Fabrice Arfi : « Cette affaire est la plus grave de la Ve République »
Cela aurait pu être une affaire comme une autre, telle que la France en connait régulièrement, écume de petits arrangements et de corruption politique. Seulement voilà, en plus des habituelles rétrocommissions troubles dans les contrats d’armements, en plus de la valse des valises de billets, en plus des amitiés louches des hommes politiques français s’encanaillant auprès d’intermédiaires véreux et hauts en couleur, il y a eu la guerre. Une guerre qui a plongé la Libye dans des micro-guerres civiles et dans un chaos généralisé, et dont les secousses déstabilisatrices n’en finissent pas de s’enfoncer plus loin en Afrique.
Dans leur livre solidement documenté, Avec les compliments du guide, Sarkozy-Kadhafi, l’histoire secrète, les deux journalistes de Médiapart étayent une démonstration impeccable. Et implacable pour une certaine idée de la France, pays qui se fait le chantre des droits de l’homme. Car on y croise de l’argent sale, des morts suspectes, des exfiltrations opportunes, des écoutes secrètes. Et la guerre, avec son cortège de propagande, d’idiots utiles et de mensonges et déraison d’État.
MEE : Ce livre est le résultat de six ans d’enquête. Avez-vous rencontré des difficultés, est-ce le temps qu’il fallait pour dénouer les fils ou est-ce tout simplement parce que l’affaire s’est étendue sur ce laps de temps ?
Fabrice Arfi : Les premiers éléments collectés l’ont été au printemps 2011. Il s’agissait des « documents Takieddine ». Nous avions en notre possession le disque dur de [l’homme d’affaires franco-libanais] Ziad Takkiedine, dans lequel apparaissaient des dizaines de milliers de documents : des photos où l’on voyait Jean-François Copé [en 2003, alors qu’il était secrétaire d'État chargé des relations avec le parlement et porte-parole du gouvernement] dans la piscine de Ziad Takieddine ou Brice Hortefeux [ministre de l’Intérieur, du Travail puis de l’Immigration sous la présidence Sarkozy] sur le yacht du même Ziad Takieddine, mais également des éléments portant sur l’affaire Karachi, des notes manuscrites de l’intermédiaire, des éléments financiers et bancaires, des contrats offshore, des rapports des services de renseignement, des notes blanches envoyées à Claude Guéant [secrétaire général de la présidence de la République puis ministre de l’Intérieur et de l’Immigration sous la présidence Sarkozy] ou à Nicolas Sarkozy [alors président de la République], qui montraient un début d’histoire franco-libyenne qui ne correspondaient pas à la version officielle.
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C’est ce fil qu’on a commencé à tirer pour aboutir à ce livre. Un livre documenté de toute part et de manière différente pour une histoire qui nous paraît invraisemblable, mais qui, pourtant, est vraie.
MEE : Vous qualifiez la remise de ce disque dur de « divine surprise ». Vous êtes-vous posé la question du risque d’une manipulation ou de règlements de compte à travers cette remise de documents ?
FA : C’est le propre du journalisme. Les sources parlent souvent à un journaliste parce qu’elles ont intérêt à le faire. D’autres nous ont aussi parlé en raison d’une certaine idée du bien commun, pour nous aider dans une affaire que nous considérons comme la plus grave de la Ve République et même des Républiques qui ont précédé. Mon propos de journaliste est certes de comprendre les intérêts des sources, mais ce qui m’importe est de déterminer si les documents sont authentiques. Puis voir si ce qu’ils racontent est d’intérêt public ou non. Dans les deux cas, les documents cités sont parfaitement authentiques et sont d’intérêt public.
Kadhafi a été celui qui ne voulait pas, au sommet de l’État libyen, sortir les documents. Il ne croyait pas que Nicolas Sarkozy irait jusqu’au bout de ses menaces de guerre totale
Ces documents nous permettent aujourd’hui de documenter de la manière la plus précise possible une affaire de corruption de dimension internationale avec des jets de corruption pluriels qui partent de plusieurs dignitaires libyens et qui arrivent dans plusieurs poches de personnages publics et intermédiaires en France. Des questions se posent sur des enrichissements personnels, sur un financement politique occulte, sur des gens qui meurent de morts « accidentelles », sur des pressions sur les services secrets, sur une justice empêchée. Avec en toile de fond, l’histoire d’une guerre, celle contre la Libye en 2011, sur laquelle se posent là aussi de nombreuses questions.
