Cinéma algérien : une nouvelle vague émerge
MOSTAGANEM, Algérie – « Dire que je suis très heureuse est un euphémisme. Je suis submergée par des émotions intenses qui vont de l’excitation à l’anxiété », a déclaré à Middle East Eye la cinéaste Yasmine Chouikh (34 ans) sur le point de filmer son premier long-métrage à Mostaganem, une ville de province située à 340 kilomètres à l’ouest d’Alger.
Jusqu’à la fin des temps est une comédie sur une femme qui décide d’organiser son propre enterrement, et bien que la cinéaste soit en train d’écrire un nouveau chapitre de sa carrière, l’entreprise la rend très nerveuse. Comme beaucoup de réalisateurs algériens de sa génération, Yasmine Chouikh a commencé par faire des courts métrages « parce que c’était plus facile puisque ça coûte beaucoup moins cher ». Elle a produit El Bab (La porte) et El Djinn, respectivement en 2006 et 2010. Chouikh espère suivre les traces de ses homologues cinéastes avec sa première comédie noire, qu’elle prévoit de sortir en 2017.
L’année 2015 a été une très bonne année pour cette nouvelle génération de cinéastes algériens autodidactes, qui a grandi sans avoir jamais vu l’intérieur d’un cinéma. Leur enthousiasme pour le cinéma a payé avec quelques percées déjà dans le circuit des festivals, et ils souhaitent tous voir refleurir le cinéma algérien autrefois célèbre.
À Marseille, Turin, Montréal et plus récemment à Agadir, le deuxième film de Hassen Ferhani Fi Rassi Rond-Point (Dans ma tête un rond-point) a obtenu des critiques élogieuses de la part du jury de plusieurs festivals internationaux ces derniers mois. Sorti l’été dernier, le documentaire plusieurs fois primé de Ferhani plonge dans la routine quotidienne des employés du plus grand abattoir d’Afrique, situé à Alger.
Pendant ce temps, son ami, le réalisateur Karim Moussaoui (38 ans), avec qui il a cofondé le ciné-club Chrysalide à Alger, était en compétition dans la catégorie court-métrage aux César 2015. Les Jours d’avant, qui montre comment la « décennie noire » de la violence en Algérie a laissé une population déracinée et divisée, a été produit par hasard.
MEE assistait à un atelier d’écriture de scénario au Maroc lorsque nous avons rencontré Virginie Legeay, productrice française. « Elle a lu un brouillon de mon scénario et m’a convaincu d’aller de l’avant », a déclaré Moussaoui, qui écrit maintenant le scénario de son premier long-métrage.
Bien que les productions algériennes restent peu nombreuses et dépendent en grande partie de fonds publics, on peut espérer que ce sera le début de quelque chose de grand. « Nous avons assisté à un renouveau de l’industrie du cinéma algérien ces dernières années. Le volume des productions a légèrement augmenté, il y a davantage de fonds disponibles et l’Algérie est beaucoup plus présente dans les festivals internationaux », a indiqué à MEE Salim Mesbah, porte-parole de l’organisation publique AARC, qui développe et promeut la culture algérienne.
« Après des années d’absence, l’Algérie a rejoint le Marché du film du Festival de Cannes en 2012 et a depuis présenté de nouvelles fictions », a déclaré Mesbah. Au cours des cinq dernières années, l’agence a coproduit 102 productions (72 fictions et 30 documentaires).
Cependant, l’industrie moribonde du cinéma algérien ne peut pas renaître uniquement avec des fonds publics, selon Mesbah. « Cela ne suffit pas. Le secteur privé doit jouer un rôle clé dans la résurgence créative du pays. Le football n’est pas le seul créneau d’affaires », a-t-il déclaré depuis son bureau, installé dans une villa ottomane surplombant la baie d’Alger.
« Renaissance est un terme exagéré compte tenu de la situation actuelle et du manque d’équipes de tournage, d’équipements et de réseaux nationaux de distribution des films. L’industrie émerge à nouveau lentement grâce à une nouvelle génération de cinéastes talentueux qui rendent le cinéma algérien vital et à nouveau tourné vers l’extérieur. Mais il y a beaucoup à rattraper après presque 30 ans de déclin », a déclaré Malek Bensmaïl, cinéaste algérien renommé de 50 ans.
