Intervention en Libye : David Cameron critiqué par les députés pour son « opportunisme »
David Cameron a opté pour une « politique de changement de régime opportuniste » durant l'intervention des pays occidentaux lors du soulèvement du peuple libyen en 2011, ce qui a alimenté le chaos et permis l’expansion du groupe État islamique (EI) en Afrique du Nord, selon un rapport parlementaire accablant publié mercredi.
Le rapport de la commission spéciale des Affaires étrangères affirme que l'ancien Premier ministre britannique a été « en fin de compte responsable de l'échec du développement d'une stratégie cohérente en Libye » avec une intervention qui a été, malgré les garanties contraires, conçue spécifiquement pour renverser Mouammar Kadhafi.
Le rapport, dont la préparation a duré plus d'un an, met en lumière des lacunes importantes dans le travail des services de renseignement en amont de l'intervention, ainsi qu'une incapacité à traduire les plans de reconstruction en succès sur le terrain.
Ces deux éléments ont contribué, selon ce rapport, au chaos auquel le pays est confronté actuellement – avec des groupes tribaux qui combattent pour le pouvoir, l’enracinement de l'État islamique (EI) et des passeurs qui capitalisent sur la traversée lucrative et souvent mortelle de la Méditerranée vers l'Europe.
À un moment donné, la Libye a eu trois gouvernements rivaux, et les efforts d'unité du gouvernement d'unité nationale (GNA) soutenu par les Nations unies, demeurent inconstants - cette semaine encore, une faction militaire rebelle a déclaré s'être emparée du contrôle de toute la région pétrolifère du pays.
Le Royaume-Uni est intervenu en Libye en février 2011, soutenant un appel français concernant la résolution 1973 du Conseil de sécurité de l'ONU qui a imposé une zone d'exclusion aérienne au-dessus de la Libye ainsi qu'un embargo sur les armes, et a autorisé des bombardements pour soutenir les forces anti-Kadhafi.
Le mois suivant, le Royaume-Uni devenait l'un des principaux membres de la campagne de bombardements menée par l'OTAN qui a contribué à la chute du leader libyen puis à son lynchage en bordure d'une route près de Syrte en octobre 2011.
Le rapport de la commission s’attaque à Cameron qui avait d'abord assuré au Parlement en mars 2011 que l'objectif de la campagne de bombardements n'était pas un changement de régime pour, un mois plus tard, cosigner une lettre avec les présidents français et américain établissant leur but commun : préparer « un futur sans Kadhafi ».
Il critique également Cameron pour son incapacité à « exploiter » les contacts de l'ancien Premier ministre Tony Blair, qui, selon le rapport « connaissait le régime Kadhafi mieux que la plupart des politiques occidentaux », pour amasser des renseignements de qualité sur le pays.
Au lieu de cela, le gouvernement de Cameron a basé sa décision d'intervenir sur les discours notoirement enflammés de Kadhafi et sur des rapports médiatiques inexacts, et n'a pas su anticiper l'émergence de groupes rebelles radicaux qui ont profité du renversement de Kadhafi et ont pu prospérer dans le vide de pouvoir ayant suivi la révolte.
Tony Blair fut un des participants clés aux recherches ayant permis l'élaboration du rapport. Cameron a refusé de collaborer avec les enquêteurs au cours des huit mois qui ont été nécessaires pour rassembler toutes les preuves, en raison de son « programme chargé ».
Le rapport appelle à un examen indépendant des processus de prise de décision du Conseil de sécurité national, qui a lui-même été réformé après de sérieuses critiques concernant la façon dont il fonctionnait peu de temps avant l'invasion de l'Irak en 2003.
Chris Doyle, directeur du Conseil pour l'entente arabo-britannique, a déclaré que ce rapport venait s'ajouter au débat lancé par le rapport Chilcot dénonçant la catastrophe de l'invasion britannique en Irak dix années plus tôt.
