Dans le quartier de Silwan à Jérusalem, les Palestiniens craignent un nettoyage ethnique imminent
JÉRUSALEM-EST, Territoires palestiniens occupés (Cisjordanie) – Dans les rues étroites et sinueuses de Batn al-Hawa, 84 familles palestiniennes nichées dans des maisons bâties sur une pente abrupte au sud de la vieille ville de Jérusalem vivent dans la crainte d’être déplacées par des colons israéliens.
Mercredi dernier, la Cour suprême israélienne a ouvert la voie pour que le groupe de colons Ateret Cohanim poursuive une procédure judiciaire visant à expulser au moins 700 Palestiniens vivant dans la zone de Batn al-Hawa, dans le quartier de Silwan à Jérusalem-Est.
Le groupe israélien de défense des droits de l’homme B’Tselem a déclaré que la Cour suprême « approuvait la grande initiative visant à déposséder les Palestiniens depuis 1967 », lorsque Israël a occupé la partie orientale de la ville, la Cisjordanie et la bande de Gaza.
Le tribunal a décidé que l’affaire devrait être résolue par le tribunal d’instance de Jérusalem plutôt que par la Cour suprême, en réponse à une requête des habitants de Batn al-Hawa contre leurs ordonnances d’expulsion, qui sont systématiquement émises depuis 2014.
Ces familles palestiniennes sont là depuis les années 1950 et ont des papiers pour le prouver, notamment des contrats. Cependant, la proximité de Silwan avec la vieille ville et son importance pour les groupes de colons israéliens qui tentent de consolider le contrôle juif sur les quartiers palestiniens environnants font de ces familles une cible du nettoyage ethnique.
« Le combat n’est pas terminé »
Zuheir Rajabi, un propriétaire palestinien, est assis dans son modeste salon, parcourant les images de ses caméras de sécurité, à une dizaine de mètres d’un bâtiment de colons et d’un commissariat israéliens.
Il est le porte-parole du comité Batn al-Hawa, un groupe formé dans le but de présenter un front uni contre Ateret Cohanim devant les tribunaux israéliens.
« Nous n’avons d’autre choix que de résister via le soi-disant système juridique ici. Nous n’avons pas d’alternative. Si nous nous rendons, nous serons jetés à la rue », affirme-t-il à Middle East Eye.
« Le combat n’est pas encore terminé. Nous allons continuer à présenter des requêtes et peut-être même recourir aux tribunaux internationaux. Environ 80 % des personnes qui résident ici sont des réfugiés de 1948 venus de toute la Palestine et, aujourd’hui, ils veulent nous déplacer à nouveau ? »
Silwan est un quartier relativement pauvre et surpeuplé, mais le manque d’assainissement et la ghettoïsation de Batn al-Hawa et des zones voisines est particulièrement frappant. Les routes n’ont pas de trottoirs et sont à peine assez larges pour accueillir une voiture.
« Nous payons des impôts comme tous les autres Israéliens, mais la municipalité ne collecte pas les ordures. Nous avons des eaux usées dans la rue et des rats. C’est comme ça qu’ils font pression sur nous pour que nous partions », explique Rajabi.
Batn al-Hawa et Silwan dans son ensemble sont depuis longtemps une cible pour Ateret Cohanim, qui pousse les Palestiniens à quitter leurs maisons en offrant de grosses sommes d’argent en échange des terres et en menant des batailles juridiques longues et coûteuses contre les résidents qui refusent le rachat.
« Environ 80 % des personnes qui résident ici sont des réfugiés de 1948 venus de toute la Palestine et, aujourd’hui, ils veulent nous déplacer à nouveau ? »
- Zuheir Rajabi, habitant de Silwan
Le groupe, en grande partie financé par le millionnaire juif américain Irving Moskowitz, a déclaré vouloir travailler avec les autorités israéliennes pour renforcer le contrôle du « bassin historique » de la vieille ville, afin de contrecarrer toute possibilité que ces zones deviennent une partie de la capitale palestinienne à Jérusalem-Est.
