La transsexualité en Iran : une loi libérale dans un pays conservateur
C’était un petit mariage si l’on se réfère aux standards iraniens. Juste 25 personnes. Mais pour Heydar et Leïla, c’était une journée très spéciale. Ce n’était pas seulement un mariage – c’était une reconnaissance de leur relation.
En regardant les photos du mariage, Leïla ne peut s’empêcher de sourire. C’était la première fois que leurs familles se rencontraient et que tous acceptaient finalement les décisions qu’elle et Heydar avaient prises.
Il y a deux ans, leurs noms étaient différents, et leur corps encore plus. Tous deux ont eu recours à ce qui est officiellement connu sous le nom de chirurgie de réattribution sexuelle.
Dans une société profondément conservatrice où les homosexuels encourent la peine de mort, l’union d’Heydar et de Leïla, qui est approuvée par la loi iranienne, peut en surprendre plus d’un en dehors du pays.
Malgré le manque de données officielles, l’Iran est considéré comme un des leaders au vu du nombre d’opérations de chirurgie de réattribution sexuelle qui y sont réalisées. Le gouvernement couvre même environ la moitié des coûts. Car l’Iran, une théocratie chiite, a adopté une loi très progressive en matière de droits des transsexuels.
Cette loi remonte aux années 70, quand Maryam Mulkara, une femme transsexuelle qui souhaitait changer de sexe, s’est mise à enquêter sur la position de l’islam sur la transsexualité. Après la révolution de 1979, le nouveau gouvernement lança des campagnes cruelles de purification morale et Mulkara sentit qu’elle devait se battre pour les droits des transsexuels. Elle rencontra Hashemi Rafsanjani, le porte-parole du parlement, qui promit d’évoquer la question avec l’ayatollah Khomeini.
La réponse ne fut toutefois pas satisfaisante, et elle décida de confronter le chef suprême en personne. Elle se rendit à son domicile et après une brève discussion, l’imam promulgua une fatwa indiquant que les opérations de changement de sexe seraient autorisées. Étant donné que Khomeini disposait de l’autorité suprême dans la nouvelle République, Mulkara, ainsi que des milliers d’autres personnes transsexuelles, purent alors jouir du droit légal de changer de sexe.
À présent, le processus de changement de sexe débute par quatre à six mois de psychothérapie, accompagnée par des tests hormonaux et chromosomaux. Ensuite, une commission spéciale étudie le cas et le demandeur est invité pour un entretien. Le certificat identifiant la personne comme soufrant d’un trouble de l’identité sexuelle est la première étape dans la voie vers l’opération ; il permet au candidat de commencer un traitement hormonal, lui donne accès à l’assurance maladie fournie par l’État, à l’exemption du service militaire, et au droit de renouveler ses documents d’identité.
Un transsexuel dans la famille
Heydar et Leïla se sont rencontrés lors d’un symposium sur la transsexualité. Heydar, un bloggeur célèbre, s’était déjà fait complètement opérer. Leïla attendait sa première opération. C’est Heydar qui l’a remarquée parmi la foule. Ils ont échangé leur numéro de téléphone et le lendemain, elle lui a envoyé un sms lui demandant : « As-tu une petite amie ? ». Il n’en avait pas.
Tous deux sont nés dans des familles traditionnelles et savaient qu’ils n’y avaient pas leur place. Dans une société où la ségrégation entre les sexes est forte, les rôles sociaux sont clairement définis ; l’école, les parents et la société plus largement œuvrent à préparer les individus à leurs rôles futurs et aux buts ultimes de la vie sociale : le mariage et la parentalité.
Heydar s’était toujours sentie différente des autres filles. En famille, il revêtait des habits d’homme et refusait de porter le voile. Au début, il pensait qu’il était lesbienne, mais après avoir lu amplement sur le sujet, il réalisa que les lesbiennes étaient bien dans leur corps alors qu’il détestait le sien ; il en conclut donc qu’il ne pouvait pas être une lesbienne. À l’âge de 23 ans, il découvrit que la chirurgie de réattribution sexuelle était autorisée en Iran. Il réussit le processus de sélection et la porte lui fut ouverte pour commencer le traitement hormonal.
Quand il annonça sa décision à sa famille, les réactions furent mitigées. Sa mère fut la plus dure à convaincre : il lui fallut de longs mois de conversation avant d’accepter qu’Heydar débute le traitement. Des poils firent alors leur apparition sur son visage et il commença à se faire harceler dans la rue, les gens le prenant pour un travesti.
Les opérations furent difficiles et douloureuses, mais il bénéficia du soutien de sa famille. On lui proposa ensuite un emploi dans une autre ville pour commencer une nouvelle vie.
Leïla grandit pour sa part dans une famille azérie très traditionnelle et patriarcale. En tant que garçon, elle était très féminine – et lourdement brutalisée à l’école.
Elle fut convaincue du fait qu’elle était transsexuelle à l’âge de 13 ans. À 17 ans, sa famille la conduisit chez un psychiatre et le diagnostic fut aisé : elle était en effet transsexuelle. Sa famille était dévastée. Un an plus tard, son frère l’attaqua au couteau. Elle décida de commencer le processus de sélection et prit la fuite.
Elle vécut dans la rue et subvint à ses besoins en vendant des biens. Elle alla seule se faire opérer, sans personne à ses côtés. C’est seulement après son mariage que sa famille accepta sa décision.
Le couple décida de ne pas dire à la famille de Leïla qu’Heydar aussi avait subi une opération de chirurgie de réattribution sexuelle. En Iran, les hommes sont considérés comme étant plus importants que les femmes, et après l’opération, une femme qui est devenue un homme pourrait ne pas être vue comme « totalement mâle ».