Alors que la Tunisie et le Maroc sont le berceau de plusieurs films internationaux qui ont généré des millions de dollars et créé des emplois, l’Algérie ne dispose toujours pas d’un studio de production cinématographique moderne ou d’un centre de formation cinématographique digne de ce nom. « Les aspirants cinéastes algériens doivent apprendre sur le tas, et faire des stages constitue leur meilleure alternative », a déclaré Mounes Khammar (41 ans), fondateur de Saphina Productions.
« En conséquence, il y a peu de techniciens hautement qualifiés. L’Algérie est donc devenue un eldorado pour les techniciens étrangers, qui font face à des crises de l’emploi dans leur pays d’origine », a-t-il ajouté.
La situation n’a pas toujours été aussi déprimante. « Il fut un temps où l’Algérie a coproduit trois films de Youssef Chahine, l’emblématique réalisateur égyptien, notamment son chef-d’œuvre Le Moineau », a déclaré le cinéaste Salim Aggar, qui a réalisé un documentaire sur l’histoire du cinéma algérien.
La Palme d’Or de l’Algérie
La génération de Chouikh n’était pas encore née lorsque l’industrie cinématographique naissante de l’Algérie a connu un soi-disant âge d’or. Juste après que l’Algérie a obtenu son indépendance de la France, un cinéma indigène a émergé rapidement et elle est devenue l’un des plus grands producteurs de films du monde arabe, dépassant de loin les pays voisins du Maghreb. Ahmed Rachedi, Mohammed Lakhdar-Hamina et Amar Laskri, entre autres, ont conquis le cœur de millions d’arabophones et ont été salués dans le monde entier.
Cinq ans seulement après la fin de la guerre d’indépendance, Lakhdar-Hamina a remporté le prix du meilleur premier film au festival de Cannes 1967 pour Le Vent des Aurès. Le film dépeint le sort d’une mère à la recherche de son fils, capturé par l’armée française.
En 1975, Lakhdar-Hamina a ramené la Palme d’Or du Festival de Cannes pour sa somptueuse épopée anticoloniale, Chroniques des années de braise. Il reste le seul cinéaste arabe à avoir obtenu une récompense internationale aussi prestigieuse.
L’âge d’or n’a pas duré longtemps. Une puissante combinaison d’instabilité politique, d’économie défaillante et de réduction des fonds a causé le fort déclin de l’industrie du cinéma algérien durant les années 1980. La décennie noire des années 1990 a accéléré le phénomène. La production cinématographique s’est réduite à quelques productions tandis que les salles de cinéma ont fermé leurs portes, l’une après l’autre. Seul la Cinémathèque d’Alger, le haut-lieu du cinéma pour les grands amateurs, est restée ouverte pendant le conflit persistant entre le gouvernement algérien et les rebelles islamiques.
Cinémas mobiles
Bien qu’il n’y eût pas moins de 400 salles de cinéma pendant les jours glorieux de l’Algérie, il y a aujourd’hui près de 100 cinémas autonomes, dont dix dans la capitale, dans un pays de 40 millions de personnes. Plus important encore, les autres tombent en ruines et ont été transformés en zones réservées aux hommes.
« Les salles de cinéma ne disposent toujours pas d’une bonne réputation en Algérie. Cela explique pourquoi certains dirigeants islamiques locaux ont décidé de garder les portes des cinémas closes, bien qu’ils aient été récemment restaurés », a déclaré Aggar, assis dans son bureau devant des étagères pleines de VHS. « Elles viennent du magasin de location de vidéos que je possédais », a-t-il précisé.
Abdenour Hochiche, président des Rencontres cinématographiques de Béjaïa – un événement annuel qu’il a créé en Kabylie en 2002 –, regrette que « les films algériens soient rapidement retirés de l’affiche et n’aient donc pas le temps d’écran dont ils ont besoin pour faire des bénéfices ».
