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L’antique tombeau de Jonas : « Quand l’EI l’a fait exploser, j’ai pleuré pendant trois jours »

L’EI a profané un des sites les plus vénérés en Irak, mais la découverte d’un ancien palais parmi les ruines a procuré un peu de réconfort aux habitants
Abu Neshwan (70 ans) retient ses larmes en visitant la mosquée en ruines pour la première fois en deux ans et demi (Tom Westcott/MEE)

Le tombeau est consacré à la mémoire du prophète de l’Ancien Testament, vénéré tant par les chrétiens que par les musulmans (dans l’islam, Jonas est communément connu sous le nom de « Yunus »). Jonas a prêché en Irak, mais on se souvient généralement de lui pour avoir survécu au fait d’être mangé par une baleine.

L’État islamique (EI) a fait exploser l’ancienne mosquée de Nabi Younis, construite autour du tombeau présumé de Jonas (ou Younis), après avoir pris le contrôle de Mossoul en juillet 2014.

Des soldats irakiens prenant une pause du front de Mossoul posent pour des photos à côté des ruines (Tom Westcott/MEE)

Construite sur les ruines d’une ancienne église assyrienne, la mosquée compte parmi les innombrables lieux de culte sunnites, chiites et chrétiens profanés par le groupe terroriste dans la ville.

Pendant deux ans et demi, même la simple visite des ruines de la mosquée était interdite. Cependant, depuis la libération du quartier de Nabi Younis en janvier, les décombres de la mosquée ont retrouvé un nouveau souffle de vie, attirant des centaines de soldats et d’habitants.

« Chaque fois que nous étions malades ou tristes, ma mère nous amenait ici et nous étions toujours heureux » – Abu Neshwan

Abu Neshwan (70 ans) s’est rendu sur le site pour la première fois en près de trois ans, assisté par un ami qui l’a aidé à escalader les décombres.

Pendant des siècles, le site, réputé pour ses sépultures ornées et son intérieur richement décoré, a attiré chaque année des milliers de pèlerins chrétiens et musulmans et de touristes.

Abu Neshwan a rappelé que de nombreux Irakiens réalisant le hadj à La Mecque passeront d’abord deux jours à la mosquée de Nabi Younis, s’arrêtant là encore à leur retour.

À LIRE : Les dépêches de Tom Westcott depuis la ligne de front de Mossoul

« Je venais ici depuis que je suis bébé », a-t-il indiqué à MEE. « Chaque fois que nous étions malades ou tristes, ma mère nous amenait ici et nous étions toujours heureux », a-t-il ajouté, triturant son chapelet tandis que ses larmes coulaient.

Destruction gratuite

Le lieu où se trouve aujourd’hui Mossoul est habité depuis 4 000 ans. À un moment donné, Ninive – qui fait maintenant partie du centre-ville de la métropole moderne – fut brièvement la plus grande ville au monde.

La région est riche en trésors archéologiques, qui ont été menacés par des années de conflit.

Les habitants de Mossoul qui vivent près du site de la colline ont raconté comment les militants de l’EI ont pillé les lieux. Le groupe a sermonné les habitants sur les fléaux de l’adoration dans un bâtiment contenant une tombe, avant de le faire sauter avec une énorme pile d’explosifs incendiaires.

Les ruines de la mosquée Nabi Younis, à Mossoul (Tom Westcott/MEE)

Ibrahim (26 ans) a déclaré : « Je les ai regardés sortir toutes les choses historiques du sanctuaire, les charger dans un gros camion, avant de préparer les explosifs pour le faire sauter. »

« J’ai tout vu », a renchéri Mohammed (51 ans) qui vit dans l’une des humbles habitations voisines. « Ils sont venus ici avec des explosifs et des bidons d’essence et ont tout relié avec des fils avant de déclencher l’explosion à distance.

« Ils nous ont dit qu’il était interdit dans l’islam d’avoir une tombe à l’intérieur d’une mosquée et ont ajouté que cela signifiait que nous priions une tombe au lieu de nous adresser directement à Dieu. »

Lors d’une réunion à Paris le mois dernier, des responsables irakiens et des dizaines d’experts internationaux ont accepté de coopérer et de restaurer le trésor culturel saccagé et détruit.

Le ministre irakien de la Culture, Salim Khalaf, a déclaré le mois dernier que plus de 700 objets auraient été pillés pour le seul tombeau.

Pour les habitants locaux, le désespoir est bien plus profond.

