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Comment un cimetière juif ramène à la vie un village marocain

Les 3 000 juifs qui vivent au Maroc aujourd’hui ne sont qu’une fraction du quart de million que comptait le pays il y a 50 ans – mais les visites de ceux qui sont partis sont en hausse
L’ambassadeur des États-Unis au Maroc, Dwight Bush (à droite), lors d’une cérémonie de plantation d’arbres organisée par la Fondation du Haut Atlas (avec l’aimable autorisation de la Fondation du Haut Atlas)

AKRICH, Maroc – En cette fin d’après-midi, au moment où le soleil commence à se coucher, Abdulrahman, 39 ans, arpente de haut en bas le flanc de coteau en serpentant entre amandiers, figuiers, citronniers, oliviers et grenadiers muni d’un tuyau d’arrosage orange.

La routine de l’arrosage de fin de journée est l’une de ses responsabilités en tant que gardien de cette petite pépinière communautaire située dans le village d’Akrich, à 20 km au sud de Marrakech, dans les contreforts ruraux des montagnes du Haut Atlas.

Ses tâches, toutefois, vont au-delà du simple jardinage. Il est également le gardien du cimetière juif de la zone, un site de plus de 700 ans récemment restauré qui partage l’espace avec la pépinière.

Abdulrahman retire les mauvaises herbes près des arbres récemment plantés (Fondation du Haut Atlas)

À l’intérieur des murs terracotta du cimetière, des rangées d’arbres fruitiers biologiques se dressent à proximité des tombes rénovées des défunts de l’ancienne communauté juive d’Akrich.

Cet arrangement relève d’une initiative intercommunautaire conçue pour préserver le patrimoine juif du Maroc et réduire la pauvreté dans la région.

Le terrain utilisé pour la pépinière a été donné par le Conseil des communautés juives du Maroc pour apporter à la communauté principalement agraire d’Akrich une source durable de revenus. En retour, les habitants protègent et entretiennent la propriété – espérant aussi que le cimetière restauré attirera davantage de visiteurs.

La proposition de réhabiliter le cimetière d’Akrich et de créer la pépinière en son sein a été développée pour la première fois en 2011 avec l’aide de la Fondation du Haut Atlas, une organisation basée à Marrakech qui travaille avec les populations rurales défavorisées à travers le Maroc.

Réticence initiale

Après cinq ans consacrés à coordonner les discussions entre les habitants, les représentants du gouvernement et les leaders de la communauté juive, un accord a été conclu entre les parties, mais non sans hésitation. Ce sont les membres de la communauté juive du Maroc qui ont dû se faire convaincre au début.

« Identifier les chefs de la communauté juive locale susceptibles d’accepter l’initiative a été un défi parce qu’il s’agit de quelque chose de nouveau et d’atypique, et ça a pris du temps pour que les gens comprennent toutes les implications », explique Yossef Ben-Meir, président de la Fondation du Haut Atlas.

Yossef Ben-Meir, ancien volontaire des Peace Corps qui travaille au Maroc depuis 1993, affirme qu’une part de la réticence initiale peut s’expliquer par l’urbano-centrisme de la population juive actuelle du Maroc, qui vit essentiellement dans des villes comme Casablanca et Rabat.

« Comme la plupart des citadins, ils sont généralement peu familiers avec les graves défis auxquels sont confrontés les ruraux au Maroc. Le fait que des centaines de millions d’arbres soient nécessaires pour aller au-delà d’une agriculture de subsistance n’est pas bien compris. »

Ben-Meir a bon espoir que la pépinière parvienne à aider Akrich à mettre un terme à sa dépendance à l’agriculture de subsistance, qu’il considère comme la cause sous-jacente de la pauvreté des régions rurales du Maroc : dans une économie moderne, il n’est plus raisonnable selon lui de se lancer dans l’agriculture uniquement pour la production et la consommation alimentaires. 

À ce jour, plus de 90 000 arbres et arbustes ont été plantés à Akrich, et environ 30 000 arbres seront distribués aux villages environnants cette année.