Le système juridique israélien penche fortement en faveur des colons. En 2002, le ministère de la Justice israélien a cédé la propriété des terres des familles de Batn al-Hawa à Ateret Cohanim sans en informer les habitants palestiniens.
Un an avant la cession des terres, trois membres du groupe de colons avaient été nommés administrateurs du Benvenisti Trust, un fonds juif qui, selon Ateret Cohanim, possédait la propriété au XIXe siècle et y avait installé des juifs yéménites.
Grâce au système juridique en vigueur en Israël qui permet aux juifs de revendiquer des biens qui leur appartenaient avant la guerre de 1948 qui a conduit à la création d’Israël – tout en refusant de faire de même pour les Palestiniens –, Ateret Cohanim et le trust contrôlent en fait le sort d’au moins 84 familles qui vivent à Silwan depuis des décennies, certaines depuis 60 ans.
Les familles palestiniennes ont présenté en juin une pétition, signée par 104 habitants du quartier, qui affirme qu’en vertu de la loi ottomane qui s’appliquait à l’époque, seuls les logements et les bâtiments – qui n’existent plus aujourd’hui – appartenaient au trust, pas la terre elle-même.
Ce mois-ci, le gouvernement israélien a reconnu que le ministère de la Justice n’avait pas enquêté sur le trust et la loi de l’époque ottomane avant d’émettre les titres de propriété en faveur du Benvenisti Trust en 2002.
Des colons emménagent
Aujourd’hui, une vingtaine de familles israéliennes se sont installées dans six appartements et immeubles au milieu des habitations palestiniennes après avoir acheté des terres à des propriétaires palestiniens pour d’énormes sommes d’argent. Selon Rajabi, ceux qui ont vendu leurs propriétés ont été payés entre 3 et 30 millions de shekels (de 712 000 à 7,1 millions d’euros).
« Les soldats entrent chez nous et arrêtent nos garçons. Les colons peuvent faire ce qu’ils veulent, mais nous, nous vivons dans un commissariat de police. Nous ne sommes pas autorisés à réparer nos maisons ni à vivre en paix »
- Najah Awad, habitante de Silwan
Selon Haaretz, les employés d’Ateret Cohanim ont offert à des résidents les services de travailleurs du sexe en échange de la vente de leur propriété, et menacent de rendre publiques les négociations, mettant ainsi la vie du propriétaire en danger si celui-ci refuse de vendre.
Ateret Cohanim espère judaïser le quartier en installant plus d’Israéliens dans les maisons des Palestiniens visés par le dernier procès intenté à 84 familles.
La présence de colons, qui sont légalement autorisés à porter des armes, a des effets dévastateurs sur la communauté palestinienne.
Après l’arrivée des colons dans le quartier, le gouvernement a construit un commissariat de police près de l’une de leurs habitations. Accompagnés de l’armée et de la police, les colons font régulièrement irruption dans la vie privée des Palestiniens à leur domicile, attaquent et arrêtent des résidents, y compris des enfants.
Najah Awad, une veuve âgée de 65 ans qui vit avec ses enfants et ses neveux, a reçu un avis d’expulsion. Elle vit dans un bâtiment mitoyen d’un appartement occupé par des colons israéliens.
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Le sous-sol de sa maison, en contrebas de la maison des colons, empeste les eaux usées et la peinture sur les murs s’écaille.
« Leurs salles de bains fuient et l’urine coule dans nos murs », explique-t-elle. « Nous nous sommes plaints à la police, mais ils n’ont rien fait. »
« Les soldats entrent chez nous et arrêtent nos garçons. Les colons peuvent faire ce qu’ils veulent, mais nous, nous vivons dans un commissariat de police. Nous ne sommes pas autorisés à réparer nos maisons ni à vivre en paix », poursuit Najah Awad en regardant les murs blancs abîmés de son logement. Elle y vit depuis 50 ans et dit n’avoir nulle part où aller.
« Nous ne disons pas que nous voulons de nouveaux logements – nous voulons nos propres logements. Nous voulons juste qu’Israël nous laisse tranquille. »
De même, Jadallah al-Rajabi (38 ans), le frère de Zuheir, risque d’être expulsé malgré la preuve de l’achat de sa maison en 1966.
