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Des détenus mineurs et des malades mentaux victimes des exécutions saoudiennes

Des prisonniers arrêtés quand ils n’étaient âgés que de 13 ans et d’autres souffrant apparemment de maladie mentale figuraient parmi les 47 personnes exécutées en Arabie saoudite
Mishaal al-Farraj (à gauche), Mustafa Abkar (au centre) et Abdulaziz al-Toaili’e (à droite) ont été exécutés par l’Arabie saoudite (MEE)

Des prisonniers arrêtés quand ils étaient enfants et d’autres personnes souffrant de maladie mentale comptaient parmi les dizaines de détenus exécutés récemment en Arabie saoudite, selon les révélations de sources exclusives dans le royaume à Middle East Eye.

Le 2 janvier, l’Arabie saoudite a annoncé avoir procédé à l’exécution de 47 prisonniers condamnés pour terrorisme, parmi eux l’influent religieux chiite cheikh Nimr al-Nimr, qui avait dirigé des manifestations anti-gouvernementales dans la province orientale avant son arrestation en juillet 2012.

L’exécution de Nimr a suscité des manifestations au sein du royaume et à l’étranger, y compris en Iran, où les manifestants ont saccagé l’ambassade saoudienne, provoquant la rupture par Riyad des liens avec Téhéran et plongeant les deux rivaux régionaux dans une crise diplomatique.

Cependant, on a peu parlé des 46 autres prisonniers qui ont été exécutés dans 12 villes à travers le royaume.

Quatre étaient des Saoudiens de la province orientale – dont Nimr. Les 43 autres étaient accusés d’avoir des liens avec al-Qaïda et certains ont été condamnés pour l’exécution, la planification ou le soutien d’attaques dans le royaume entre 2003 et 2006.

Parmi les 43, quatre ont été reconnus coupables d’actes de banditisme, un crime qui est puni en Arabie saoudite par la section des membres en alternant les côtés du corps, suivie par la décapitation et l’exposition du cadavre.

Les autorités saoudiennes n’ont pas révélé la façon dont les prisonniers ont été exécutés mais un responsable de la sécurité qui gardait un site d’exécution à Riyad a confié à Middle East Eye les circonstances des mises à mort le 1er janvier, un jour avant l’annonce officielle.

« Ce fut un massacre. Il y avait du sang et des parties de corps partout », a rapporté la source, ajoutant que les exécutions n’avaient pas eu lieu à l’intérieur d’une prison, mais avaient été effectuées dans un endroit secret de la capitale.

Notre source n’a pas pu confirmer le nombre de personnes tuées à Riyad mais a indiqué que les exécutions ont commencé dans la matinée et ne se sont terminées que dans l’après-midi.

Les corps n’ont pas été retournés aux familles des détenus et ont été enterrés à la place par les autorités saoudiennes dans un lieu secret.

Bien que les autorités saoudiennes aient publié une liste complète des noms des prisonniers exécutés, seuls deux des prisonniers d’al-Qaïda ont été évoqués dans les médias.

Le premier est Faris al-Shuwail, qui a été accusé par l’Arabie saoudite d’être un idéologue de premier plan du groupe. L’autre est Adel al-Dhubaiti, qui a été reconnu coupable d’avoir tué le cameraman de la BBC Simon Cumbers et blessé grièvement le journaliste de la BBC Frank Gardner lors d’une fusillade 2004 à Riyad.

L’exécution de détenus mineurs passée sous silence

Middle East Eye est en mesure de révéler que l’une des personnes exécutées était Mustafa Abkar, originaire du Tchad. C’était l’un des deux étrangers parmi les 47, l’autre étant un Égyptien nommé Mohammed Fathi Abula’ti al-Sayed.

Mustafa Abkar avait 13 ans lorsque les forces de sécurité saoudiennes l’ont arrêté à La Mecque, le 19 juin 2003, selon une source connaissant son cas.

Mustafa Abkar tel qu’il est présenté sur Al Arabiya TV

Abkar apparaissait dans un documentaire sur les jeunes membres d’al-Qaïda diffusé par la chaîne à capitaux saoudiens Al Arabiya en décembre dernier.

Dans l’émission, il a été présenté comme ci-dessus, mais pas nommé, comme étant l’un des trois garçons du Tchad qui avaient menti à leurs parents et s’étaient rendus en Arabie saoudite pour assister à un cours de formation au Coran d’une semaine en 2003.

Le documentaire affirmait que ce programme de formation au Coran s’était « avéré être un cours terroriste criminel » et que les Tchadiens avaient été arrêtés dans un raid de la police.