MEE : Comment écrire un livre à charge sur des personnes théoriquement encore présumées innocentes ?
FA : Nous assumons le fait que ce livre soit à charge. La présomption d’innocence est un concept juridique et nous précisons dès le début du livre que si certains protagonistes sont mis en examen, d’autres n’ont même pas été interrogés, comme Nicolas Sarkozy. Tous sont pour le moment présumés innocents, évidemment. Mais en tant que journaliste, mon métier est de recouper des faits. Nous avons voulu rester au ras du réel. Les faits sont en soit accablants et scandaleux.
MEE : Avez-vous des certitudes quant aux montants exacts des financements qui ont circulé de la Libye vers la France ?
FA : Il y a d’abord un document, une promesse de financement signée par Moussa Koussa, ancien chef des services de renseignement extérieur de la Libye, qui indique la somme de 50 millions d’euros. Ce document a été authentifié par la justice. Nous n’avons pas documenté le versement des 50 millions d’euros. En revanche, nous avons documenté plusieurs versements. Plusieurs flux d’argent ont été également documentés par la justice : par paquets de 500 000 euros, des virements qui font des sauts de puce entre l’Arabie saoudite, la Malaisie, et qui sont ensuite compensés par la Libye. Sommes qu’on retrouve dans les poches, par exemple, de Claude Guéant en mars 2008 pour acheter un appartement à Paris ou dans les poches de Dominique de Villepin en 2009 via exactement le même circuit qui mêle [l’homme d’affaires] Alexandre Djouhri et Béchir Saleh, l’ancien directeur de cabinet de Kadhafi.
Nous révélons également, bordereau bancaire à l’appui, un nouveau virement – qui intrigue beaucoup les enquêteurs – de 2 millions d’euros, en novembre 2006. Nous avons ensuite la démonstration de remises de valises de 5 millions d’euros en décembre 2006 et janvier 2007.
Une anecdote résume tout cela : Claude Guéant, qui était le directeur de campagne de Nicolas Sarkozy en 2007, avait loué une chambre forte dans une banque à Paris. Il voulait une grande chambre forte et celle qui lui fut attribuée était tellement grande qu’un homme pouvait y entrer debout
Consignés également en 2007 par l’ancien Premier ministre et ministre du Pétrole libyen, Choukri Ghanem, dans un petit carnet manuscrit en notre possession et qui a été authentifié par la police hollandaise, la justice norvégienne et la justice française, des versements pour le clan Sarkozy à hauteur de 6,5 millions d’euros. Il y a aussi l’argent non déclaré, donc illégal, d’un montant de 350 000 euros et 40 000 dollars, retrouvé dans les valises de l’ex-ambassadeur de la France à Tunis Boris Boillon, arrêté à la gare du Nord, à Paris. Ce fameux Boris Boillon qui appelait Kadhafi « papa » et que Kadhafi appelait « mon fils ».
Nous savons aussi que hormis les enrichissements personnels, beaucoup d’espèces ont circulé illégalement pendant la campagne présidentielle de 2007. Une anecdote résume tout cela : Claude Guéant, qui était le directeur de campagne de Nicolas Sarkozy en 2007, le temps de cette campagne, avait loué une chambre forte dans une banque à Paris. Il voulait une grande chambre forte et celle qui lui fut attribuée était tellement grande qu’un homme pouvait y entrer debout. On sait qu’il s’y est rendu sept fois pendant la campagne présidentielle. On ne sait pas ce qu’il y a pris, mais quand il a été interrogé, il a dit avoir loué cette chambre forte pour y placer des discours de Nicolas Sarkozy, discours pourtant disponibles sur l’intranet de la campagne. Ce même Guéant qui en dix ans n’a retiré que 800 euros sur son compte en banque et qui payait tout en cash.
MEE : Vous écrivez que « cette histoire est une illustration de l’histoire postcoloniale de la France ». Que voulez-vous dire ?
FA : La France, pourtant une démocratie, s’est vendue à une dictature entre 2005 et 2007 pour des intérêts qui ont un rapport avec l’argent sale et la raison d’État. Pour des intérêts convergents aussi. La France de Sarkozy avait besoin de la Libye. La Libye de Kadhafi avait besoin symboliquement de la France. La Libye était un État paria, un État terroriste et son souhait, pour lequel Kadhafi pouvait payer très cher, était de revenir dans le concert des nations.
