La vidéo choquante de l'interrogatoire d'un Palestinien de 13 ans par les autorités israéliennes
Une vidéo de dix minutes montrant des images de l'interrogatoire d'un Palestinien de 13 ans par les forces de l'ordre israéliennes a fuité lundi dans les médias palestiniens.
Cette vidéo, dans laquelle on peut voir l'interrogateur crier sur Ahmed Manasra et réitérer ses accusations de tentative de meurtre, a déclenché une vive réaction de la part des Palestiniens, dont beaucoup se sont jetés sur les réseaux sociaux pour exprimer toutes une palette d'émotions allant de l'horreur ressentie face à ce traitement au respect pour ce qu'ils ont qualifié de résistance de l'adolescent face à un interrogatoire aussi musclé. La vidéo a également suscité l'indignation au sein des organisations de défense des droits de l'homme, qui insistent sur le fait que cette affaire a été politisée et que les dispositions légales en matière de droits de l'homme relatives au traitement des mineurs n'ont pas été appliquées.
Ahmed Manasra a été arrêté le 12 octobre après avoir participé, selon les accusations qui pèsent sur lui, à une agression à coups de couteau en compagnie de son cousin, Hassan Manasra, âgé de 15 ans, dans le quartier colonisé de Pisgat Zeev, à Jérusalem-Est.
Deux Israéliens ont été blessés dans cette attaque. Hassan a été abattu sur place par la police, tandis que les médias israéliens ont affirmé qu'Ahmed Manasra avait été renversé par une voiture alors qu'il tentait de s'échapper.
Une vidéo le montrant étendu dans un bain de sang sur le sol sous les insultes des badauds israéliens – qui lui crachaient dessus et réclamaient sa mort – a rapidement fait le buzz.
Le président palestinien Mahmoud Abbas a ensuite déclenché une controverse en affirmant que l'adolescent avait été exécuté par les forces de sécurité israéliennes, bien que les autorités israéliennes aient réfuté de telles accusations et qu'elles aient diffusé des images d'Ahmed Manasra couché sur un lit d'hôpital au Centre médical universitaire Hadassah, situé dans le village d'Ein Karem, près de Jérusalem.
L'ONG israélienne Médecins pour les droits de l'homme avait alors critiqué cette manœuvre, affirmant dans une déclaration officielle que la décision du gouvernement israélien de publier ces photographies d'Ahmed Manasra était purement politique.
« Le fait qu'il s'agisse du portrait d'un mineur en détention photographié sans l'autorisation de ses parents » est une violation des lois de protection de l'enfance et du droit à la vie privée, était-il précisé dans la déclaration.
« Une question encore plus problématique réside dans le fait qu'apparemment, l'ordre [de publier cette photo] aurait directement émané du cabinet du ministre de la Santé [Yaakov Litzman] et que la photo en elle-même aurait été distribuée par le cabinet du Premier ministre. »
Le 30 octobre, le tribunal de district de Jérusalem a accusé Ahmed Manasra d'une double tentative d'assassinat. Selon la loi israélienne, dont il relève en tant qu'habitant de Jérusalem, il ne peut être emprisonné avant l'âge de 14 ans, mais le parquet n'a pas donné de suite favorable aux requêtes de sa famille, qui souhaitait qu'il soit libéré puis placé en résidence surveillée jusqu'à ce qu'il atteigne l'âge légal ; Ahmed Manasra est actuellement en captivité dans un centre de détention.
Dans sa première déposition, qui n'apparaît pas dans la vidéo, Ahmed Manasra niait toute implication dans l'affaire, et affirmait que c'était son cousin qui avait poignardé les deux victimes, déclarant ne pas supporter la vue du sang.
Au cours de l'interrogatoire suivant, qui a été filmé, mais que la rédaction de Middle East Eye n'a pas pu vérifier par elle-même à titre d'observateur indépendant, on peut voir l'interrogateur utiliser la « stratégie du bon flic et du mauvais flic ». Le premier extrait montre l'interrogateur crier sur Ahmed Manasra, l'insulter et proférer des jurons à son encontre, avant de lui poser des questions sur les raisons de sa participation à l'attaque.
« Je vais te montrer une vidéo qui prouve que tu mens. Ferme-la ! », crie l'interrogateur.
Ahmed Manasra tente ensuite de répondre avant d'être interrompu.
« Ferme-la ! Tu n'es qu'un menteur ! Après les avoir poignardés, tu leur as couru après en tenant un couteau comme ceci ! », poursuit l'interrogateur en faisant mine de brandir un couteau.