Les jeunes arbres sont régulièrement inspectés pour vérifier leur santé et leur croissance (MEE/Matthew Greene)

En 2015, le gouverneur de la région a reconnu le potentiel de l’initiative, ouvrant la voie à son application à l’échelle nationale. Plus de 12 000 tombes juives dans 167 cimetières juifs similaires ont été restaurées dans tout le pays.

Akrich a accueilli une vigoureuse communauté juive d’environ 3 000 membres dont les origines remontent au XVIe siècle. Aujourd’hui, le cimetière est la seule trace visible de leur présence en ce lieu.

Un fragment d’histoire

Comme la plupart des juifs ayant fui le Maroc, la communauté juive d’Akrich est partie entre 1948 et 1970, après la création de l’État d’Israël et les guerres israélo-arabes qui ont fait suite en 1956 et 1967.

Selon Ben-Meir, le nouvel État juif est parvenu à exploiter l’agitation régionale au bénéfice de son projet étatique. « Ils ont été efficaces lors qu’ils ont cherché à convaincre les juifs marocains qu’Israël était la meilleure option pour eux. »

Les efforts du Maroc de construction d’un État suite à son indépendance en 1956 ont été moins efficaces dans l’implication de ses citoyens juifs, contribuant à leur émigration de masse vers Israël, l’Europe et les États-Unis. Les 3 000 juifs qui vivent dans le pays aujourd’hui sont seulement un fragment du quart de million qu’il comptait il y a un demi-siècle.

Leur absence est regrettée par les villageois, en particulier les aînés, insiste Abdulrahman. « La génération plus âgée, celle des septuagénaires ou octogénaires, a des souvenirs positifs de ses anciens voisins et parle d’eux uniquement en bien. Ils ont vécu côte-à-côte sans aucune haine ni problème. »

Les arbres et les tombes se côtoient (MEE/Matthew Greene)

Pèlerinage de la diaspora

Ces dernières années, le gouvernement marocain a encouragé les projets interreligieux dans le cadre d’un engagement renouvelé en faveur de la promotion de l’héritage juif du pays, avec par exemple la reconnaissance du rôle des influences hébraïques dans la nouvelle constitution du pays en 2011.

Ces gestes ont été dirigés en particulier vers les deux millions de juifs marocains vivant dans la diaspora, le gouvernement espérant que ses efforts de renormalisation des relations encouragent certains à revenir en tant que touristes sentimentaux ou même de façon permanente.

Bien que peu aient franchi le cap et se soient réinstallés au Maroc, le tourisme juif a augmenté au cours des dernières années et des sites come Akrich font partie des destinations.

Abdulrahman estime que plusieurs centaines de juifs marocains ont fait la Hiloula (pèlerinage) au village l’été dernier, un chiffre qu’il trouve relativement élevé pour ce petit village.

Il indique que la plupart des pèlerins viennent chercher la bonne santé en priant sur la tombe du rabbin Ha Cohen, un saint révéré pour ses pouvoirs de guérisseur. D’autres, explique-t-il, souhaitent repartir d’Akrich en emportant avec eux de petites branches du grand saule qui s’élève dans l’enceinte du cimetière.

Yossef Ben-Meir lit un texte en hébreu gravé près de la tombe de Raphaël Ha Cohen (MEE/Emma Tobin)

Toutefois, le souvenir qui procure le plus de fierté à Abdulrahman est celui d’une rencontre avec un homme d’âge mûr qui admirait la vue idyllique sur les montagnes de l’Atlas assis sur l’une des marches du cimetière.

« Il m’a dit qu’il avait vécu en Israël, en France et aux États-Unis, mais que quand il était assis ici, il se sentait détendu. Il se demandait pourquoi sa famille avait quitté cet endroit. »

Tant Abdulrahman que Ben-Meir affirment que la pépinière a contribué à donner une bonne impression aux visiteurs. Ben-Meir pense que le fait que la terre soit exploitée distingue Akrich d’autres sites culturels et donne une sensation de vivant qu’un musée ne procure pas forcément.

