EXCLUSIF : La Russie déclare à Assad qu’il n’y a pas de solution militaire en Syrie
MOSCOU – Selon un conseiller russe clé de l’envoyé spécial des Nations unies en Syrie, la Russie a déclaré au président syrien Bachar al-Assad qu’il n’y avait pas de « solution militaire » au conflit du pays malgré la victoire revendiquée par les forces pro-gouvernementales sur les rebelles dans l’est d’Alep.
Dans une interview exclusive pour Middle East Eye, le professeur Vitaly Naoumkine, président de l’Institut d’études orientales de Moscou, a déclaré que la Russie continuerait de faire pression sur Assad pour qu’il accepte un gouvernement de coalition qui comprendrait des membres de l’opposition. Il n’a pas précisé à quels groupes d’opposition il faisait allusion.
Il a également affirmé croire qu’Assad était plus susceptible de faire des concessions lors de la prochaine série de pourparlers de paix, à la suite de la reprise d’un territoire autrefois contrôlé par les rebelles dans la plus grande ville de Syrie.
« J’espère qu’Assad ne sera pas réticent mais plus sensible aux pressions de ses propres électeurs, du peuple de Syrie qui est divisé – il y a beaucoup de loyalistes et il y a des opposants – mais aussi qu’il sera plus sensible aux pressions de ses partenaires et acceptera un processus politique », a déclaré Naoumkine à MEE.
« La Russie dit à Assad qu’il n’y a pas de solution militaire en Syrie »
– Vitaly Naoumkine
Naoumkine est l’un des quatre conseillers politiques principaux de l’envoyé spécial de l’ONU, Staffan de Mistura, qui tente de servir de médiateur entre les nombreux acteurs de la guerre depuis juillet 2014.
La Russie, comme les États-Unis, est co-présidente du Groupe de soutien international à la Syrie, un groupe de travail composé de nations et d’organisations mondiales qui recherchent une solution diplomatique au conflit.
Il a rejeté l’idée avancée par certains analystes selon laquelle la victoire des forces pro-gouvernementales sur les forces rebelles dans l’est d’Alep durcirait la position d’Assad et le tenterait d’essayer de reprendre toutes les zones contrôlées par les combattants de l’opposition.
« Au contraire, a-t-il affirmé. Premièrement, Assad est redevable envers ses partenaires, dont la Russie qui l’a soutenu dans sa victoire. »
« Deuxièmement, il comprend à mon avis que sans réformes et sans changement, il ne peut réussir à imposer un contrôle sur tout le pays, à le maintenir et à neutraliser l’opposition. Il doit donc faire des concessions. La Russie lui dit qu’il n’y a pas de solution militaire. »
Après la reprise de l’est d’Alep par les forces pro-gouvernementales, la tâche principale est désormais de passer à des négociations directes sans conditions préalables à Genève entre les représentants d’Assad et l’opposition, a déclaré Naoumkine.
Les deux séries précédentes de pourparlers de « proximité », lors desquelles les médiateurs ont rencontré séparément les délégations rivales, n’ont permis aucun progrès après que le Haut-Conseil pour les négociations (HCN), soutenu par l’Occident et l’Arabie saoudite, avait insisté sur la démission d’Assad.
« Le HCN était là pour tout gâcher, a indiqué Naoumkine à MEE. Leur rôle a été de gâcher toute forme de pourparlers en attendant [qu’Hillary] Clinton arrive et équipe [les rebelles] d’armes sophistiquées. »
Clinton, l’ancienne secrétaire d’État américaine, a été battue par Donald Trump le mois dernier lors des élections présidentielles américaines.
Selon Naoumkine, les choses seront positives « si [Trump] respecte ses promesses de campagne en améliorant les relations avec la Russie et en considérant la lutte contre le terrorisme, y compris en Syrie, comme son dossier principal ».
« Il y a un certain espoir de voir Trump exercer activement des pressions sur l’opposition pour la pousser à rejoindre les négociations avec le gouvernement sans conditions préalables. »
Les médias et les responsables politiques occidentaux considèrent systématiquement que la Russie traite tous les opposants d’Assad comme des « terroristes ». Naoumkine soutient toutefois que cela est inexact.
Selon lui, le cœur du conflit syrien est une guerre civile entre Syriens, une position reflétée dans la presse russe, qui décrit les forces anti-Assad à Alep non pas comme des terroristes, mais comme des « groupes armés illégaux », « l’opposition armée » ou simplement comme des « combattants ».
Naoumkine a expliqué qu’un obstacle à des pourparlers constructifs était formé par le fait que le HCN ne représentait pas tous les groupes impliqués dans les combats sur le terrain, notamment le groupe État islamique et le Front al-Nosra, qui sont tous deux largement reconnus en tant que groupes terroristes sur le plan international.
Le Front al-Nosra, qui a opéré aux côtés d’autres groupes d’opposition dans les zones contrôlées par les rebelles, a changé son nom plus tôt cette année pour devenir le Front Fatah al-Cham et a annoncé avoir rompu ses liens antérieurs avec al-Qaïda.
Naoumkine a cependant estimé que les pourparlers pourraient avoir lieu même si l’État islamique et le Front al-Nosra poursuivaient les combats, suggérant qu’il y avait de nombreux exemples historiques de pourparlers de paix entre des gouvernements et des groupes armés sans cessation complète des hostilités à l’échelle de la nation.
