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« Ce n’est pas une erreur » : les Saoudiens accusés de bombarder délibérément leurs alliés yéménites

Selon des soldats de la 22e brigade mécanisée, les attaques aériennes contre leur base à Ta’izz – à plusieurs kilomètres des lignes de front – montrent que les Saoudiens les considèrent comme de nouveaux ennemis
Tour de communication détruite lors des frappes aériennes de la coalition saoudienne à Ta’izz, le 14 novembre (AFP)

TA’IZZ, Yémen – Des commandants et des soldats de l’armée yéménite ont accusé leurs alliés, l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis, de les avoir délibérément ciblés dans des attaques aériennes ; ces accusations contribuent à l’effilochage d’alliances déjà endommagées dans la ville de Ta’izz et au-delà.

Les troupes de la 22e brigade mécanisée, fidèle à Abd Rabbo Mansour Hadi, le président en exil soutenu par les Saoudiens, ont déclaré mardi que deux frappes aériennes saoudiennes avaient touché leurs positions dans leur base principale sur le mont Saber, pour un bilan de six morts et de nombreux blessés parmi leurs effectifs.

Une troisième frappe aérienne a tué deux femmes et un enfant et blessé trois civils près du camp situé dans la région d’al-Arous, sur le mont Saber.

Le camp du mont Saber se trouve à 15 km de la « zone de conflit » de Ta’izz, où la brigade et ses alliés au sein de la « Résistance populaire » combattent le mouvement houthi.

Traduction : « Les forces aériennes saoudiennes ont procédé par erreur à trois attaques aériennes contre des positions des forces pro-Hadi à Ta’izz. Trois soldats ont été tués, deux ont été blessés. Une station radio et un objet civil ont également été détruits. »

L’inspecteur général de l’armée yéménite, Adel al-Qumairi, qui supervise la 22e brigade mécanisée, a déclaré ce mercredi via Facebook : « Je ne crois pas que les frappes aériennes répétées contre les camps militaires soient faites par erreur. Ce n’est pas une erreur ; la question du pourquoi est toujours en attente de réponse. Les choses sont arrivées à un point critique. »

« Toute commission chargée d’enquêter sur ces faits doit donner des réponses claires et transparentes – si ce n’est pas le cas, la commission sera tenue responsable du sang versé par les martyrs », a ajouté Qumairi.

« La coalition n’a aucun prétexte pour cibler notre camp. Il n’y a pas de combats à Saber. Les frappes aériennes nous ont choqués », a affirmé Fares Aqlan, un soldat de la 22e brigade mécanisée.

« Par le passé, les frappes aériennes dirigées par l’Arabie saoudite ont tué des dizaines de nos membres – mais ils se trouvaient en première ligne pendant les combats. Nous pensions qu’il s’agissait d’erreurs. »

« Ce n’est pas une erreur ; la question du pourquoi est toujours en attente de réponse »

– Adel al-Qumairi, inspecteur général de l’armée yéménite

« Cette fois-ci, je le jure, les frappes aériennes n’étaient pas des erreurs. Ni la coalition saoudienne, ni le gouvernement yéménite n’ont commenté l’attaque – je pense qu’ils couvent un plan secret contre Ta’izz. »

Le mont Saber, un poste d’observation d’une importance stratégique qui surplombe la ville de Ta’izz, a été libéré des Houthis l’an dernier.

Aqlan a déclaré que ses forces « combatt[aient] pour Ta’izz et non pour l’Arabie saoudite » et que celles-ci « poursuivr[aient] donc les combats jusqu’à la libération de toute la province ».

Plusieurs dizaines d’activistes ont protesté ce mercredi dans la région d’al-Arous, près du sommet du mont Saber, pour condamner les agissements de la coalition dirigée par l’Arabie saoudite.