Abkar a été arrêté à un moment où l’Arabie saoudite était particulièrement inquiète par rapport à al-Qaïda. Le 12 mai 2003, le groupe a mené une série d’attentats sur trois complexes accueillant des Occidentaux à Riyad, tuant 39 personnes et blessant plus de 160 autres.

Dans le documentaire, les forces de sécurité indiquaient que les jeunes Tchadiens devaient être relâchés sous peu.

« Ils étaient jeunes », avait déclaré un officier aux journalistes. « Ceux que nous avons arrêtés s’attendaient à ce que l’affaire soit rapidement close et qu’ils puissent repartir dans leurs familles. »

On ne sait pas ce qui est arrivé aux deux autres garçons, mais Abkar n’a jamais été relâché. On sait peu du temps qu’il a passé en prison ou d’un quelconque procès, mais la source au courant de sa situation a indiqué qu’il n’avait comparu qu’une fois devant la cour et qu’il s’agissait du moment où il a été condamné à mort le 14 octobre 2014 – plus de onze ans après son arrestation.

« Il n’avait pas d’avocat. Personne ne l’a interrogé. C’est vraiment triste qu’il ait été décapité et qu’on ne sache rien de lui », a déclaré la source sous couvert d’anonymat.

Les groupes internationaux des droits de l’homme ont attiré l’attention sur d’autres détenus mineurs condamnés à mort en Arabie saoudite avec un certain succès.

Reprieve, qui milite contre la peine de mort, a appelé les autorités saoudiennes à suspendre les exécutions d’Ali al-Nimr, le neveu du cheikh Nimr, de Dawoud al-Marhoon, et d’Abdullah al-Zaher, qui ont tous été arrêtés dans la province orientale quand ils avaient moins de 18 ans.

Bien que les trois n’aient pas été libérés, ils n’ont pas été exécutés le 1er janvier tel que cela avait été prévu. Middle East Eye avait signalé que la pression internationale avait conduit les autorités saoudiennes à assurer à leurs alliés internationaux qu’elles n’exécuteraient pas Nimr, Marhoon et Zaher.

Cependant, le cas du Tchadien Mustafa Abkar n’a été révélé qu’après son exécution et il n’a bénéficié d’aucune attention internationale.

« Rien n’a été publié le concernant », a déclaré depuis Londres Yahya Assiri, chef de l’organisation des droits de l’homme saoudienne Al Qst, à Middle East Eye. « Son cas était totalement secret. »

Abkar n’était pas le seul prisonnier exécuté le 1er janvier à être mineur lors de son arrestation.

Mishaal al-Farraj avait 17 ans lorsqu’il a été arrêté dans le quartier Malik à Riyad en juin 2004.

Farraj avait rejoint al-Qaïda après que son père, Hammoud, avait été tué en janvier 2004 dans un raid des forces de sécurité visant à arrêter un de ses autres fils – Khaled – qui était soupçonné d’avoir fait partie d’une cellule ayant planifié des attaques dans le royaume.

Un rapport publié par le ministère saoudien de l’Intérieur à l’époque indiquait que Hammoud al-Farraj avait coopéré auparavant avec les forces de sécurité et serait reconnu pour cela à titre posthume.

Cependant, son fils Mishaal était en colère suite à la mort de son père et rejoignit al-Qaïda pour se venger des autorités. Lorsqu’il a été arrêté, il a été rapporté qu’il avait été choisi pour être kamikaze par al-Qaïda et avait été formé à la surveillance et à la reconnaissance.

Une photo d’archive montrant Mishaal Hammoud al-Farraj (SPA)

La source familière avec les cas d’Abkar et de Farraj a rapporté que Farraj a été torturé en prison et emprisonné pendant des années sans jamais être traduit en justice et qu’il s’est également vu refuser les services d’un avocat.

L’activiste saoudien Assiri a affirmé que la plupart des 47 prisonniers exécutés avaient été maltraités durant leur détention.

« Un certain nombre d’entre eux ont été gravement torturés et traduits en justice seulement après des années de tortures physique et psychologique », a-t-il déclaré.

« Les autorités les ont forcés à avouer, sous la contrainte, des activités dont nous ne pouvons confirmer effectivement la véracité. Lorsqu’un défendeur a informé le juge qu’ils avaient été soumis à la torture, le tribunal les a renvoyés pour interrogatoire et autres actes de torture avant d’entendre à nouveau leurs aveux. »

Les fonctionnaires de l’ambassade saoudienne à Londres n’ont pas répondu aux demandes de commentaires, mais les autorités ont défendu les exécutions comme étant le produit de procès « totalement transparent » menés « conformément à la loi islamique ».

Crucifixion d’un détenu malade mental

Parmi les autres prisonniers qui ont été exécutés le 1er janvier figuraient des personnes souffrant de maladies mentales.

