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Des milices chrétiennes pillent des villes chrétiennes en Syrie

Des milices chrétiennes se sont tournées contre leurs propres coreligionnaires en pillant plusieurs villages chrétiens dans le nord-est du pays
Un milicien chrétien charge une machine à laver à l’arrière d’un pick-up (MEE/Martin Bader)

TALL TAMER, Syrie – La croix argentée de Sherbel rebondit autour de son cou pendant qu’il vise avec sa Kalachnikov la fenêtre d’une maison abandonnée.

Avec les autres membres d’une équipe de recherche composée d’une douzaine de combattants, le milicien chrétien passe au peigne fin un village déserté près de la ville de Tall Tamer, dans le gouvernorat d’Hassaké, au nord-est de la Syrie. L’objectif du jour est de retrouver un milicien musulman abandonné par les troupes du groupe État islamique (EI) lors de leur retrait de la zone une semaine plus tôt.

Environ cent familles habitaient cette ville peuplée en majorité de chrétiens avant que l’EI ne prenne contrôle de la région fin février. Le groupe a kidnappé plus de 200 chrétiens et son offensive a forcé des milliers de civils à fuir, jusqu’à ce que les forces dirigées par les Kurdes et soutenues par la coalition et les frappes aériennes des États-Unis ne repoussent l’EI fin mai.

Dans la chaleur écrasante de l’après-midi, les miliciens jettent un coup d’œil à travers les fenêtres brisées, ouvrent les portes d’un coup de pied et désamorcent les pièges. S’ils n’ont pas pu mettre la main sur le milicien qu’ils sont venus chercher, ils ont néanmoins trouvé des choses très intéressantes : des appareils électroménagers, des vêtements, des antennes paraboliques, des bouteilles de gaz, des téléviseurs et des machines à café. Ils prennent tout ce qu’ils peuvent réutiliser.

Trois combattants chargent une machine à laver à l’arrière d’un pick-up. « Pousse ! Tu as encore de la place ? », demande l’un d’eux en riant, tout en chargeant une bouilloire et un écran d’ordinateur sur le siège arrière. Le commandant de l’unité est assis tranquillement derrière le volant, surveillant ses hommes dans le rétroviseur.

Gardiens de la minorité chrétienne ?

Ces pillards appartiennent au Conseil militaire syriaque (Mawtbo Fulhoyo Suryoyo, MFS), au groupe Sutoro (« protection » en syriaque) et aux Gardes de Khabour. Les milices syriaques Sutoro et MFS ont été fondées suite à l’éruption de la guerre civile en Syrie. Elles font partie de l’Autorité d’auto-administration dominée par les Kurdes et coopèrent étroitement avec les combattants et les services de sécurité kurdes, qui contrôlent le nord-est du pays. Alors que le MFS est une organisation militaire, les combattants de Sutoro sont essentiellement chargés de surveiller les villes et de tenir les check-points.

Les Gardes de Khabour étaient pour leur part une milice locale assyrienne qui opérait exclusivement dans la région peuplée par les Assyriens autour de Tall Tamer. Certains de leurs membres semblaient très proches des MFS ; ils arboraient leur emblème sur leurs uniformes et étaient armés par eux. Ils ont été dissous quelques mois après l’assassinat de leur commandant.

Lorsqu’elles s’adressent aux médias, les milices syriaques mettent l’accent sur leur respect des lois de la guerre et des valeurs humanitaires. « Nous n’avons pas un esprit de résistance, nous somme des chrétiens laïques – nous n’aimons par la violence », avait déclaré en octobre dernier Ashur Abu Sarkun, commandant général des Sutoro à l’époque, à des journalistes étrangers rassemblés au QG de la milice dans la ville d’al-Malikiyya, province d’Hassaké.

Ces propos sont partagés par Malki Rabo, le porte-parole des Sutoro. Il affirme que son groupe a été fondé fin 2012 pour protéger la minorité chrétienne de Syrie et se soulever contre le régime de Bachar al-Assad.

Selon lui, les Sutoro se concentrent sur la protection du peuple, de ses droits et de ses revendications. Il ajoute que sa milice n’est pas guidée par un raisonnement religieux : « Bien sûr que nous n’oublions pas Dieu, mais nous pensons que faire preuve de compassion est plus important qu’interférer ».

Les commandants locaux au courant des pillages

Rabo supervise le transport des biens volés devant le check-point de Sutoro à Tall Tamer.