De nouveaux plans pour Ta’izz

Un chef militaire de de la 22e brigade mécanisée, s’exprimant sous couvert d’anonymat, a déclaré : « Je ne suis pas un homme stupide. J’ai 51 ans, j’ai passé plus de 25 ans au service de l’armée yéménite et j’ai participé à plus d’une guerre, alors les gens comme moi ne peuvent pas croire que ces attaques étaient des erreurs. Si les Houthis ne nous ont pas tués, les frappes aériennes saoudiennes le feront. »

Il a déclaré que la coalition dirigée par l’Arabie saoudite mettait en œuvre de nouveaux plans à Ta’izz sans se coordonner avec la mosaïque de milices qui composent la « Résistance populaire » et l’armée à Ta’izz, dans la mesure où l’Arabie saoudite considère désormais certains groupes comme ses ennemis.

Les forces pro-gouvernementales à Ta’izz sont divisées entre partisans et adversaires de l’Arabie saoudite. Au cours des dernières semaines, Riyad a désigné le chef du plus grand groupe de combat salafiste à Ta’izz, la brigade d’Abu al-Abbas, comme un terroriste d’al-Qaïda – après avoir armé ses hommes pendant plusieurs années.

À LIRE : Au Yémen, l’ennemi de mon ennemi est mon allié

Tawakkol Karman, une activiste yéménite lauréate du prix Nobel de la paix en 2011, a indiqué au site web Almawqea que ces attaques étaient les dernières en date d’une campagne saoudienne bâclée et mal ficelée contre les Houthis et leurs alliés iraniens.

« Les frappes aériennes ciblent les camps de l’armée nationale et de la résistance à Ta’izz, mais elles ne ciblent pas les dirigeants houthis et leurs combattants », a-t-elle déclaré.

« Je dirais que les frappes aériennes saoudiennes ont tué plus de combattants de l’armée nationale que de Houthis. »

De nombreux militants et journalistes yéménites ont condamné la coalition dirigée par l’Arabie saoudite pour avoir pris pour cible les forces pro-gouvernementales sur le mont Saber et dans d’autres régions.

Les forces de la Résistance populaire ont chassé les Houthis du mont Saber l’an dernier (AFP)

Saad al-Hakimi, activiste et travailleur humanitaire dans la ville de Ta’izz, a indiqué à MEE que les civils faisaient encore les frais de la campagne de bombardement saoudienne.

« Il y a beaucoup plus de civils tués que de Houthis tués – nous savons tous que c’est la vérité, mais certains activistes essaient de l’ignorer pour des raisons de sécurité ou politiques », a ajouté Hakimi.

« Le président Hadi doit réagir aux attaques visant le mont Saber et expliquer aux Yéménites pourquoi c’est arrivé »

– Saad al-Hakimi, activiste

« Le président Hadi et le Premier ministre doivent réagir aux attaques visant le mont Saber et expliquer aux Yéménites pourquoi c’est arrivé. »

En septembre 2017, Human Rights Watch a accusé la coalition dirigée par l’Arabie saoudite de crimes de guerre en raison des attaques illégales qui ciblent des civils au Yémen.

« Aucun membre de la coalition ne peut se déclarer exempt de tout reproche au Yémen tant que chaque membre n’aura pas expliqué son rôle dans des dizaines d’attaques illégales avérées », a affirmé Sarah Leah Whitson, directrice de la division Moyen-Orient et Afrique du Nord de Human Rights Watch.

« On frise l’absurde lorsque la coalition prétend que ses propres enquêtes sont crédibles alors qu’elle refuse de publier ne serait-ce que des informations de base, comme les pays qui ont participé à une attaque ou encore le fait de savoir si quelqu’un a été tenu pour responsable. »

Human Rights Watch a fait état de 58 frappes aériennes apparemment illégales menées par la coalition depuis le début de la campagne ; elles ont tué près de 800 civils et touché des maisons, des marchés, des hôpitaux, des écoles, des entreprises civiles et des mosquées. Certaines attaques pourraient constituer des crimes de guerre.

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

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