« Il nous faut éduquer une nouvelle génération de spectateurs à profiter du divertissement grand écran, créant ainsi un public pour les films produits localement », a-t-il déclaré.
Grâce aux cinémas mobiles de l’AARC, les films nationaux sont devenus courants. L’an dernier, un camion qui a été transformé en cinéma pour accueillir des centaines de personnes une fois garé a visité les villages isolés du plus grand pays d’Afrique. « Il projetait uniquement des fictions algériennes récentes », a déclaré Mesbah.
« Il y avait tant de gens tous les soirs que nous n’étions même pas en mesure de les compter. Lorsque les camions sont partis, les gens nous ont demandé quand nous reviendrions. La population aime tellement ce projet qu’il sera renouvelé cet été. »
Toutefois, la réalisation de films reste une activité non rentable en Algérie et exige une fastidieuse jonglerie. « Il m’a fallu plus de six ans pour en arriver là », a expliqué Yasmine Chouikh. « La persévérance est ce qui nous fait avancer. Nous n’abandonnerons jamais le cinéma en dépit des circonstances actuelles. »
Certains soutiennent que le problème n’est pas seulement financier ou politique, mais tient plutôt au fait que ces nouveaux films ne touchent pas les spectateurs du coin. Pour les Algériens, c’est comme essayer de comprendre des films d’auteur. « Voyager à travers le monde avec son film est une grande expérience, mais c’est inutile si le public local n’a pas la chance de le regarder. Les récentes productions algériennes ne sont pas très commerciales en substance », a déclaré Mounes Khammar.
« Nous ne pouvons pas faire revivre une industrie du cinéma alors que la plupart des histoires sont peu attrayantes pour les profanes. Au lieu de produire surtout des drames, nous devrions nous concentrer sur la réalisation de films commerciaux qui peuvent attirer les masses. »
Élitiste ?
Au cours des années 1960 et 1970, les films algériens étaient ouvertement politiques. « Les productions traitaient presque exclusivement de deux sujets brûlants : la décolonisation et la guerre de libération », a déclaré le réalisateur Mohamed Lakhdar-Tati (45 ans) à MEE. « Les dirigeants d’alors pensaient que le cinéma pourrait contribuer à l’effort de construction nationale. »
Aujourd’hui, les cinéastes algériens sont d’un genre différent. Les histoires de la génération post-terrorisme ont rompu avec les films sur la guerre de libération nationale en creusant profondément le traumatisme causé par la guerre civile et le désenchantement généralisé parmi la population algérienne.
« Avec Omar Gatlato, Merzak Allouache est devenu le premier réalisateur à déroger à l’héroïsme postindépendance et à la mystification des combattants de la liberté, ouvrant la voie à une nouvelle génération de cinéastes algériens. Le cinéma n’est plus une question de fierté nationale bien que le régime tente toujours de l’utiliser pour sa machine de propagande auto-promotionnelle », a expliqué Moussaoui.
« On est aux prises avec des thèmes universels, de la démocratie à la société patriarcale, et on finit par raconter des histoires universelles qui se trouvent être écrites et filmées à notre porte », a déclaré la réalisatrice Bahia Bencheikh el-Fegoun (39 ans), à MEE. Son dernier documentaire H’na Barra (dialecte algérien signifiant Nous, dehors) suit une femme qui veut retirer son voile islamique.
« Les téléspectateurs algériens attendent quelque chose de différent, quelque chose de plus divertissant. Si les cinéastes algériens parviennent à trouver une formule plus attrayante, je suis sûr qu’il y aura plus de gens qui regarderont ces films », a déclaré Khammar.
« Nous devons travailler sur les histoires populaires comme ce que Lyes Salem a fait avec sa comédie Mascarades. C’est la seule fiction récente qui a rencontré un certain succès parmi les cinéphiles algériens », a-t-il ajouté.
Une analyse partagée par Malek Bensmaïl : « Le cinéma algérien traverse une grande nouvelle expérience, mais il va lui falloir du temps pour ranimer l’industrie et faire revenir les gens dans les cinémas. »
Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.
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