L’un d’eux était Abdulaziz al-Toaili’e, leader d’al-Qaïda et ancien rédacteur du magazine du groupe, « Voice of Jihad ». Il a été arrêté en 2005 après avoir reçu une balle dans le visage par les forces de sécurité à l’est de Riyad.

Toaili’e était un érudit religieux qui avait émis des fatwas approuvant les attaques de Riyad en 2003.

En prison, Toaili’e aurait développé de graves troubles mentaux – pour l’activiste saoudien Assiri, ce serait à la suite de tortures physique et psychologique prolongées.

Le mauvais état mental de Toaili’e a d’abord été signalé par son compagnon de cellule, l’ancien juge devenu militant des droits de l’homme Suliman al-Reshoudi, qui a été condamné à une peine de prison de quinze ans en 2011 pour « avoir rompu l’allégeance au roi ».

Reshoudi, qui a maintenant 79 ans, a partagé une cellule avec Toaili’e en 2012 dans la prison al Hair destinée aux prisonniers politiques, au sud de Riyad.

Reshoudi a indiqué à d’autres militants, dont Assiri, que Toaili’e parlait aux insectes, courait nu en criant et consommait ses propres déjections.

Toaili’e attaquait régulièrement Reshoudi et le qualifiait de non-musulman parce qu’il croyait en la démocratie. Reshoudi prétend que Toaili’e disait qu’il avait cessé de prier parce qu’il était « très proche d’Allah ».

Photo d’Abdulaziz al-Toaili’e (SPA)

En 2012 Reshoudi a écrit au ministère de l’Intérieur et a demandé la libération de Toaili’e afin qu’il puisse recevoir un traitement pour ce qu’il croyait être une grave maladie mentale.

Assiri, un ami de Reshoudi au courant de la situation, a déclaré : « Il était très clair qu’il [Toaili’e] souffrait de troubles mentaux – très graves. »

En 2014, Assiri dit avoir envoyé une lettre au bureau du Haut-Commissariat des Nations unies pour les droits de l’homme, dans laquelle il expliquait que Toaili’e avait des problèmes de santé mentale et avait été condamné à mort.

Il n’a reçu aucune réponse. L’ONU n’avait pas répondu à nos sollicitations au moment de la publication.

Toaili’e a été reconnu coupable de banditisme et, le 1er janvier, aurait eu les jambes coupées avant d’être décapité.

Il fallait « s’occuper » des prisonniers

Les analystes se sont disputés sur les raisons du timing de ces exécutions de masse le 1er janvier.

Le célèbre chroniqueur saoudien Jamal Khashoggi a déclaré à Middle East Eye le jour de la mise à mort que le public saoudien se demandait pourquoi il avait fallu tant de temps pour exécuter les condamnés en relation avec al-Qaïda.

« Ces criminels ont agi brutalement contre des civils innocents [et] il fallait s’en occuper, donc ce qui est arrivé est, j’en suis sûr, très bien accueilli par la plupart des Saoudiens. »

Les groupes de défense des droits de l’homme ont réagi vivement aux exécutions et ont imploré Riyad d’abolir la peine capitale.

« C’est une journée sanglante lorsque les autorités saoudiennes exécutent 47 personnes, dont certaines ont clairement été condamnées à mort après des procès manifestement inéquitables », a déclaré le directeur d’Amnesty International Moyen-Orient Philip Luther le 2 janvier dans un communiqué. « Exécuter une condamnation à mort lorsqu’il y a de sérieuses questions quant à l’équité du procès est une injustice monstrueuse et irréversible. Les autorités saoudiennes doivent tenir compte des critiques internationales qui se font de plus en plus nombreuses et mettre un terme à leur frénésie d’exécution. »

Les autorités saoudiennes ont continué à défendre les exécutions. Dans une interview exclusive avec The Economist, le vice-prince héritier Mohammed ben Salmane a démenti les allégations de mauvais traitements formulées par les militants et a déclaré que la justice de son pays avait préservé les droits des détenus.

Il a affirmé que ceux qui ont été exécutés « ont été condamnés par une cour de justice sur des accusations de terrorisme et qu’ils sont passés par trois étapes de procédures judiciaires. Ils avaient le droit de recourir aux services d’un avocat et des avocats étaient présents tout au long de chaque étape de la procédure. Les portes de la cour étaient également ouvertes à toute personne travaillant dans les médias et aux journalistes et toutes les procédures et textes juridiques ont été rendus publics. »

Les exécutions en Arabie saoudite ont fortement augmenté depuis que le père du prince Mohammed, le roi Salmane, a accédé au trône en janvier dernier. En 2015, au moins 157 personnes ont été exécutées, le plus grand nombre depuis la mise à mort de 192 personnes en 1995.

Traduction de l’anglais (original) par VECTranslation.

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