« J’ai pénétré dans les ruines et tout a été détruit. Il y avait des copies du Coran au sol. Ils ne les ont même pas ramassées et pourtant ils se disent musulmans » – Mohammed

« C’était notre prophète parce que nous croyons aux prophètes, explique Mohammed, mais nous ne pouvions rien faire pour les arrêter et nous ne pouvions rien dire parce que nous aurions été arrêtés et punis. »

« Après leur départ, j’ai pénétré dans les ruines et tout a été détruit. Il y avait des copies du Coran au sol. Ils ne les ont même pas ramassées et pourtant ils se disent musulmans. »

Abu Neshwan a ajouté : « Quand Daech [EI] l’a fait sauter, nous avons vu l’énorme éclat de l’explosion depuis la ville plus bas et j’ai pleuré pendant trois jours. »

Ancien palais assyrien

Après avoir réduit le site en ruines, des militants de l’EI ont creusé des tunnels en dessous, créant une partie d’un vaste réseau souterrain pour préparer leur défense de Mossoul.

Les archéologues irakiens ont récemment pénétré dans ces tunnels – et ont découvert qu’ils conduisaient à un ancien palais assyrien auparavant inexploré qui remontrait aux environs de 600 ans avant J-C.

L’entrée d’un tunnel de l’État islamique (Tom Westcott/MEE)

Le photographe espagnol Andoni Lubaki figurait parmi la poignée de journalistes occidentaux qui sont entrés dans le palais. « Il y avait beaucoup de reliefs sculptés sur les murs, y compris deux chevaux sans tête, quelques chiffres et des inscriptions en araméen », a-t-il rapporté à MEE.

« Il y avait une collection d’objets anciens sur le sol, qui semblaient avoir été amassés par l’EI, peut-être dans le but de les vendre, et de nombreux os d’enfants. Un des archéologues a expliqué qu’il pourrait s’agir d’un ancien cimetière réservé aux enfants. »

Andoni Lubaki a dit qu’il y avait des preuves que l’EI avait utilisé le palais souterrain comme base, et que leurs vêtements et chaussures étaient encore éparpillés. Une odeur piquante émanant de la décomposition des cadavres de membres de l’EI imprégnait l’air et rendait difficile pour quiconque de passer plus de quelques minutes dans la chambre.

Des visiteurs traversent l’une des rares colonnades encore debout (Tom Westcott/MEE)

« Nous sommes descendus au premier niveau et nous sommes entrés dans une grande pièce d’où partaient trois autres tunnels. Nous ne pouvions pas aller plus loin parce que les récents éboulements montraient une instabilité manifeste. Lorsqu’un obus de mortier a atterri sur un quartier éloigné, du sable a coulé du plafond.

« Nous ne pouvions pas aller plus loin parce que c’était manifestement instable. Lorsqu’un obus de mortier a atterri sur un quartier éloigné, du sable a coulé du plafond » – Andoni Lubaki, photographe

« Après avoir parlé à l’UNESCO, les archéologues irakiens ont décidé de sceller le tunnel pour protéger les artefacts restants des voleurs ou d’autres dommages. » Andoni Lubaki a ajouté que certains éléments historiques avaient déjà été pillés depuis que la zone a été libérée.

Lubaki a dit que les archéologues irakiens croyaient que l’ancien palais avait d’autres niveaux allant plus loin dans la colline mais a dit que la structure était devenue trop instable pour risquer de l’explorer davantage à l’heure actuelle.

Espoirs de reconstruction

En parcourant l’une des rares colonnades qui a survécu à l’explosion, les habitants de Mossoul se sont rappelé avec nostalgie les jours d’été d’avant l’EI, lorsque les visiteurs se rassemblaient sur le site pour effectuer de simples rituels de prière, déambulant dans le sanctuaire, priant les mains ouvertes et touchant la tombe.

« Des musulmans et des chrétiens venaient de toute l’Irak et du monde entier – de Turquie, d’Inde et d’Europe – pour visiter ce sanctuaire. Parfois, on pouvait compter jusqu’à un millier de visiteurs en une seule journée », a déclaré Mohammed.

À LIRE : « Ils m’ont ordonné de cracher sur la croix » : comment l’EI a terrorisé les chrétiens d’Irak

Il a expliqué que la pente en escalier menant à la colline sur laquelle la mosquée a été construite était un site populaire pour les pique-niques familiaux pendant les mois d’été. « Si vous veniez ici un vendredi, vous ne pouviez même pas entrer, c’était tellement bondé. Nous avons passé de si beaux jours ici. »

L’émancipation généralisée à la libération de l’est de Mossoul n’a pas été ternie par la découverte des dommages infligés aux sites historiques et religieux à proximité.

L’est de Mossoul vu des ruines de la mosquée de Nabi Younis (Tom Westcott/MEE)

Malgré leur chagrin à la vue des décombres de la mosquée, la plupart des visiteurs ont évoqué avec optimisme la possibilité de reconstruire leur sanctuaire autrefois sacré. Mohammed a déclaré qu’un riche bienfaiteur dans un autre pays arabe avait déjà promis des fonds pour la reconstruction de la mosquée Nabi Younis.

Pour sa part, Abu Neshwan a promis que si le sanctuaire était reconstruit alors il sacrifierait une brebis en signe de célébration et donnerait la viande aux pauvres.

Puis il est remonté sur les décombres pour commencer sa lente descente vers l’est de Mossoul.

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

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