Innombrables morts et aucune aide : la guerre aérienne américaine coûte très cher à Mossoul
MOSSOUL, Irak – Abu Ahmed se fraye un chemin à travers le trottoir jonché de décombres, en prenant soin de vérifier s’il reste des EEI laissés par les combattants de l’État islamique en fuite, et désigne des murs lilas et un toit affaissé sous le poids de la maçonnerie tombée. C’est tout ce qui reste de sa maison familiale.
La zone est peut-être effectivement jonchée de pièges laissés par l’EI, mais les bombes qui ont détruit la maison d’Abu Ahmed sont venues des airs – et l’EI ne dispose d’aucune force aérienne.
Ce quartier a été frappé par quatorze frappes aériennes ciblant deux combattants de Daech. Aujourd’hui, nous n’avons plus rien – Abu Ahmed, habitant de Mossoul
« Ce quartier a été frappé par quatorze frappes aériennes ciblant deux combattants de Daech », explique-t-il, tout en récupérant un morceau de papier largué par l’armée de l’air irakienne. « Ils ont largué des papiers depuis les avions nous enjoignant de ne pas quitter nos maisons, alors nous sommes restés, mais regardez ce qui s’est passé. »
« Aujourd’hui, nous n’avons plus rien, nous avons réussi à dégager une pièce et c’est là que nous vivons désormais », poursuit-il, ajoutant que sa femme et ses quatre enfants ont eu la chance de se trouver dans une maison voisine lors du bombardement.
Au moins, ils sont vivants– contrairement à des centaines d’autres civils qui auraient été tués en mars par les frappes aériennes de la coalition menée par les États-Unis dans l’ouest de Mossoul, selon un rapport du groupe de surveillance Airwars.
D’autres habitants racontent des histoires semblables concernant une puissance de feu écrasante contre les combattants de l’EI parfois solitaires qui a causé d’énormes « dommages collatéraux ».
Dans un cimetière de l’autre côté du quartier d’al-Mamoun à Mossoul, une équipe d’hommes et de garçons creuse des tombes pour les civils tués non seulement par les frappes aériennes, mais par les tirs de mortier et les EEI laissés par l’EI.
« D’innombrables civils ont été tués par ces frappes aériennes et de nombreux corps reposent encore sous les maisons », rapporte Ismail Dabus (50 ans), secouant la tête.
« L’avion voit un type de Daech sur le toit et largue une bombe pour l’avoir, mais une famille de dix personnes est réfugiée dans le sous-sol et ils se font tuer aussi. »
Il a indiqué que plusieurs familles se regroupent souvent dans des maisons disposant de grands sous-sols, de sorte que la destruction d’une seule maison pouvait entraîner de nombreuses victimes civiles.
« On continue à se demander pourquoi ces frappes aériennes tuent tant de civils », déclare Ismail Dabus.
« D’innombrables civils ont été tués par ces frappes aériennes… de nombreux corps reposent encore sous leurs maisons » – Ismail Dabus, habitant de Mossoul
« Nous savons qu’elles sont nécessaires, mais la présence de civils doit être vérifiée avant de procéder à ces attaques. »
Son cousin Falah affirme que certaines de ces frappes aériennes ne parviennent pas à tuer les militants de l’EI.
« Daech a fait des trous dans les murs des maisons afin de pouvoir se déplacer sans être vu du ciel », explique-t-il.
« L’avion américain voit un combattant de Daech et largue une bombe sur cette maison, mais la plupart du temps, le combattant de Daech a déjà rejoint une autre maison. »
Les dommages collatéraux – ce terrible euphémisme de guerre qui atténue les morts civiles – sont lourds dans la dernière phase du conflit de Mossoul.
Dans le chaos suivant les avancées de l’armée irakienne, il est difficile d’établir des statistiques précises concernant les pertes civiles.
Airwars a toutefois estimé que 369 civils ont été tués en une semaine seulement par des frappes aériennes dans ce quartier du sud-ouest de Mossoul, chiffre qui dépasse largement les modestes estimations admises par l’Opération Inherent Resolve – la coalition dirigée par les États-Unis soutenant la bataille de l’Irak contre l’EI.
La situation des victimes civiles est devenue tellement désespérée que Mosul Eye, un compte Twitter et Facebook basé là-bas, a commencé à faire des plaidoyers via les réseaux sociaux pour aider à sauver des familles piégées sous les décombres des bâtiments effondrés.