La France, pourtant une démocratie, s’est vendue à une dictature entre 2005 et 2007 pour des intérêts qui ont un rapport avec l’argent sale et la raison d’État
La visite de Kadhafi en France en décembre 2007, six jours de visite officielle, qu’aucune démocratie ne lui avait offerte, s’est faite dans le pays de la Déclaration des droits de l’homme. Quelle victoire symbolique alors pour Kadhafi. Mais il y a eu d’autres contreparties : la vente de matériel d’armements, de matériel d’espionnage. On raconte en détail comment la société Amesys a vendu le logiciel d’espionnage EAGLE qui a pu servir d’ailleurs contre les premiers mouvements d’insurrection en Libye.
Ce sont aussi des intérêts d’État à l’échelle de la Libye, comme par exemple le sort judiciaire d’Abdallah Senoussi, beau-frère de Kadhafi et chef des services de renseignement militaires. Il a été aussi celui qui a donné les 5 millions à Ziad Takieddine, qui les remettra à Guéant et Sarkozy.
Pourtant, tout a été fait – et nous le montrons – pour faire tomber le mandat d’arrêt lancé par notre justice contre cet homme, Abdallah Senoussi, soupçonné d’être le commanditaire de l’attentat contre l’avion DC 10 qui a tué 170 personnes dont 54 français [en 1989]. Ce même Senoussi avait pris pour avocat le propre avocat personnel de Nicolas Sarkozy, Thierry Herzog, lequel avait fait travailler un autre avocat. Ce dernier nous a confirmé avoir été sollicité pour trouver une faille dans la procédure et faire sauter le mandat d’arrêt. Des réunions sur ce sujet ont eu lieu à l’Élysée jusqu’en 2009.
On parle donc d’histoire postcoloniale car à la suite de cette lune de miel diabolique où la France a fait semblant de ne plus voir qu’elle avait en face d’elle un dictateur, elle a ensuite déclenché une guerre qui était une guerre de reconquête
On parle donc d’histoire postcoloniale car à la suite de cette lune de miel diabolique où la France a fait semblant de ne plus voir qu’elle avait en face d’elle un dictateur, elle a ensuite déclenché une guerre qui était une guerre de reconquête.
Cette guerre a illustré le fait qu’on pouvait, par la force militaire, reprendre possession d’un territoire et s’en faire l’arbitre géopolitique au gré de ses propres humeurs internes.
Aujourd’hui, sur cette guerre, factuellement, de très lourdes questions se posent. Pourquoi, comment a-t-elle été déclenchée et qu’est-ce que les Français y ont fait précisément ?
MEE : Nicolas Sarkozy avait-il intérêt à déclencher cette guerre face aux menaces allant crescendo de Kadhafi et de son fils Saïf al-Islam de révéler les transferts d’argent ?
FA : Kadhafi a été celui qui ne voulait pas, au sommet de l’État libyen, sortir les documents. Il ne croyait pas que Nicolas Sarkozy irait jusqu’au bout de ses menaces de guerre totale. C’est ce que son tout premier cercle nous a raconté en six ans d’enquête. Il y a là une dimension psychologique intéressante.
Mais effectivement, pourquoi cette guerre ? Il y a plusieurs raisons, certaines que nous ignorons sans doute encore. Mais je vois trois raisons particulières. Un an avant les élections présidentielles de 2012, faire la guerre est très bon pour les sondages car en France, on est au garde-à-vous devant l’imminence d’un conflit. De fait, la cote de Nicolas Sarkozy bondira dans les sondages. La question institutionnelle se pose qu’un homme, le président de la République, peut décider seul, sans contrôle, d’entraîner son pays dans la guerre. Cette guerre permet aussi de redorer le blason de la France après sa position honteuse vis-à-vis des premiers Printemps arabes, en Tunisie comme en Égypte.
La France, sur ces questions éthiques, a du mal à se regarder en face. Pourtant, c’est surement l’affaire la plus grave de la Ve République car derrière, directement ou indirectement, se profile la guerre. Argent et sang
Enfin, on sait que quand les insurgés prennent possession des ministères régaliens, ils prennent aussi possession des archives. Or si c’est vous qui faites la guerre, c’est un peu plus simple d’éviter que des documents compromettants ne se dispersent. Si c’est vous qui armez les insurgés et bombardez les ministères, le risques est maîtrisé.