Deux pick-ups reviennent tout juste d’une autre opération de recherche. Le trottoir du check-point ressemble à un marché aux puces. Un combattant des MFS, essoufflé, transporte un poste de télévision à l’intérieur du bâtiment.

« Pourquoi vous avez mis autant de temps ? C’est tout ce que vous avez trouvé ? », demande Abu Jemma, le cuisinier de la base, en jetant un regard critique vers le téléviseur. La question perd de sa pertinence lorsque les autres miliciens amènent leur butin.

« Je ne sais pas ce que c’est, mais ça a quelque chose à voir avec le pétrole et Dach [EI] », s’exclame Maher, un membre des Sutoro originaire de la ville de Kameshli, en brandissant une clé à molette.

Les miliciens transportent de petits objets, comme des claviers et écrans d’ordinateur et des services à thé, mais aussi de plus grands comme une machine à laver, un micro-ondes et des enjoliveurs qu’ils entassent à l’arrière d’un minibus devant amener les biens dans un entrepôt du groupe.

Avant que le bus ne soit autorisé à partir, Rabo fouille soigneusement les sacs de chacun des combattants.

80 dollars par mois

Plusieurs membres des MFS et des Sutoro ont admis à MEE que leurs milices avaient participé à des pillages à plusieurs reprises.

Selon les combattants, la plus grande partie des pillages a eu lieu dans les villages à majorité chrétienne situés autour de la ville syrienne de Tall Tamer, mais l’un d’entre eux a également indiqué à MEE qu’un milicien des MFS avait volé des bijoux dans des maisons appartenant à des yézidis près du mont Sinjar, au nord de l’Irak.

Toutefois, les pillages ne sont pas approuvés par tous les miliciens. « Le terme ‘’opération de recherche’’ signifie en fait voler et piller, et ce n’est pas bien », a déclaré un jeune combattant des Sutoro qui a demandé à garder l’anonymat. « Pourquoi est-ce qu’un village devrait être fouillé plusieurs fois après sa libération ? C’est évident que c’est pour l’argent. »

Il explique que certains miliciens ont besoin d’un revenu additionnel pour nourrir leur famille. Le salaire mensuel est de 80 dollars, très peu pour la Syrie.

« Beaucoup ne travaillent pour nous qu’à cause du salaire. Ce salaire est une mauvaise blague, mais c’est mieux que rien. Il n’y a pas d’autre travail », indique Fadi Khorye, un membre des Sutoro originaire de Derick. Il insiste sur le fait que les miliciens ne sont pas tous impliqués dans les pillages.

« De même que les doigts de la main sont différents les uns des autres, les membres des Sutoro sont différents les uns des autres. La réputation de notre organisation va pâtir de leurs actions, et j’espère que les coupables seront amenés à rendre des comptes. »

Les dirigeants ferment les yeux

Confronté aux découvertes de MEE, Kino Gabriel, le porte-parole des MFS, a affirmé qu’un comité interne avait été formé pour enquêter sur les faits. Selon lui, les éventuels délits pourraient être le fait de quelques individus isolés.

« Les MFS se sont engagés à respecter les valeurs des Syriaques et des chrétiens. Ce qui s’est produit contredit les valeurs et les principes que nous défendons, en lesquels nous croyons et selon lesquels nous avons été élevés. »

Dans un communiqué de presse conjoint publié le lendemain, les dirigeants des Sutoro et des MFS ont réfuté toutes les accusations.

Un commandant des Sutoro ayant connaissance des investigations internes a pourtant confirmé à MEE que des miliciens des Sutoro et des MFS avaient pillé plusieurs villages de la région de Tall Tamer. Il a demandé à garder l’anonymat pour des raisons de sécurité.

Tout en confirmant que des maisons appartenant à des chrétiens avaient été pillées, il a précisé que la vaste majorité des pillages avait eu lieu au domicile de collaborateurs arabes de l’EI. Il a ajouté toutefois que le leadership des milices ne reconnaîtrait jamais ces pillages publiquement.

« Si nous admettons publiquement que nous avons procédé à des pillages, nous serons tenus pour responsables de la totalité des pillages. Or, nous ne voulons pas être tenus pour responsables des délits commis par les YPG [Unités de protection du peuple kurde] et l’EI. »

Le commandant a déclaré ne pas être inquiet du fait que le pillage de foyers appartenant à des collaborateurs présumés de l’EI puisse être considéré comme un crime de guerre.

« Honnêtement, si cela ne tenait qu’à moi, ils feraient bien de taguer sur leurs murs ‘‘va te faire f** Daech’’ et brûler leurs maisons. »

Traduction de l’anglais (original).

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