Dans l'extrait suivant, l'interrogateur adopte une attitude posée et presque amicale, et il énonce calmement à Ahmed Manasra les chefs d'accusation qui pèsent sur lui. Au moment où il annonce à l'adolescent qu'il est aussi accusé d'avoir aidé l'ennemi pendant la guerre, cette déclaration perturbe manifestement Ahmed Manasra.
« Quelle guerre ?, demande-t-il. Qu'est-ce que j'ai à voir avec une guerre ? »
L'extrait suivant montre l'interrogateur en train de hurler à nouveau, montrant du doigt ce qu'il affirme être les images de l'incident.
Ahmed Manasra, visiblement bouleversé, tente de se défendre en disant que son cousin et lui n'étaient pas dans la rue en question, mais l'interrogateur lui crie dessus de manière réitérée.
Finalement, Ahmed Manasra se met à se frapper plusieurs fois le visage, criant qu'il ne garde aucun souvenir de cette journée, tandis que l'interrogateur continue à lui hurler dessus en retour.
« Je ne me souviens de rien du tout. Mais croyez-moi, je le dure devant Dieu ! dit-il. Je me suis réveillé à quatre heures le lendemain. J'étais blessé à la tête. Je ne m'en rappelle pas ! Mais qu'est-ce qui m'arrive ? »
« Tout ce que vous dites est vrai, dit-il. D'après la vidéo que vous m'avez montrée, c'est vrai. Mais je ne m'en rappelle pas. C'est tout. Je vais avouer que je l'ai fait, qu'est-ce que vous attendez de plus ? »
Leah Tsemel, l'avocate d'Ahmed Manasra, a déclaré à Middle East Eye que le comportement de l'officier qui soumet un mineur à un tel interrogatoire est inapproprié. Elle a demandé l'ouverture d'une enquête.
D'après le droit international, un enfant ne peut être interrogé en l'absence de ses parents ou de son responsable légal. Selon Tareq Barghouth, l'autre avocat d'Ahmed Manasra, il n'a eu aucun contact avec sa famille depuis le jour de l'attaque, et il est détenu dans un établissement pour jeunes délinquants situé en Galilée.
Tareq Barghouth avait précédemment déclaré aux médias palestiniens que l'adolescent avait subi des violences verbales et psychologiques de la part des personnels de l'administration pénitentiaire israéliens.
« Ils ont menacé de le tuer, de détruire sa maison et de l'emprisonner, a déclaré Tareq Barghouth. Ils lui ont craché dessus. L'un des agents a appelé sa compagne sur Skype et elle aussi s'est mise à l'injurier. »
Tareq Barghouth soutient l'innocence d'Ahmed Manasra, déclarant que malgré le fait qu'il ait bien été en possession d'un couteau le jour en question, c'est son cousin Hassan qui a poignardé les Israéliens.
Leah Tsemel a également déclaré à MEE qu'elle envisageait une procédure judiciaire contre les médias israéliens qui ont diffusé les images d'Ahmed Manasra.
La date de la vidéo est inconnue, et il n'a pas non plus été déterminé avec précision qui, du gouvernement israélien ou d'une autre source, était responsable de la fuite de ces images.
Cependant, Amani Dayif, qui travaille pour l'organisation Médecins pour les droits de l'homme, a déclaré à Middle East Eye que la loi israélienne de protection de l'enfance pénalisait la diffusion d'images qui peuvent se montrer préjudiciables pour l'enfant.
« La publication de tout contenu pouvant nuire à un enfant est illégale et totalement interdite », a affirmé Amani Dayif.
Middle East Eye a cherché à contacter le cabinet du Premier ministre israélien, mais n'a pu obtenir aucun commentaire au sujet de la vidéo de l'interrogatoire d'Ahmed Manasra.
Dans une courte interview, les parents d'Ahmed Manasra ont fait part de leur incrédulité à l'idée que leur fils puisse accomplir de tels actes.
« Un enfant de 13 ans n'est pas réellement capable de poignarder quelqu'un, a déclaré son père. Il n'a ni la force physique ni la détermination mentale nécessaires pour le faire. Tout ça, c'est juste des mensonges [répandus par Israël]. »
« J'aimerais tellement pouvoir le prendre dans mes bras », a-t-il ajouté.
La prochaine audience d'Ahmed Manasra devant un tribunal est prévue pour le 6 décembre.
Traduction de l'anglais (original) par Mathieu Vigouroux.
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