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L’Arabie saoudite prive près de 3 millions de Palestiniens du hadj et de la oumra

Riyad refuse de remettre des visas aux Palestiniens de Jordanie, du Liban, de Jérusalem-Est et d’Israël qui souhaitent effectuer le hadj et la oumra
La Kaaba pendant le pèlerinage (AFP) / Le prince héritier Mohammed ben Salmane, dirigeant de facto de l’Arabie saoudite depuis juin 2017 (Reuters)

L’Arabie saoudite interdit à plus d’un million et demi de Palestiniens étant citoyens israéliens de voyager avec des passeports jordaniens temporaires pour effectuer le pèlerinage islamique du hadj et de la oumra dans la ville sainte de La Mecque, selon des informations obtenues par Middle East Eye.

Cette mesure fait partie de la nouvelle politique saoudienne visant à cesser de délivrer des visas pour le hadj et la oumra aux Palestiniens vivant en Jordanie, au Liban, à Jérusalem-Est et, plus récemment donc, aux Palestiniens résidant en Israël, titulaires de documents de voyage temporaires délivrés par la Jordanie ou le Liban – une politique entrée en vigueur le 12 septembre.

Cette mesure affecte au total 2,94 millions de Palestiniens dans ces États, lesquels n’ont accès à aucun autre document de voyage leur permettant de se rendre en Arabie saoudite, où des millions de musulmans réalisent chaque année un pèlerinage dans les villes saintes de La Mecque et Médine.

Cette décision saoudienne fait partie d’un accord bilatéral avec Israël visant à mettre fin à « l’identité palestinienne et au droit au retour des réfugiés », selon une source jordanienne

Plusieurs agents de voyage interrogés par MEE en Israël, à Jérusalem-Est et en Jordanie ont déclaré qu’ils avaient été informés par le ministère jordanien des Awqaf et des Affaires islamiques que l’ambassade d’Arabie saoudite à Amman leur avait ordonné de ne pas demander de visa pour les personnes souhaitant se rendre à La Mecque avec un passeport jordanien temporaire.

Accord israélo-saoudien

Une source jordanienne, parfaitement au fait des affaires diplomatiques de son pays, a déclaré à MEE que cette décision saoudienne faisait partie d’un accord bilatéral avec Israël visant à mettre fin à « l’identité palestinienne et au droit au retour des réfugiés ».

« L’Arabie saoudite fait pression sur la Jordanie pour qu’elle naturalise les réfugiés palestiniens en Jordanie, les Palestiniens à Jérusalem-Est et maintenant les Palestiniens en Israël. La même chose pourrait se produire au Liban. Dans ce cas, il n’y aura plus de problème de réfugiés palestiniens », a expliqué la source. En effet, en refusant leurs visas, l’Arabie saoudite pousse tous les Palestiniens, y compris ceux qui résident en Israël, à obtenir un passeport permanent en Jordanie, ce qui implique une naturalisation.

« Tout cela fait partie d’un accord bilatéral entre Israël et l’Arabie saoudite. Toutefois, la Jordanie refuse de naturaliser les Palestiniens », a ajouté la source.

Des musulmans prient sur le mont Arafat lors du pèlerinage à La Mecque, le 30 août 2017 (AFP)

Des députés jordaniens ont expliqué à MEE que la Jordanie délivrait des documents de voyage temporaires depuis 1978 aux citoyens palestiniens d’Israël, qui ont été soumis au régime militaire israélien de 1948 à 1966.

Saud Abu Mahfouz, un député jordanien, a indiqué que les parlementaires avaient demandé aux ministres jordaniens de l’Intérieur et des Awqaf d’envoyer une délégation dans la capitale saoudienne, Riyad, pour négocier un revirement de la politique et appelé le roi Salmane à intervenir. 

« La décision concerne tous les Arabes et les musulmans ayant le droit de culte. Nous recevons des plaintes à ce sujet depuis l’année dernière et nous avons été surpris de constater que près de 200 sociétés de tourisme en Jordanie n’étaient pas en mesure d’obtenir un visa électronique auprès de l’ambassade saoudienne pour les Palestiniens souhaitant faire la oumra», a précisé Abou Mahfouz.