Mardi, ces comptes ont donné les coordonnées d’une maison qui s’était effondrée après avoir été frappée par une roquette, piégeant neuf civils au-dessous dans les 24 heures précédentes, demandant de l’aide. Les membres de la famille avaient appelé la Division d’or irakienne, mais personne n’était venu, selon le poste.
Même avec des coordonnées, atteindre des bâtiments spécifiques et des morceaux branlants de maçonnerie est presque impossible pour les civils.
Il n’y a plus de véhicules pour mener des opérations de sauvetage, après leur réquisition par des combattants de l’EI battant en retraite, qui les ont utilisés pour bloquer les rues avant de les incendier pour se protéger de la surveillance aérienne.
Du cimetière, Falah désigne un bâtiment affaissé à l’horizon derrière lequel de la fumée grise s’élève après une autre frappe aérienne. « Il y a 38 personnes encore sous cette maison, j’en connais certaines parce que nous étions voisins », dit-il.
« Nous devons récupérer les corps et leur donner une sépulture décente, mais les bâtiments sont complètement rasés et nous ne pouvons pas les atteindre. Il nous faut de la machinerie lourde et des grues pour déplacer les décombres. »
Pendant que les hommes creusent les tombes, les hélicoptères survolent la zone, tirant d’autres missiles sur les quartiers de Mossoul encore occupés par l’EI. Même s’ils atteignent des endroits situés à plusieurs kilomètres, les explosions se répercutent dans le sol.
« Nous ne savons pas quoi faire parce que nous ne pouvons pas les récupérer, mais nous ne pouvons pas les laisser là-bas », dit-il, les larmes aux yeux en regardant les deux corps enveloppés de couvertures sur le sol, en attendant leur enterrement. L’un d’eux est son neveu de 18 ans, Saif.
Les quartiers du sud-ouest de Mossoul, plus profondément à l’intérieur de la ville – où les zones récemment libérées sont apparemment jonchées de munitions non explosées et restent menacées par les mortiers et les tirs de snipers de l’EI – restent largement inaccessibles à l’heure actuelle.
Cependant, les gens du coin disent que le niveau de destruction est bien pire.
« Le quartier de Wadi Haja est comme Kobané, il est complètement détruit », a déclaré Farhan Abdullah, enlevant la saleté de ses mains.
« Il est toujours difficile d’y pénétrer car il y a des EEI et des missiles non explosés partout, mais j’ai vu la longue rue principale où la route était pleine de cratères, d’environ sept mètres de large, et toutes les maisons ont été complètement rasées. »
Autrefois enchantés par la perspective d’être libérés de l’EI, les destructions infligées à Mamoun et aux quartiers avoisinants ont conduit les habitants à remettre en question l’apport de la coalition américaine qu’ils jugent largement responsable des frappes aériennes.
« Il s’agit certainement des frappes aériennes de la coalition, la plupart d’entre elles sont effectuées par des avions non identifiés sans aucun drapeau irakien, et seule l’Amérique a des hélicoptères Apache ici, pas l’aviation irakienne », estime Falah.
Il ajoute, avec un ricanement écœuré : « De toute façon, l’armée irakienne ne peut rien faire ici sans la permission des États-Unis. »
Abu Ahmed insiste sur le fait que les frappes aériennes dans son quartier ont été menées par des avions de la coalition et précise qu’il les a observés en opération pendant des semaines.
Toutefois, il dit ne pas comprendre pourquoi la coalition n’a pas bombardé des cibles liées à l’EI plus tôt dans le conflit ou avant même qu’il ne commence.
« Les États-Unis voient tout, ils ont fait voler des drones pendant des semaines, observant des combattants de Daech se promener avec des fusils et construire des bermes de sable avec des pelles, ils se sont contentés de prendre leurs photos et n’ont rien fait », explique-t-il.
« En fait, les drones américains volent ici depuis plus d’un an, observant Daech, quand ils creusaient des tunnels dans le désert. »
« Pourquoi n’ont-ils pas bombardé là où il n’y avait pas de civils ? »
Tandis que les tirs de mortier secouent le sol, il se retourne vers les ruines de sa maison.
« La vérité est que les États-Unis les ont regardés marcher dans les rues et n’ont rien fait, puis attendu qu’ils entrent dans nos maisons pour les attaquer », dit-il.
« Les États-Unis sont-ils aveugles qu’ils ne voient pas Daech à découvert dans les rues mais peuvent les voir quand ils entrent dans les bâtiments ? »
Et avec amertume, il ajoute : « Après avoir observé ce qui s’est passé ici, je crois vraiment maintenant que les États-Unis et Daech sont une équipe, travaillant ensemble à détruire notre pays. »
Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.
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