« La conclusion de la commission selon laquelle il y a bel et bien eu un changement de stratégie, de la protection des civils à un changement de régime, n'est pas vraiment surprenante et il s'agit d'un point de vue largement partagé », a ajouté Doyle.
« Mais elle critique également fermement l'absence d'une étude approfondie du contexte en Libye et de la nature de l'opposition. »
« Cette enquête touche au cœur même des relations actuelles du Royaume-Uni avec le Moyen-Orient et l'Afrique du Nord. Elle cherche à tirer des enseignements de l'intervention en Libye, à la fois par le passé et aujourd'hui. »
« Il est sûrement mieux pour David Cameron qu’il ne soit plus Premier ministre aujourd'hui, et pour Philip Hammond [l’actuel ministre des Finances] de ne plus être ministre des Affaires étrangères. »
Mattia Toaldo, expert sur la Libye au Conseil européen des relations étrangères, explique que le rapport incarne le « consensus » actuel sur les interventions étrangères dans la sphère politique britannique. « Gardez-vous des interventions imprudentes et irréfléchies ; ne vous concentrez pas uniquement sur l'EI mais analysez la situation dans son ensemble pour la stabilisation du pays. »
Le rapport de la commission critique également en particulier le rôle actuel du Royaume-Uni en Libye, qui implique, comme l'a rapporté Middle East Eye, le déploiement limité de troupes SAS (forces spéciales) afin de soutenir le nouveau gouvernement d'unité nationale et de lutter contre l'EI, des vols soutenant les forces rivales dirigées par Haftar autour de Benghazi, et une présence de plus en plus importante au large des côtes pour empêcher les livraisons d'armes.
Le rapport met en garde quant au fait que la présence britannique au sol sans l'accord du Parlement pourrait alimenter les sentiments anti-Occident et « fournir à l'EI une cible relativement accessible ».
Crispin Blunt, député conservateur et président de la commission spéciale des Affaires étrangères a expliqué : « La conclusion de ce rapport est que la politique britannique en Libye avant et depuis l'intervention en mars 2011 a été fondée sur des hypothèses erronées et sur une compréhension incomplète du pays et de la situation. »
« D'autres options politiques étaient valables. Un engagement politique aurait pu permettre la protection des civils, un changement de régime et une réforme à un moindre coût pour le Royaume-Uni et la Libye. Le Royaume-Uni n'aurait rien perdu à essayer cela, plutôt que de se concentrer exclusivement sur un changement de régime par des moyens militaires. »
« Il était de notre responsabilité de soutenir la reconstruction économique et politique en Libye. Mais notre manque de compréhension des capacités institutionnelles du pays a entravé les progrès de la Libye, que ce soit pour établir la sécurité sur le terrain ou pour attirer les ressources, notamment financières, de la communauté internationale. »
« Les actions du Royaume-Uni en Libye découlent d'une intervention mal préparée, et les résultats se font encore sentir aujourd'hui. Les Nations unies ont négocié la mise en place d'un gouvernement d'union nationale associant tous les acteurs. S'il échoue, le danger serait de voir la Libye plonger dans une guerre civile généralisée pour le contrôle du territoire et de ses ressources pétrolières. »
« Le gouvernement d'union nationale est la seule option possible et la communauté internationale a la responsabilité de s'unir derrière lui. »
Cameron, qui lundi a annoncé qu’il quittait la vie politique, a défendu ses actions en Libye, déclarant à la BBC l'an dernier que l'intervention « s'imposait ». « Nous avons empêché un génocide », a-t-il précisé.
Il n'était pas disponible mercredi pour réagir à la publication du rapport.
Le rapport a été publié deux jours après que Cameron annonce sa démission de son poste de député. Il avait déjà renoncé à son mandat de Premier ministre en juin, après avoir soutenu le camp vaincu lors du référendum britannique sur le maintien dans l’Union européenne.
Traduit de l'anglais (original) par StiiL.
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