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La Russie veut que l’Iran quitte la Syrie, mais les Iraniens ne le voient pas d’un bon œil

Moscou a d’abord déclaré que toutes les forces étrangères devaient quitter la Syrie, puis a indiqué que seuls les soldats syriens devraient se trouver à la frontière israélienne. Les Iraniens s’interrogent : peuvent-ils faire confiance à Poutine ?
Défilé de soldats iraniens à l’occasion de la Journée de l’Armée à Téhéran, en 2017 (AFP)

TÉHÉRAN – Partenaires dans la guerre en Syrie et adeptes d’un profond scepticisme envers Washington, la Russie et l’Iran ont uni leurs forces au cours des dernières années alors que les deux pays jouent un rôle plus actif au Moyen-Orient.

Pourtant, des doutes apparaissent à Téhéran quant à la fiabilité de la Russie, alors que de nombreux acteurs régionaux commencent à se frayer un chemin à travers les tensions dans le sud de la Syrie.

« Personne ne peut forcer l’Iran à faire quoi que ce soit. L’Iran est un pays indépendant et ses politiques sont déterminées par les intérêts de la République islamique dans le monde »

– Bahram Qassemi, porte-parole du ministère iranien des Affaires étrangères

Depuis plusieurs semaines, certains signes suggèrent que la Russie tente de limiter l’activité militaire de l’Iran en Syrie.

Le 17 mai, le président russe Vladimir Poutine a déclaré que suite aux récentes victoires de l’armée syrienne, les forces étrangères devaient se retirer de la Syrie. Invité à apporter des éclaircissements, l’envoyé spécial de Poutine a affirmé que le président faisait référence aux soldats turcs, américains, iraniens et du Hezbollah.

Ce lundi, quelques jours après que l’armée syrienne a largué des tracts sommant les rebelles de Deraa de déposer les armes, des responsables israéliens et russes ont ensuite déclaré publiquement que seuls les soldats syriens devaient être présents alors que le gouvernement cherche à reprendre la province méridionale du pays.

Du point de vue de Téhéran, la volte-face russe a sonné comme une surprise, qui a déclenché des réactions virulentes ainsi qu’un débat quant à savoir s’il fallait encore faire confiance à Moscou.

« Tant que le terrorisme existera et que le gouvernement syrien le voudra, l’Iran aura une présence [en Syrie] », a déclaré Bahram Qassemi, porte-parole du ministère iranien des Affaires étrangères, le 21 mai.

Poste de contrôle à la périphérie de Damas, en mars (AFP)

« Personne ne peut forcer l’Iran à faire quoi que ce soit, a-t-il ajouté. L’Iran est un pays indépendant et ses politiques sont déterminées par les intérêts de la République islamique dans le monde. »

Ali Shamkhani, secrétaire du Conseil suprême de sécurité nationale iranien, a affirmé le 27 mai que l’Iran se trouvait en Syrie à la demande du gouvernement de Damas.  

Le silence des conservateurs, les critiques des réformistes

Comme on pouvait s’y attendre, les médias réformistes – généralement critiques envers les relations de Téhéran avec Moscou – ont exprimé un sentiment d’inquiétude vis-à-vis des déclarations du Kremlin, tandis que les médias reflétant la ligne dure, qui préfèrent voir l’Iran éviter l’Occident et se rapprocher plutôt de la Russie et de la Chine, gardent le silence.

Selon le quotidien réformiste Etemaad, la nouvelle position de la Russie est le reflet de la visite effectuée par le Premier ministre israélien Benyamin Netanyahou le 9 mai à Moscou, un jour après que le président américain Donald Trump a annoncé le retrait des États-Unis de l’accord sur le nucléaire.

« À la lumière de ce qui se passe en Syrie, il est nécessaire de s’assurer de la continuité de la coordination entre l’armée russe et l’Armée de défense d’Israël », a déclaré Netanyahou avant cette visite.

Le président russe Vladimir Poutine en compagnie du Premier ministre israélien Benyamin Netanyahou, à Moscou (AFP)

En outre, comme l’a noté Etemaad le 20 mai, après la rencontre, l’envoyé spécial de Poutine a désigné le Hezbollah et les forces iraniennes comme étant celles qui devaient quitter la Syrie, au contraire des forces israéliennes.

« Cela fait plusieurs années que le régime sioniste occupe une partie du territoire syrien sur le plateau du Golan ; de plus, [Israël] a lancé au cours des derniers mois des opérations offensives pour attaquer les différentes parties du territoire syrien », a précisé le quotidien.

Le site d’information modéré-conservateur Tabnak – qui appartient à Mohsen Rezaï, ancien commandant du corps des Gardiens de la révolution islamique – a pour sa part relié la position de Poutine au retrait américain de l’accord sur le nucléaire.