Un autre député jordanien, Yahya al-Saud, a déclaré qu’il avait demandé à rencontrer l’ambassadeur saoudien à Amman, Khaled ben Fayçal, mais que l’ambassade n’avait pas encore fixé de date pour cette rencontre.

« Il y a une pression sur la Jordanie. Les Saoudiens disent que seules les personnes munies d’un passeport permanent peuvent obtenir un visa pour le hadj et la oumra », a-t-il ajouté.

Trente ans de privation du hadj

Avant 1978, les citoyens palestiniens d’Israël avaient passé trois décennies sans pouvoir faire le hadj et la oumra, une situation qui a pris fin lorsque le défunt roi de Jordanie, Hussein ben Talal, a lancé une politique, en coordination avec la Ligue arabe, visant à délivrer des cartes de voyage pour qu’ils puissent effectuer le hadj, l’un des cinq piliers de l’islam.

Après 2000, le Département jordanien de l’état civil et des passeports à Amman a commencé à leur délivrer des passeports temporaires au lieu de cartes de voyage valables un an et coûtant 50 dinars jordaniens (environ 60 euros).

Un passeport temporaire jordanien délivré aux Palestiniens de Jérusalem-Est et de Jordanie (AP)

L’Arabie saoudite et la majorité des États arabes ne reconnaissent pas le passeport israélien. Le passeport temporaire jordanien était un outil destiné à faciliter les pèlerinages du hadj et de la oumra à la Mecque pour les citoyens palestiniens d’Israël titulaires d’un passeport israélien.

« À partir de 1978, nous avons seulement été autorisés à faire le hadj, mais dans les années 1990, l’Arabie saoudite nous a permis d’effectuer [également] la oumra », a déclaré à MEE Salim Shal’atah, président du Comité du hadj et de la oumra pour les musulmans de 1948, qui organise les voyages en Arabie saoudite.

« La décision concerne tous les Arabes et les musulmans ayant le droit de culte »

- Saud Abu Mahfouz, député jordanien

Shal’atah a expliqué que le ministère jordanien des Awqaf et des Affaires islamiques leur avait annoncé le mois dernier que l’ambassade saoudienne à Amman lui avait refusé un visa ainsi qu’à deux de ses collègues sur leur passeport temporaire jordanien.

« Nous allions vérifier les hôtels et d’autres préparatifs de voyage pour la nouvelle saison de la oumra qui commence le 16 décembre, comme nous le faisons chaque année, mais aucun visa n’a été délivré », a-t-il précisé.

Shal’atah a expliqué que les citoyens palestiniens d’Israël devaient déposer leur passeport israélien à la frontière jordanienne pour pouvoir poursuivre leur voyage vers l’Arabie saoudite. À leur retour, les autorités jordaniennes prennent les passeports temporaires jordaniens, valables pour un seul voyage, et les échangent contre les passeports israéliens à la frontière.

Chaque année, 4 500 pèlerins palestiniens d’Israël font le hadj, a déclaré Shal’atah, tandis que 20 000 à 25 000 personnes effectuent la oumra.

Le « problème » des réfugiés palestiniens

MEE a rapporté en septembre que l’Arabie saoudite avait interdit aux Palestiniens détenteurs d’un passeport jordanien temporaire d’entrer dans le pays, une mesure qui affecte directement près de 634 000 Palestiniens vivant en Jordanie et 324 000 à Jérusalem-Est occupée par Israël.

Plusieurs agences de voyage interrogées à l’époque par MEE ont déclaré qu’elles avaient été informées début septembre qu’elles ne devaient pas demander de visa pour les personnes cherchant à voyager avec un passeport jordanien temporaire, bien qu’aucune annonce officielle saoudienne n’eût été faite.

Le passeport temporaire jordanien est un document valable cinq ans délivré aux Palestiniens vivant à Jérusalem-Est occupée par le service de l’état civil et des passeports à Amman.

Les titulaires d’un passeport temporaire n’ont pas de numéro d’identification national jordanien et ne jouissent donc pas pleinement des droits inhérents à la citoyenneté jordanienne.  