« Mon père cumulait deux emplois et il a acheté cette maison avec son sang, sa sueur et ses larmes », a-t-il raconté à MEE dans un centre communautaire construit pour les enfants palestiniens de Batn al-Hawa, où il travaille.
« Je n’ai ni tué de juif, ni chassé quelqu’un de chez lui. Nous avons acheté notre maison légalement et nous y avons vécu toute notre vie. Ils devront nous tuer avant que nous abandonnions nos maisons », poursuit-il.
« J’ai été battu et arrêté devant mes enfants pour avoir évoqué la situation ici. Que dois-je dire à mes enfants ? Dois-je leur dire que nous voulons la paix avec eux ? Ils peuvent voir l’injustice de leurs propres yeux »
- Jadallah al-Rajabi, habitant de Silwan
« Je connais tout le monde ici, je connais ce quartier. C’est ma vie, je suis heureux ici. Vous dites vouloir la paix ? Où est-elle ? Vous venez dans nos quartiers et forcez les gens à partir, en les jetant à la rue. »
Ce père de quatre enfants indique que les enfants du quartier sont déprimés, deviennent violents et n’arrivent souvent plus à obtenir de bonnes notes à l’école.
« S’ils jouent au football, ils doivent s’arrêter quand les [colons] israéliens passent avec les agents de sécurité. Comment suis-je censé expliquer cette situation à mes enfants ? », demande-t-il.
« J’ai été battu et arrêté devant mes enfants pour avoir évoqué la situation ici. Que dois-je dire à mes enfants ? Dois-je leur dire que nous voulons la paix avec eux ? Ils peuvent voir l’injustice de leurs propres yeux. »
Changer Jérusalem-Est
Le colonialisme auquel les habitants de Batn al-Hawa sont confrontés est endémique à Silwan et à Jérusalem-Est. Quelque 200 000 colons israéliens vivent à Jérusalem-Est occupée, souvent au beau milieu de quartiers palestiniens.
Selon les ONG israéliennes Peace Now et Ir Amim, entre 2009 et 2016, 68 familles palestiniennes ont été expulsées de Sheikh Jarrah, Silwan et du quartier musulman de la vieille ville.
Israël ne cesse en outre d’élaborer de nouvelles stratégies pour judaïser les zones palestiniennes.
La semaine dernière, la Knesset, le Parlement israélien, a approuvé un amendement qui permet la construction de résidences dans les parcs nationaux.
Cette loi a été proposée par le groupe de colons ELAD qui gère le parc de la Cité de David, lequel comprend la zone de Wadi Helweh, à Silwan, qui est surplombée par la mosquée al-Aqsa.
Lorsque le gouvernement israélien a inclus Wadi Helweh dans le parc national, la terre – propriété de Palestiniens – a été rendue inconstructible. Or, avec cette nouvelle loi, ELAD pourra y construire des maisons pour colons, là-même où les Palestiniens encourent la démolition s’ils construisent sans permis, lesquels sont pratiquement impossibles à obtenir pour eux auprès des autorités israéliennes.
« Ils ont cédé nos terres sans même nous en informer. N’est-ce pas de la discrimination ? »
- Jadallah al-Rajabi, habitant de Silwan
« Ils revendiquent un patrimoine historique et culturel à Silwan, affirmant qu’il s’agissait de la Cité de David. C’est lié à l’histoire, à la religion et à la politique de la situation ici », indique à MEE Khalil Tufakji, un cartographe spécialiste des colonies à Jérusalem-Est.
« Israël et des groupes de colons ont commencé à construire des habitations de colons au milieu de zones palestiniennes afin de renforcer l’emprise israélienne sur Jérusalem et de couper les Palestiniens de la ville. »
À Batn al-Hawa, de nombreux habitants qui attendent d’être fixés sur leur sort souffrent d’insomnies.
« Parfois, je reste éveillé pendant des heures à imaginer ce qu’il adviendra de ma famille et de mes enfants si nous sommes expulsés », confie Jadallah al-Rajabi.
« Ils ont cédé nos terres sans même nous en informer. N’est-ce pas de la discrimination ? »
Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.
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