« Dans la foulée du retrait américain du plan d’action conjoint et du besoin exprimé par l’Iran quant à un soutien russe, il est probable que Moscou cherche à obtenir des concessions de la part de l’Iran en Syrie, des concessions susceptibles de rapprocher la position russe face à la crise syrienne de celle de l’Occident, dans la mesure où l’une des conditions fixées par l’Occident pour entamer des négociations avec la Russie sur la Syrie consiste à forcer [l’Iran] à se retirer de la Syrie », a analysé Tabnak le 18 mai.

Le journal réformiste Shargh a également réagi en rapportant que l’ennemi juré de l’Iran, l’Arabie saoudite, investissait à Moscou pour influencer progressivement la position de la Russie à l’égard de Téhéran.

« Il est probable que Moscou cherche à obtenir des concessions de la part de l’Iran en Syrie, des concessions susceptibles de rapprocher la position russe face à la crise syrienne de celle de l’Occident »

– Tabnak (site d’information)

« Sans l’ombre d’un doute, Riyad poursuit un objectif stratégique en se rapprochant de Moscou », a écrit Shargh le 23 mai. « La Russie, avec l’Iran, a réussi à renforcer sa position en Syrie puis, avec Téhéran et Ankara, [est parvenue] à organiser le sommet de Sotchi en tant qu’alternative aux pourparlers de Genève.

« Dans de telles circonstances, Riyad cherche à tirer parti de ses investissements considérables en Russie pour nuire à Téhéran en consolidant ses relations économiques avec Moscou. »

« Ni un allié, ni un défenseur »

Selon des réformistes iraniens interrogés par Middle East Eye, la Russie cherche à isoler davantage l’Iran maintenant que les États-Unis se sont retirés de l’accord sur le nucléaire.

Téhéran, selon eux, devrait chercher à renforcer ses relations avec l’Europe et se rappeler qu’il ne s’agit pas du premier coup de poignard porté par Moscou dans le dos de Téhéran.

« La Russie a conclu que l’Iran et les Américains entretiendraient des tensions plus intenses », a indiqué à MEE Rasool Hosseini, analyste réformiste spécialisé en politique étrangère. « Par conséquent, la possibilité de voir de nouveaux accords être conclus entre Téhéran et Washington semble s’être envolée. Poutine est désormais assuré que Téhéran n’a pas trop d’options et [la Russie] cherche à profiter de cette situation. »

Rencontre entre les ministres iranien, russe et turc des Affaires étrangères à Moscou, en avril (AFP)

« Dans de telles circonstances, Téhéran doit renforcer ses liens avec l’Europe afin d’empêcher la Russie de jouer la carte de l’Iran lors de ses conflits avec les États-Unis », a-t-il poursuivi.

Fereidoun Majlesi, ancien diplomate iranien, a exhorté le gouvernement à ne pas se fier pleinement à la Russie, ni à tout autre pays.

« La Russie n’est ni un allié, ni un défenseur de l’Iran. Un certain nombre de responsables à Téhéran comptent sur la Russie, ce qui n’est pas dans l’intérêt du pays. La Russie ne se sacrifiera jamais pour l’Iran et prendra une décision fondée sur ses propres intérêts », a-t-il affirmé.

Selon Majlesi, la Russie veut rester en Syrie sans rivaux.

« Si l’Iran reste en Syrie, cela donnera un prétexte aux États-Unis pour y déployer également leurs forces. C’est pour cela que l’envoyé spécial de Poutine a déclaré que tous les pays devaient quitter la Syrie », a-t-il déclaré.

Les conservateurs iraniens estiment quant à eux que si la Russie finit par s’aligner totalement avec Israël ou les États-Unis, elle n’aurait pas dû intervenir en Syrie en premier lieu.

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« Si Poutine était disposé à s’allier avec les États-Unis ou Israël, [les Russes] ne seraient certainement pas restés en Syrie pour assister à la mort d’au moins 100 conseillers militaires russes », a déclaré à MEE Hossein Kanani Moghaddam, analyste conservateur et secrétaire du Parti vert.

Reflétant la prudence croissante de l’Iran vis-à-vis du Kremlin, Moghaddam a néanmoins souligné : « La Russie est un partenaire stratégique de l’Iran, mais si [les Russes] sont censés se tourner vers Israël ou l’Amérique, l’Iran réétudiera ses relations avec la Russie.

« Tant que [le président syrien] Bachar al-Assad le souhaitera, l’Iran restera en Syrie. Ce qui importe, c’est la décision du gouvernement syrien. La Russie ne peut pas décider pour la Syrie et seul le gouvernement syrien peut prendre une décision sur la présence de forces militaires. »

C’est donc avec prudence et inquiétude que les décideurs à Téhéran attendront de voir si la Russie souhaite sérieusement voir les forces iraniennes quitter la Syrie.

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

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