leur population, majoritairement musulmane chiite.
« Israël ne menace pas notre sécurité, il ne conspire pas contre nous. Mais l’Iran, certainement. »
- Une source du gouvernement de Bahreïn
Alors que d’autres États du Golfe ont, avec les fonctionnaires israéliens, convenu – en secret – d’éviter critiques et mécontentement public, Bahreïn a récemment opéré dans la plus grande transparence. Effectivement, le gouvernement a utilisé les divisions frappant la société pour justifier ses initiatives – il s’agit de protéger la sécurité nationale du pays de l’agression et de l’infiltration iraniennes.
Une source gouvernementale diplomatique bien informée, très au fait des récents pourparlers entre Israël et Bahreïn, a révélé à Middle East Eye que des contacts de haut niveau ont été établis entre les officiels des deux pays, pour promouvoir des visites réciproques entre des hommes d’affaires et des personnalités sociales et religieuses influentes. Ce qui, selon la source, sera bientôt suivi par l’annonce officielle de contrats commerciaux entre les deux pays.
Cette source a également révélé que ces initiatives faisaient partie d’une nouvelle réalité au Moyen-Orient, voulant par exemple que le président de la Syrie, Bachar al-Assad, ne soit plus considéré par tous comme un paria.
« Israël ne menace pas notre sécurité, il ne conspire pas contre nous – Mais l’Iran, certainement », a indiqué le fonctionnaire.
« Le nouveau président français avait raison quand il a déclaré qu’Assad n’était pas un ennemi de la France et que le renverser n’était pas une priorité – nous croyons au même principe [concernant Israël], parce que nous protégeons prioritairement les intérêts de notre pays ».
Tout cela se passe dans un contexte où Jérusalem est encore appelée « ville occupée », et où les imams sont depuis des années encouragés par le gouvernement à en appeler à l’anéantissement d’Israël.
Nouvelle normalité
C’est un tweet, en septembre l’an dernier, qui a donné le coup d’envoi public à la course à de meilleures relations.
De nombreux Bahreïnis ont été choqués de lire que le ministre des Affaires étrangères, Cheikh Khalid ben Ahmed al-Khalifa, avait présenté à Israël ses condoléances, en anglais, lors de la mort de son ancien président et Premier ministre, Shimon Peres.
Les États du Golfe n’ont jusqu’à présent aucune relation diplomatique officielle, ni de contact avec Israël ; ils n’ont jamais formulé de commentaires sur les événements se déroulant en Israël et ils affichent leur sympathie avec toutes les personnalités du gouvernement.
Traduction : « Repose en paix, président Shimon Peres, homme de guerre et homme d’une paix toujours insaisissable au Moyen-Orient »
Deux mois plus tard, un clip vidéo a été partagé sur un réseau social, où l’on voit des Bahreïnis danser en costume national avec des rabbins, au son d’une chanson intitulée « Il est vivant, le peuple d’Israël », le jour où ils célébraient à Manama la fête juive de Hanoukka.
Les autorités ont dit que cet événement était un « événement spécial » : une visite restreinte d’hommes d’affaires juifs-américains finançant les investissements locaux.
Le 11 mai cette année, Manama a connu la première visite d’un fonctionnaire israélien, lors du 67e congrès de l’autorité mondiale du football, la FIFA.
Le président de l’Association de football de Bahreïn, Cheikh Ali ben Khalifa al-Khalifa, a confié au journal local al-Bilad : « Je suis absolument certain qu’accueillir le congrès de la FIFA fut plus significatif pour nous que d’accorder l’entrée à Bahreïn de trois membres de l’association de football israélienne. Nous prenons toujours beaucoup de recul sur la situation ».
La semaine dernière, le prince Nasser de Bahreïn, a présenté au nom de son père, le roi Hamad, la déclaration sur la tolérance religieuse, formulée par le Bahreïn au Musée de la Tolérance à Los Angeles – décrit par le L.A. Times comme une « institution éhontément partisane d’Israël ».
De leur côté, lors de leur visite à Canaan, en février, les journaux israéliens ont déclaré la semaine dernière que le roi de Bahreïn avait dénoncé le boycott arabe d’Israël dans des commentaires adressés au rabbin Abraham Cooper, directeur de Global Social Action au Centre Simon Wiesenthal.
Dimanche, le ministère israélien des Affaires étrangères a visiblement soutenu ces déclarations, en postant sur son compte Tweeter en arabe : « Le roi de Bahreïn, Hamad ben Isa el-Khalifa, a dénoncé le boycott arabe d’Israël et confirmé que les citoyens bahreïnis sont désormais libres de visiter #Israël ». Le tweet a été prestement effacé.
Le rabbin Abraham et son partenaire, Marvin Hier, ont tous deux cette année rendu visite à Manama, où Cooper a rencontré le roi de Bahreïn pour discuter de l’éventuelle construction d’un musée de la tolérance religieuse à Manama, indique un fonctionnaire bahreïni.