Les transitions de femme à homme sont toujours vues comme étant plus acceptables socialement que l’inverse : il est difficile pour une société patriarcale d’accepter que quelqu'un ne veuille pas être un homme, et le fait qu’une telle transition évoque à l’esprit des pratiques homosexuelles la rend encore plus négativement connotée.
Stigmates sociaux et manque d’éducation
Bien que la chirurgie de réattribution sexuelle soit légale et largement pratiquée en Iran depuis trente ans, la société en général ne comprend pas bien ce qu’est la transsexualité. Selon Mahtaa – un média online iranien pour les personnes transsexuelles – beaucoup pensent que la transsexualité est une maladie qui peut être « guérie ».
Mohammad, un représentant de Mahtaa, fait remarquer que « certaines personnes croient que les transsexuels sont des hermaphrodites dotés des deux sexes, et que l’opération sert à réparer le corps. Ils ne réalisent pas que le corps va bien, mais que c’est l’esprit qui ne va pas bien ».
Il y a aussi un manque de consensus entre les érudits chiites, beaucoup étant opposés à la chirurgie de réattribution sexuelle à part si les organes reproductifs n’apparaissent pas clairement comme étant mâles ou femelles. En outre, un certain nombre de psychiatres pensent que la transsexualité peut être « guérie » à l’aide de médicaments, de chocs électriques ou de l’islamo-thérapie – une thérapie spirituelle basée sur la religion qui vise à la dissuasion.
De même, ainsi que l’explique la professeure Afsaneh Najmabad dans son livre Professing Selves: Transsexuality and Same Sex Desire in Contemporary Iran, la transsexualité est souvent mal comprise par les transsexuels eux-mêmes : ils « évoquent souvent la peur intense qu’ils ont ressentie quand il ont cru qu’ils étaient homosexuels et qu’ils ne pouvaient en aucune manière le dire à leur famille. »
À cause de ces connotations négatives, les transsexuels sont souvent incompris et stigmatisés. Mahtaa affirme que les abus, spécialement verbaux, sont très courants. Les organisations transsexuelles travaillent dur pour obtenir la reconnaissance sociale accordée par la loi, et ont pour cela pris officiellement leur distance de toute association avec l’homosexualité. Ce qui est vu en Occident comme une alliance traditionnelle de toutes les personnes LGBTQ (Lesbiennes, Gays, Bisexuels, Transsexuels et Queers) n’existent virtuellement pas dans l’Iran conservateur.
Si les homosexuels vivent dans le secret en Iran, comme on peut le comprendre aisément, beaucoup d’entre eux décident toutefois de passer à travers le processus de sélection pour recevoir une certification transsexuelle et ainsi satisfaire leurs parents ou disposer de documents officiels à montrer à la police. Obtenir une certification n’est pas difficile dans la mesure où les mêmes questions sont souvent répétées et où les réponses attendues se fondent amplement sur les stéréotypes liés au genre. Cependant, comme l’explique Mohammed, l’obtention de la certification mène rarement à la chirurgie pour les personnes homosexuelles.
Encore plus de problèmes à venir
Les problèmes des personnes transsexuelles, cependant, ne se limitent pas au stigmate social qui entoure les opérations de réattribution sexuelle. La chirurgie en elle-même est souvent la partie la plus difficile du traitement, dans la mesure où aucun soutien n’est accordé pendant et après l’opération. Si celle-ci se passe mal, il n’y a personne auprès de qui se plaindre. « Personne ne nous entend », déplore Heydar. « Il devrait y avoir une sorte de soutien post-opératoire, psychologique notamment. »
Selon Mahtaa, la qualité des chirurgiens dans les hôpitaux publics est très basse et les fonctions sexuelles après ce type d’opération ne sont souvent pas à la hauteur des attentes des patients. Dans de telles situations, le soutien de la famille est crucial ; et dans les cas de personnes rejetées par leur famille, le processus peut être extrêmement douloureux. De nombreux transsexuels finissent souvent par se prostituer.
Étant donné qu’en Iran le fait d’avoir des organes sexuels qui fonctionnent correctement est vu comme crucial pour qu’un mariage soit viable, et que le mariage en tant que tel est un prérequis pour l’« épanouissement » d’une personne, les transsexuels font souvent face à des difficultés supplémentaires. Même s’ils se marient, le fait qu’ils ne puissent pas avoir d’enfants donne en quelque sorte à leur famille un air inauthentique.
Pas si noir et blanc
Heydar et Leïla, eux, sont heureux en ménage. Ils se sont récemment rendus dans un orphelinat de leur quartier et ont hâte de pouvoir adopter un enfant. Une semaine après notre rencontre, Leïla a débuté une licence en intervention sociale. Aujourd’hui, leurs rêves sont simples, et ils ne se sentent pas différents des autres couples.
Leur ami Nima s’est fait opérer il y a trois mois. Quand MEE lui a demandé quelle avait été la partie la plus difficile du processus, il a mentionné sa rupture avec une femme qu’il fréquentait avant son opération. C’est désormais ce qu’il regrette le plus. Bien que la femme soit mariée, elle lui a rendu visite à l’hôpital avec son mari, qui était au courant de leur liaison et a fait preuve de beaucoup de compréhension et de soutien. Une geste plutôt surprenant dans une société conservatrice.
D’après Mahtaa, la connaissance de la communauté s’améliore et, même s’il y a encore un long chemin à parcourir, la situation est meilleure qu’il y a dix ans. En dépit des problèmes apparents, de nombreuses personnes transsexuelles vivent des vies heureuses après l’opération. « J’ai un an, et maintenant je connais le goût de la liberté. Je suis sortie de ma prison », a confié Leïla.
Traduction de l’anglais (original).
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