La Constitution, un costume trop étroit pour Bouteflika
ALGER – « La seule raison pour laquelle Abdelaziz Bouteflika compte réviser la Constitution, c’est parce que les Américains et les Français, depuis les révoltes arabes, le lui ont demandé pour donner des garanties d’ouverture du régime. Mais dans le fond, la Constitution n’est pour lui qu’un texte de loi comme un autre, que l’on bricole au profit d’intérêts personnels. »
C’est avec beaucoup de distance que ce cadre de l’État, sollicité par Middle East Eye, attend la prochaine révision de la Constitution, promise pour la fin de l’année par Ahmed Ouyahia, ministre d’État et directeur de cabinet à la présidence. Dans l’entourage du chef de l’État aussi, cet énième effet d’annonce provoque des sourires en coin. Car personne ne croit vraiment à la réforme du texte fondamental, en chantier depuis 2011.
« Il faut se remettre dans le contexte du moment », confie un fidèle du sérail à MEE. « Comme le Maroc, nous avions peur d’une contamination des Printemps arabes. Mohamed VI [le roi du Maroc] a donc annoncé une réforme constitutionnelle en faveur de nouvelles libertés. Abdelaziz Bouteflika, lui, a demandé à Abdelkader Bensalah, le président du Conseil de la nation [le sénat], et à son conseiller militaire, le général-major Mohamed Touati, de mener des consultations avec la classe politique et la société civile dans le même objectif. »
Problème : ni les associations, ni l’opposition, qui voient dans ce projet une nouvelle façon d’acheter la paix sociale, n’ont adhéré au projet, qui a fini dans les tiroirs.
Il faudra attendre l’été 2014, soit trois ans plus tard, pour qu’Abdelaziz Bouteflika, réélu pour un quatrième mandat, relance le processus de consultations, avec cette fois Ahmed Ouyahia en chef d’orchestre. Même si l’opposition et certaines figures politiques crédibles, dont l’ancien chef de gouvernement Mouloud Hamrouche, refusent encore de se prêter au jeu, il en sortira une mouture, bien qu’encore non approuvée ni par le parlement ni par referendum.
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« Belles idées et jolis mots »
« Elle parlera de ‘’liberté d’expression’’, de ‘’plus grandes prérogatives pour le parlement’’ ou encore de ‘’justice indépendante’’, de belles idées et de jolis mots que tout le monde a envie d’entendre et pas plus, car derrière, il n’y aura aucun décret d’application », résume avec cynisme un conseiller du président consulté par MEE.
« Le texte continuera de consacrer la supériorité de la fonction présidentielle. Autrement dit, rien ne changera. »
La constitutionnaliste Fatiha Benabbou, qui a étudié le texte sous toutes ses coutures, précise : « On compare souvent la Constitution algérienne à la Constitution française ou américaine en la qualifiant d’’’hyper présidentielle’’ mais ce n’est pas tout à fait juste », analyse-t-elle pour MEE.
« En réalité, c’est une Constitution présidentialiste, où le président n’a en face de lui aucun contre-pouvoir. Il incarne l’unité de la nation, comme les anciens rois de France. Il est à la fois le législateur [au même titre que le parlement, qu’il peut dissoudre sans condition], le gouvernant [même si en apparence c’est le Premier ministre qui assume la responsabilité politique à sa place] et le président du Conseil supérieur de la magistrature. Il nomme aussi trois postes clés, dont celui de président du Conseil constitutionnel ».
« En conclusion, il a la mainmise sur toutes les institutions. »
« Burnous »
Cette concentration des pouvoirs amène un ex-ministre du chef de l’État à une autre analyse. « Moi, je crois au contraire que Bouteflika, comme tous les présidents algériens, tient à mettre au point sa propre Constitution, au moins pour inscrire dans le marbre tous ses projets inachevés et montrer qu’il avait une vision politique », affirme-t-il à MEE.
« Pour tous ces dirigeants qui ont mûri dans une culture de coups d’État, dans les arcanes d’un système opaque, militaire par essence, la Constitution est comme un burnous, une façon de s’envelopper d’une légitimité civile. »
Celle de 1976 avait permis au président Houari Boumediene d’affiner celle de 1963, adoptée par son prédécesseur Ahmed Ben Bella, en installant des institutions de manière claire, tout en confortant des choix politiques (l’option socialiste) et idéologiques (l’arabe et l’islam comme langue et religion d’État). Avec celle de 1989, son successeur, Chadli Bendjedid, avait assumé les siens : les prémices d’une ouverture économique et la fin du parti unique, une des bases politiques du système. Avec celle de 1996, le président Liamine Zeroual créa le Conseil de la nation, le sénat algérien.
« La priorité à ce moment-là était de conforter des institutions dans un pays ravagé par la guerre », précise l’ancien ministre de Bouteflika. « Éviter un nouveau scénario comme celui de 1992 [quand les généraux annulèrent les élections remportées par le Front islamique du salut, ce qui avait débouché sur une décennie de guerre civile]. La création du sénat permettait alors de bloquer une majorité parlementaire si elle venait à nouveau à menacer la stabilité du pays. »
Depuis son arrivée au pouvoir en 1999, Abdelaziz Bouteflika ne s’en est jamais caché : ce système constitutionnel, « ni présidentiel, ni parlementaire », selon ses termes, ne lui convient pas. « Le problème, c’est qu’aucune Constitution ne lui conviendra jamais », croit savoir un proche. « Il est comme ça, il veut exercer le pouvoir en dehors de toute forme de Constitution.
« Pour rappel, en 2008, il l’a amendée pour faire sauter le verrou du nombre de mandats présidentiels et briguer un troisième mandat. Et il a supprimé le poste de chef de gouvernement pour créer celui de Premier ministre, avec moins de prérogatives ! »
L’opposition, qui dénonce régulièrement ces « viols de la Constitution », ne se fait pas non plus d’illusions. Ali Benflis, chef du parti l’Avant-garde des libertés et ex-candidat à la présidentielle, estime par exemple que cette révision « n’a d’autres desseins que de donner un second souffle à la manœuvre dilatoire et à l’entreprise de diversion qui durent depuis près de quatre ans, suite aux soulèvements arabes ».
Hichem, militant de la Coordination nationale pour la transition et les libertés démocratiques, un collectif de partis et de figures de l’opposition, conclut : « Une Constitution peut parfois porter l’esprit d’une époque, un moment de la nation. Comme celle de 1996. Mais quel esprit portera celle-là dans un État où le réflexe autoritaire est encore un réflexe de survie ? Où les mécanismes démocratiques ne sont pas encore matures ? On va avoir une nouvelle Constitution, et après ? Tout le monde sait que ce n’est pas Bouteflika qui va instaurer un État de droit. »
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