Ksenia Svetlova, député de l’Union sioniste, s’est demandée sur Tweeter : « C’est parfait. Espérons tout de même que cette nouvelle de dernière heure ne sera pas infirmée plus tard. Et, au fait, qu’en est-il des citoyens israéliens visitant Manama ? »
C’est parfait. Espérons tout de même que cette nouvelle de dernière heure ne sera pas infirmée quelques temps plus tard. Et, au fait, qu’en est-il des citoyens israéliens visitant Manama ?
L’opposition monte
De telles ouvertures n’ont pas été très populaires auprès de nombre de Bahreïnis, en particulier les condoléances présentées à Israël suite au décès de Peres.
Des comptes Tweeter bahreïnis ont exprimé la colère et le mécontentement provoqués par les commentaires du ministre des Affaires étrangères, qui a déclaré que non seulement ils excusaient l’occupation israélienne de terres palestiniennes, mais aussi les crimes de guerre commis par Peres au Liban et en Palestine.
Khalel a déclaré : « Comment pourrait-il reposer en paix alors que les pleurs des mères qui ont perdu leurs enfants le poursuivent jusque dans leur tombe ? Comment pourrait-il reposer en paix alors que crie vengeance le sang des martyrs au Liban et en Palestine ».
Khalil Bhazaa a déclaré : « Vous offrez vos condoléances à une personne qui a commis le massacre de Cana [pendant la guerre libanaise] ».
« Comment osez-vous présenter vos condoléances à une personne qui a participé à l’expulsion d’une population arabe de sa patrie d’origine ?
« Vous offrez vos condoléances à un homme qui a organisé une occupation ».
Les réseaux sociaux ont été abreuvés de mépris, suite à la visite israélienne au congrès de la FIFA, avec le hashtag #Bahreïn_refuse_la normalisation. Douze groupes de la société civile se sont réunis pour lancer une « association visant à s’opposer à la normalisation ».
Son chef, Jamal al-Hassan, a déclaré : « Les intérêts du gouvernement de Bahreïn et les objectifs qu’il va atteindre ne valent rien par rapport au sang palestinien ».
Mohammad Khaled, ancien sénateur de Bahreïn et affilié aux Frères musulmans, a tweeté : « Aussi incroyable que cela puisse paraître... le parlement n’a même pas publié une déclaration (une simple déclaration) condamnant la présence israélienne sur le sol de Bahreïn ».
L’opposition à la normalisation n’est pas confinée à une seule partie de la société de Bahreïn. Rasool, de confession chiite, résidant du royaume, a déclaré sur Tweeter : « Il est honteux de voir le drapeau de l’entité sioniste sur le sol de mon pays ».
« Chaque fois qu’ils progressent vers plus de normalisation, mécontentement populaire et bouleversements s’accroissent »
- Nasser al-Fadhala, Frères musulmans
L’imam salafiste de la mosquée de Sabika el-Ansari à Isa, Ibrahim al-Hadi a écrit : « Je n’aurais jamais cru que leur drapeau flotterait un jour au-dessus de la pureté de mon pays. Tiens donc, Bahreïn ; mais pourquoi ? »
Ali al-Fayez, activiste politique d’opposition, a affirmé que la cause palestinienne avait toujours gardé unis les Bahreïnis et que le gouvernement n’était pas représentatif des volontés et orientations politiques du peuple.
Le groupe Frères musulmans au Bahreïn a dénoncé ces initiatives sur les médias sociaux.
Le secrétaire général de l’association et Nasser al-Fadhala, membre du comité exécutif à « la Ligue pour Jérusalem », ont prétendu que le gouvernement violait la constitution, puisqu’elle affirme explicitement son soutien aux causes arabes et islamiques – la cause palestinienne figurant tout en haut de la liste.
« Chaque fois qu’ils progressent vers plus de normalisation, mécontentement populaire et bouleversements augmentent. Ils ne devraient pas violer nos accords avec eux », déplore Fadhala. « Avec le temps, les gens accepteront. »
« Avec le temps, les gens accepteront »
Néanmoins, le gouvernement de Bahreïn poursuit sur son bonhomme de chemin. Un diplomate occidental basé à Bahreïn confie à MEE qu’avant un an, des annonces d’alliances officielles seront certainement publiées.
« Je ne crois pas que nous verrons l’ouverture d’une ambassade israélienne ici, mais nous aurons probablement des visites officielles de la part des ministres du Commerce et des Affaires économiques », prévoit le diplomate.
« Ils diront au bon peuple qu’il est important d’affronter l’Iran et, avec le temps, les gens l’accepteront »
- Un diplomate occidental à Manama
« Je ne dirai pas qu’ils le feront cette année mais, l’année suivante sans aucun doute. Ils diront au bon peuple qu’il est important d’affronter l’Iran et, avec le temps, les gens l’accepteront. »
Entre temps, la pression continue pour que dans l’esprit des Bahreïnis, l’idée d’une normalisation fasse son chemin. Un imam de Riffa, à l’ouest de Bahreïn, rapporte à MEE que le gouvernement a récemment donné l’ordre aux mosquées de mettre un terme à tout discours critique sur Israël.
Reste à voir si les opposants à l’avènement d’une politique pro-israëlienne en tiendront compte.
Traduction de l’anglais (original) par Dominique Macabies.
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