Les Palestiniens vivant à Jérusalem-Est utilisent ce passeport simplement comme document de voyage pour se déplacer à l’étranger, en particulier dans la majorité des pays arabes qui ne reconnaissent pas Israël ou les documents de voyage délivrés par Israël.

Les réfugiés palestiniens au Liban détiennent un titre de voyage pour réfugiés délivré par la Direction générale de la sûreté générale (capture d’écran)

En octobre, MEE a annoncé une autre décision de l’ambassade d’Arabie saoudite au Liban interdisant aux réfugiés palestiniens d’obtenir un visa d’entrée pour le hadj et la oumra sur leur titre de voyage pour réfugiés.

Un responsable du bureau du consul d’Arabie saoudite à Beyrouth a confirmé à l’époque à MEE que suite à une décision prise par le ministère saoudien des Affaires étrangères à Riyad, le bureau du consul avait informé les agences touristiques libanaises qu’aucun visa ne serait apposé au titre de voyage pour réfugiés des Palestiniens pour le hadj et la oumra, une décision entrée en vigueur le 12 septembre.

« Les réfugiés palestiniens [au Liban] peuvent désormais obtenir des visas sur un passeport de l’Autorité palestinienne », a déclaré le responsable.

Achraf Dabbour, ambassadeur de l’Autorité palestinienne à Beyrouth, a déclaré à MEE que l’ambassade avait été informée de la décision saoudienne sur les visas via des canaux non officiels et par le bouche-à-oreille, par des personnalités locales palestiniennes.

Il a cependant nié que l’Autorité palestinienne délivrerait des documents de voyage aux réfugiés du Liban souhaitant se rendre en Arabie saoudite.

À LIRE ► L’Arabie saoudite prive les réfugiés palestiniens du Liban de pèlerinage à La Mecque

Le nombre de réfugiés palestiniens au Liban s’élèverait à 174 422, selon le premier et unique recensement de la communauté réalisé dans le pays en décembre dernier.

Ils sont titulaires d’un titre de voyage pour réfugiés délivré par la Direction générale de la sûreté générale du Liban, valide pour un, trois ou cinq ans, pour des frais de dossier similaires à ceux d’un passeport libanais, soit 40 dollars par année de validité. Ils n’ont actuellement accès à aucune autre forme de titre de voyage leur permettant de se rendre en Arabie saoudite.

Les réfugiés palestiniens au Liban n’ont pas de droits civiques leur permettant de voter lors des élections législatives ou municipales. Il leur est également interdit d’exercer vingt professions, notamment dans le droit, la médecine et l’ingénierie, et ils ne sont pas autorisés à travailler dans les institutions gouvernementales dans la mesure où le droit libanais les désigne comme des « étrangers ».

L’interdiction des visas saoudiens dans les médias

Certains médias palestiniens et arabes ont fait le lien entre l’initiative saoudienne et la proposition d’« accord du siècle » que le président américain Donald Trump n’a pas encore annoncée, alors que des rumeurs circulent selon lesquelles Washington aurait sollicité le soutien de l’Arabie saoudite en faveur de mesures qui révoqueraient le droit au retour des réfugiés palestiniens déplacés suite à la création d’Israël en 1948 et aux guerres israélo-arabes qui ont suivi.

Par le biais de ces mesures, les réfugiés palestiniens au Liban et en Jordanie seraient pleinement naturalisés et se verraient attribuer un numéro d’identification national.

Haaretz a rapporté que la nouvelle interdiction des visas saoudiens imposée aux citoyens palestiniens d’Israël visait à « examiner la possibilité pour les citoyens musulmans d’Israël de voyager directement à destination de l’Arabie saoudite, dans le cadre de la détente croissante entre Israël et l’Arabie saoudite ».

Le 11 septembre, le ministre israélien des Transports, Yisrael Katz, a salué dans un tweet l’« initiative » de Trump face à la question des réfugiés palestiniens, affirmant que le « problème » des réfugiés palestiniens en Jordanie, en Syrie, au Liban et en Irak « ferait bien de disparaître du monde ».

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

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