Plus largement, il y a eu une coalition d’intérêts, Kadhafi dérangeait une partie du monde occidental. Kadhafi voulait la fin du franc CFA, ses relations devenaient difficiles avec Total et d’autres multinationales du pétrole, sa coopération avec certains services de renseignement pouvait poser question.
Il y a plusieurs raisons possibles à l’intérêt qu’ont eu certains à déclencher cette guerre. Je ne suis pas pour les explications simplistes. Mais ce qui m’indigne est qu’on ait fait semblant de découvrir en mars 2011 que Kadhafi était un dictateur. Pourtant, quelques mois plus tôt, nous l’armions, nous le recevions.
Si c’est vous qui faites la guerre, c’est un peu plus simple d’éviter que des documents compromettants ne se dispersent
Certains faits ne collent pas avec le récit officiel du déclenchement de cette guerre. Bien sûr qu’il y a eu une révolte du peuple libyen, des insurgés, des répressions sanglantes. Mais dire, comme cela a été dit, qu’il y avait un génocide en cours, des massacres massifs de populations civiles, des crimes contre l’humanité, cela n’est pas vrai. La presse mondiale a ainsi repris l’information selon laquelle l’aviation libyenne aurait bombardé, le 21 février 2011, les populations civiles. Mais cette scène n’a pourtant pas existé. Une forme de storytelling a été créée autour de cette guerre qui tranche avec les compromissions françaises antérieures.
Quelles sont désormais les conséquences de cette guerre ? La Libye est ravagée, balkanisée, une autre guerre a été provoquée au Mali. Le parlement britannique a établi un rapport très critique sur cette guerre, et parle de données « erronées » quant aux informations qui ont présidé à son déclenchement.
MEE : Vous dites que cette affaire est la plus importante de la Ve République. Mais n’est-elle pas aussi la continuation par les mêmes moyens de la chiraquie par la sarkozie ?
FA : Les deux hypothèses se tiennent. Ce livre ne porte pas que sur Sarkozy, Guéant, etc. Il tente de montrer la permanence d’un système corruptif au cœur de l’État. Deux hommes qui se détestent sont au centre de ce système : Ziad Takieddine et Alexandre Djouhri.
Les plus hauts personnages de l’État français ont mis la part la plus ténébreuse de la République entre les mains de ces hommes. Puis quand tout se passe mal, ce sont eux qu’on lâche, alors qu’ils étaient bien utiles pour faire tout ce que l’État n’a pas le droit de faire : porteurs de valises d’argent, placements dans des paradis fiscaux, contrats d’armements avec des commissions occultes.
Le complexe militaro-industriel existe aussi en France. Dans un chapitre de notre livre, « De Karachi à Kadhafi », nous avons effectivement tenté de montrer que ce sont bien les mêmes pratiques, la même bande, les mêmes usages qui ont lieu, depuis au moins le début des années Balladur [Premier ministre sous le second mandat de Mitterrand, 1993-1995] jusqu’à Sarkozy, de l’Arabie saoudite à la Libye.
Il y a effectivement une permanence du système. La France, sur ces questions éthiques, a du mal à se regarder en face. Pourtant, c’est surement l’affaire la plus grave de la Ve République car derrière, directement ou indirectement, se profile la guerre. Argent et sang.
Des gens meurent aussi. L’ancien Premier ministre libyen Choukri Ghanem, celui qui consignait en 2007 les versements pour l’équipe Sarkozy, a été retrouvé noyé dans le Danube en avril 2012 ; Mohamed Albichari, un anti-kadhafiste qui a mis les services français sur la piste des enregistrements clandestins effectués par Kadhafi, est mort soudainement d’une crise de diabète à Tunis, lui aussi au printemps 2012 pendant la campagne présidentielle française. Il y a quand même un gros point d’interrogation derrière ces décès.
MEE : Mais pourquoi Sarkozy lâche-t-il Ziad Takieddine, autorisant son contrôle à l’aéroport du Bourget alors que l’homme d’affaires revenait avec 1,5 million d’euros en cash. Au risque que ce dernier parle. D’ailleurs, cet argent devait-il stopper la machine guerrière impulsée par la France ?