« Ce qui s’est passé à Palmyre démontre que l’armée syrienne devrait se préparer à plus de batailles », a indiqué Naoumkine, en référence à la cité antique désertique dans le centre de la Syrie qui a été reprise au gouvernement par l’État islamique au début du mois.
À la question de savoir pourquoi le gouvernement syrien autorisait les combattants rebelles à être transportés librement dans une autre zone de la province d’Idleb contrôlée par l’opposition, il a répondu qu’ « ils le [faisaient] sous la pression internationale et [qu’ils essayaient] d’éviter de faire plus de victimes civiles. »
Naoumkine a accusé les combattants alignés avec le Front al-Nosra de se servir des civils comme de boucliers humains et d’utiliser des écoles et des hôpitaux pour stocker des armes et des munitions dans l’est d’Alep.
« Ils forçaient les gens à se battre. Ils forçaient les gens à vivre sous leur règne », a-t-il affirmé.
La commission d’enquête des Nations unies a fait état mercredi d’allégations selon lesquelles des combattants du Front al-Nosra et d’Ahrar al-Cham, désignés comme des groupes « terroristes », « empêch[aient] les civils de partir », tout comme les combattants de l’opposition qui s’incrustaient dans la population civile, ce qui augmentait ainsi le risque de voir des civils être tués ou blessés.
Cependant, la Russie et la Syrie sont accusées d’avoir bombardé délibérément des hôpitaux et des zones civiles dans l’est d’Alep et de cibler les secouristes volontaires appartenant aux Casques blancs, piégeant ainsi sous les décombres les victimes blessées par les frappes aériennes et les tirs d’artillerie, d’après des sources dans l’est d’Alep.
« Oui, cela arrive malheureusement... Il y a inévitablement des victimes »
– Naoumkine au sujet des morts civiles à Alep
Le Haut Commissaire des Nations unies aux droits de l’homme, Zeid Ra’ad al-Hussein, a déclaré que le gouvernement syrien et ses alliés soumettaient le peuple d’Alep à « la terreur et [au] massacre » et que ces faits relevaient de crimes de guerre.
« Le Bureau des droits de l’homme de l’ONU a reçu des informations crédibles faisant état d’un nombre important de civils tués – soit par des bombardements intenses, soit suite à des exécutions sommaires effectuées par les forces pro-gouvernementales. Des dizaines de corps joncheraient les rues d’un certain nombre de quartiers de l’est d’Alep », a déclaré le bureau d’Hussein dans un communiqué.
Naoumkine a réagi à la mort de civils : « Oui, cela arrive malheureusement... Il y a inévitablement des victimes, mais le gouvernement syrien, sous la pression de la Russie, a accepté de les laisser partir à Idleb. Il y aura une grande concentration de [combattants du Front al-Nosra], ce qui est alarmant. »
Naoumkine a également dressé une comparaison entre l’assaut sur l’est d’Alep et l’assaut mené actuellement par les forces gouvernementales irakiennes, les combattants peshmergas kurdes, les milices chiites et une coalition internationale dirigée par les États-Unis sur la ville de Mossoul, dans le nord de l’Irak.
« Personne ne parle des civils tués à Mossoul. Je ne sais pas si c’est à Mossoul ou à Alep que plus de civils ont été tués au cours des dernières semaines », a-t-il affirmé.
Naoumkine a déclaré que beaucoup de choses dépendraient de la Turquie, dont le président Recep Tayyip Erdoğan a restauré les relations diplomatiques avec son homologue russe, Vladimir Poutine, après qu’Ankara et Moscou se sont fâchés suite à des frappes turques contre un avion de chasse russe près de la frontière syrienne en novembre 2015.
La Turquie est un soutien de longue date des groupes rebelles d’opposition en Syrie et a appelé Assad à renoncer au pouvoir.
Néanmoins, Naoumkine a soutenu que cela faisait partie de la « guerre d’information » contre la Syrie et a accusé Ankara d’adoucir sa position à l’égard d’Assad, tout en renforçant sa politique contre les YPG kurdes, qui contrôlent un territoire important en Syrie et qui sont considérés par la Turquie comme des alliés du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK).
Naoumkine a expliqué que cela était source de problèmes pour les États-Unis, qui soutiennent les YPG dans la lutte contre l’État islamique, mais qui sont aussi un allié de la Turquie au sein de l’OTAN.
La Russie est prête à aider à trouver un accord entre les Kurdes syriens et la Turquie dans lequel chaque camp reconnaîtrait les lignes rouges, a indiqué Naoumkine.
Les Kurdes syriens devraient accepter que la Turquie n’accepte pas une ceinture sous domination kurde le long de la frontière septentrionale de la Syrie qu’elle partage avec la Turquie. En retour, les Turcs devraient respecter la souveraineté de la Syrie et ne pas étendre leur intervention en Syrie.
Certains responsables russes ont émis l’idée de soutenir le fédéralisme dans une nouvelle constitution syrienne.
Naoumkine a indiqué que celle-ci a été « rejetée en bloc par le gouvernement syrien ».
« L’opinion publique en Russie pense qu’il devrait y avoir une sorte de décentralisation, a-t-il ajouté. Cette société est très fragmentée et il devrait y avoir un compromis, non pas pour former des régions sur une base ethnique, mais pour protéger partout les droits des minorités. »
« La politique baasiste est fondée sur l’arabisme et l’idée d’une nation arabe unique en Syrie, mais les minorités veulent plus de garanties. »
Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.
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