« Le site, bien qu’il soit un cimetière, est en fait plutôt vivant d’un point de vue culturel et spirituel. La Hiloula annuelle attire des centaines de personnes en provenance du Maroc et de l’étranger, qui croient fermement que son énergie spirituelle est aussi forte qu’autrefois. »

Ce sentiment est partagé par les habitants d’Akrich, explique Abdulraham. Il affirme que cette relation est un élément de l’histoire du village qui ne peut être oublié.

« Le cimetière fait aussi partie du patrimoine des villageois et il est important que les jeunes générations le comprennent et le maintiennent en vie. »

« Préserver le sacré tout en promouvant le développement humain »

Si l’augmentation récente du nombre de pèlerins a donné lieu à une meilleure appréciation de l’histoire culturelle d’Akrich auprès de ses habitants, Abdulrahman n’hésite pas à mentionner également la sécurité de l’emploi que le projet lui a procurée.

Dans son cas, les 300 dollars qu’il gagne chaque mois lui ont permis d’atteindre un niveau de vie que l’on peut qualifier de confortable selon les critères du village, lui permettant de subvenir aux besoins de sa famille composée de cinq personnes et d’investir dans l’achat d’une mobylette.

Selon lui, beaucoup d’autres villageois, cependant, font face à des problèmes critiques liés à la pauvreté, que l’on retrouve communément dans les zones rurales du Maroc, notamment le manque d’électricité ou d’eau courante ou le fait de ne pas avoir assez d’argent pour envoyer ses enfants à l’école.

« Envoyer un enfant au collège dans la ville voisine de Tamesloht coûte 12 dollars par jour en frais de transport et de repas. Les familles de quatre ou cinq enfants sont contraintes de choisir qui va à l’école et qui reste à la maison. » Souvent, ce sont les filles qui sont obligées d’arrêter l’école pour que leurs frères puissent poursuivre leur éducation, ajoute-t-il.

Abdulrahman espère toutefois que la création de la pépinière aidera le village à satisfaire ses besoins les plus élémentaires et à améliorer le niveau de vie de ses résidents.

« Pour la plupart des gens d’ici, les défis de la vie tournent autour de l’argent. Ils veulent des revenus plus conséquents, de meilleurs emplois et prendre soin de leurs enfants et de leur famille. C’est une situation difficile, mais nous sommes optimistes quant aux bénéfices engendrés par la pépinière. »

Selon les calculs de Ben-Meir, pour chacun des cent arbres plantés dans la pépinière, le revenu moyen pour une famille de neuf va doubler, ce qui représente un excellent potentiel pour la communauté. Tout ce qui pousse dans la pépinière est certifié agriculture biologique et vendu au prix du commerce équitable, pour faire en sorte que le village ne soit pas affecté par les cours des marché nationaux ou internationaux.

Assis sur sa chaise dans le hall d’accueil du cimetière, il est prompt à souligner que les villageois peuvent garder le contrôle de toutes les décisions prises en relation avec la pépinière – ce qui lui rappelle que lui et Abulrahman ont bientôt une réunion avec la communauté.

En-dehors du cimetière et de la pépinière, les habitants proposent d’installer un tuyau d’irrigation allant des montagnes jusqu’au village, tandis qu’un comité de femmes est en train de créer une coopérative dédiée à l’artisanat local.

« À certains égards, le succès de ce projet réside dans le fait qu’il soit parvenu à fournir à de multiples communautés marocaines l’accès et le contrôle soit à leur culture et à leur histoire, soir à leurs moyens de subsistance », résume Ben-Meir.

« C’est ce que fait Akrich. Il préserve ce site culturel “sacré” tout en promouvant le développement humain des populations, et c’est une composante clé de la façon dont les relations entre musulmans et juifs devraient évoluer. Tandis que ces relations s’améliorent, les conditions de vie des populations s’améliorent également. »

Traduit de l’anglais (original). 

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