FA : Le clan Sarkozy en avait peur. Ils ne savaient plus quel jeu Ziad Takieddine jouait et ils le soupçonnaient, à raison, d’être proche des kadhafistes. La guerre se préparait et ils ne savaient plus s’il était loyal à Kadhafi ou à Sarkozy. Il revient alors à Paris, en provenance de Tripoli, déclenchant la panique du clan Sarkozy qui croit qu’il transporte des documents compromettants qui auraient pu donner du poids aux menaces des Kadhafi père et fils contre Sarkozy. La découverte de l’argent était fortuite. Cela se passe cinq jours avant que la France ne demande à l’ONU le vote de la résolution sur la zone d’exclusion aérienne. On ne sait pas à quoi aurait dû servir cette somme ; était-ce une rémunération pour Ziad Takieddine ? Ou était-ce de l’argent pour « calmer » les bruits de bottes en France ? On l’ignore.
MEE : Autre affaire qui se greffe, celle de l’argent qatari versé pour la libération des infirmières bulgares et du médecin palestinien accusés d’avoir inoculé le SIDA à des enfants libyens. Cet argent s’est volatilisé visiblement…
FA : Nous apportons des éléments nouveaux dans ce livre. L’évaporation d’une partie de cet argent qatari est un mystère. De fait, plus largement, il y a eu un jeu autour de la libération des infirmières, nous racontons que c’est une duperie. Cela a été vendu comme un sauvetage héroïque fait par Cécilia Sarkozy qui est allée chercher des infirmières pourtant « déjà libérées » selon les propos même d’un conseiller de Nicolas Sarkozy.
MEE : Vous évoquez l’idée de « Haute trahison ». Qui concernerait-elle ?
FA : Il y a des questions sur l’intensité de la lune de miel entre Sarkozy et Kadhafi, qui échangeront des mots tels que « Je prie avec vous Monsieur le Leader », « Nous ne prions pas de la même façon mais nous avons le même dieu », puis des questions sur la façon dont se termine cette guerre, par l’exécution de Kadhafi, mort sur laquelle nous n’apportons pas de réponse mais quelques bouts de réponse. Là, l’un a trahi l’autre, forcément.
Des questions se posent sur la façon dont se termine cette guerre, par l’exécution de Kadhafi […]. Là, l’un a trahi l’autre, forcément
Dans ce concept de Haute trahison, se déploie l’idée que la France a vendu son âme sur l’autel de l’argent sale et de la raison d’État. On nous serine constamment avec les valeurs de la République, Sarkozy se fait élire en s’opposant à la realpolitik cynique, et pourtant il a vendu des armes à Kadhafi et a été à deux doigts de lui vendre du nucléaire.
Puis vient la guerre. Sarkozy avait alors déclaré qu’il n’y avait qu’une option, celle de « la guerre totale ». Or, ce que la France fait voter à l’ONU est une « no fly zone » le 17 mars 2011. Une résolution qu’elle ne respecte même pas dans les heures qui suivent le vote onusien. Nous sommes intellectuellement, je crois, dans le concept de Haute trahison.
MEE : Pourquoi certains médias ont-ils semblé prudents ou tétanisés par cette affaire ?
FA : Ce n’est là que mon avis mais je remarque que, parfois, dans la profession de journaliste, les très grosses affaires font basculer les journalistes non pas dans le factuel mais dans la croyance. J’ai souvent entendu « je n’y crois pas ». Mais ce qui importe, ce sont les faits. Nous racontons des faits, recoupés et vérifiés.
Autre raison, Sarkozy a mis en place une stratégie consistant à empêcher les témoins de témoigner, il a fait pression sur les services secrets français, a comploté contre les juges et a censuré la presse ou du moins a tenté de la manœuvrer en demandant à des plumes fidèles d’écrire en un sens, ou de faire en sorte que des articles ne sortent pas. Mais heureusement qu’il y a des juges et policiers indépendants. Pourtant, sur cette affaire considérable, aucun juge n’est détaché à temps plein, pas un seul procureur non plus, pas même un policier.
Fabrice Arfi, Karl Laske, Avec les compliments du guide, Sarkozy-Kadhafi, l’histoire secrète (Fayard, 2017)
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