Comment le passé du Yémen est effacé, frappe aérienne après frappe aérienne
Note de la rédaction : le journaliste primé Peter Oborne et Nawal al-Maghafi de Middle East Eye comptent parmi les rares correspondants à s’être aventurés dans un Yémen déchiré par la guerre ces dernières semaines. Une grande partie de leurs informations proviennent du territoire contrôlé par les Houthis, où ils ont été accompagnés, et leurs entrevues surveillées, par des gardes houthis. Nous sommes cependant convaincus que ce que les personnes interviewées leur ont confié est authentique.
SANAA – Les bombardiers saoudiens ne ciblent pas seulement les civils depuis dix-huit mois au Yémen. Ils ont frappé à maintes reprises le patrimoine architectural sensationnel du pays, infligeant des dommages indicibles.
Pas même la vieille ville de Sanaa – habitée sans interruption depuis plus de 2 500 ans et site inscrit au patrimoine mondial de l’UNESCO – n’a été épargnée. Son vieux quartier, d’une valeur aussi inestimable et aussi unique que ceux de villes européennes comme Venise et Florence, a également été pris pour cible par les avions de la coalition dirigée par l’Arabie saoudite.
Nous avons parlé au directeur des Antiquités du Yémen, Mohannad Ahmad al-Syani, diplômé il y a 30 ans en archéologie de l’Université de Sanaa. Il nous a rapporté que « 75 sites archéologiques ont été touchés par la coalition dirigée par l’Arabie saoudite ou les bombes d’al-Qaïda. »
Il a accusé l’Arabie saoudite de détruire des sites antiques qui ne jouent aucun rôle militaire : « Ce ne sont pas des endroits où vous pouvez cacher des armes ou des militants », a-t-il affirmé, ajoutant que plusieurs sites ont été touchés « par dix à quinze frappes aériennes à la fois, il ne s’agit donc pas d’erreurs ».
Al-Syani a cité en exemple le barrage de Marib, qui était l’une des merveilles d’ingénierie du monde antique. Marib était la capitale de l’ancien royaume de Saba, célèbre pour sa reine, qui a prospéré au cours du premier millénaire avant notre ère. Le barrage a survécu presque intact à plus de 2 000 ans d’histoire avant d’être frappé par les bombardiers saoudiens l’an dernier, un acte « gratuit » selon al-Syani.
Traduction : « Avant et après : le barrage de Marib au Yémen, avant et après sa destruction #Yémen http://ow.ly/OdQPE » – Middle East Eye (@MiddleEastEye)
« Certains des murs se sont effondrés et les briques ont brûlé », a déclaré al-Syani. « La porte sud a été complètement détruite. » La zone est maintenant difficile à atteindre en raison des violents combats qui ont eu lieu récemment, mais on rapporte que les ruines de la vieille ville ont également subi de graves dommages.
À Sa’dah, on ne voit que des bâtiments détruits
Nous avons été nous-mêmes témoins des destructions qui se sont produites dans la vieille ville de Sa’dah, l’une des plus anciennes et importantes du nord du pays, dont l’architecture de terre est très caractéristique du Yémen.
Au début de la guerre, la coalition dirigée par l’Arabie saoudite a annoncé que l’ensemble de Sa’dah était une cible militaire – et nous avons constaté de nombreuses preuves montrant que les zones civiles avaient été bombardées par des avions de la coalition.
En voiture le long de la rue principale de la ville, nous sommes passés devant une enfilade de bâtiments détruits. La place devant la mosquée de l’imam Hadi, centre spirituel de l’école zaïdite, a été complètement détruite. Difficile d’imaginer qu’un quelconque objectif militaire se trouvait à l’origine du bombardement de cette partie de la vieille ville. Les habitants nous ont dit qu’aucun soldat ne se trouvait dans la zone.
La vieille ville de Sanaa, composée d’anciennes maisons de pisé datant de plusieurs milliers d’années, a également subi de violentes attaques. Nous avons visité la zone d’al-Fulayhi dans la vieille ville, où plusieurs maisons anciennes ont été complètement détruites et de nombreuses autres endommagées par une frappe majeure en septembre dernier.
« Ils endommagent des sites religieux comme des tombes et des cimetières historiques »
La bombe a tué une famille de dix personnes alors qu’ils étaient attablés. Les habitants nous ont rapporté que certains d’entre eux avaient encore de la nourriture dans la bouche alors que leurs cadavres étaient extraits des décombres. Toujours selon les habitants, le chef de famille, nommé Hafith Allah al-Ayani, était primeur et n’avait aucun lien quelconque avec les questions militaires. « C’était un ange », nous a confié un voisin. « Il aidait tout le monde. Il avait l’habitude de donner des légumes aux pauvres. »
Disparition : les preuves de civilisations anciennes
Le sentier de la destruction englobe des villes anciennes, des musées, des mosquées, des palais et d’anciens sites archéologiques. Bien que les bombardements saoudiens aient infligé la majeure partie des dégâts, ils sont loin d’être les seuls coupables. Les bombardements houthis ont infligé des dégâts considérables, notamment dans la vieille ville de Ta’izz. Les forces houthies se sont emparées de la citadelle al-Qahira en mars 2015, d’où elles se mirent à bombarder la ville.
Al-Syani a souligné qu’une grande partie des destructions ont été causées par al-Qaïda – « Ils endommagent des sites religieux comme des tombes et des cimetières historiques » – et a suggéré que le groupe État islamique (EI) constituait peut-être la plus grande menace. « Au moins, on peut demander des comptes à la coalition des États arabes », a-t-il fait remarquer. « Pas à Daech et al-Qaïda. »
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Si la communauté internationale est coupable d’ignorer la catastrophe humanitaire au Yémen, alors elle est tout aussi coupable de fermer les yeux face à l’échelle des destructions archéologiques.
Certains experts accusent les Saoudiens d’être motivés par des raisons semblables à celles de l’EI et d’al-Qaïda : « La même idéologie obscurantiste avec laquelle l’État islamique justifie sa destruction des sites du patrimoine culturel semble motiver la guerre aérienne des Saoudiens contre les précieuses preuves physiques des civilisations anciennes du Yémen », a écrit Nishant Choksi dans le New York Times. « Il n’y a pas d’autre explication à l’offensive saoudienne qui a dévasté ces irremplaçables trésors archéologiques du monde. »
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Choksi a suggéré que la coalition dirigée par l’Arabie saoudite ciblerait délibérément le patrimoine yéménite et que « plusieurs sources ont confirmé que l’UNESCO et le Département d’État [américain] ont donné à la coalition une liste de sites spécifiques à éviter. Mais loin de reprocher à son allié d’ignorer ces conseils, les États-Unis fournissent un soutien logistique, moral et en matière de renseignements à la campagne aérienne saoudienne. »
Lors de notre voyage à Sa’dah, nous avons profité d’un cessez-le feu temporaire qui avait entraîné l’arrêt provisoire des bombardements. Cependant, les attaques ont repris avec une intensité brutale au moment où nous sommes finalement partis.
Les conséquences pour les millions de Yéménites pris dans ce terrible conflit sont terribles. La perte de pans entiers de l’inestimable patrimoine architectural yéménite n’est qu’une partie du désastre auquel fait face ce tragique, mais beau pays.
Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.
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