Le Hezbollah imperméable aux sanctions américaines ?
« Tant que l’Iran a de l’argent, le Hezbollah en a. Peut-on être plus franc que ça ? Aucune banque dans le monde ne peut empêcher l’argent d’arriver », a déclaré Hassan Nasrallah le 25 juin dernier. Dans un de ses discours télévisés récurrents, que les Libanais peuvent suivre chez eux, à l’épicerie du coin ou depuis le poste de radio de leur minibus ou taxi collectif, le secrétaire général du Hezbollah a voulu remettre les pendules à l’heure face aux sanctions américaines censées assécher les finances de son parti.
« Risque de panique bancaire »
Le Hezbollah International Financing Prevention Act (HIFPA), signé par le président américain Barack Obama le 18 décembre 2015 et entré en vigueur en mai 2016, a en effet provoqué une vague d’inquiétudes au sein des institutions financières libanaises, qui se sont empressées de réagir. Au grand dam du parti chiite.
Il y a d’abord eu la fermeture des comptes bancaires de deux de ses députés, Ali Fayad et Nawwar al-Sahili, en mai. Puis, comme le rappelle Hassan Illeik, journaliste à Al Akhbar, proche du Hezbollah, « les banques ont commencé à appeler leurs clients qui vivaient dans les quartier pro-Hezbollah en leur disant : "Tu as un frère membre du Hezbollah ? Alors tu dois venir fermer ton compte bancaire" », rappelle-t-il à Middle East Eye.
Car le contenu de l’HIFPA est clair : le Trésor américain peut imposer de strictes sanctions à toute institution financière étrangère qui facilite des transactions pour le compte du Hezbollah ou pour les 100 personnes et institutions désignées sur la liste du Bureau du contrôle des capitaux étrangers (OFAC), ou encore à toute institution ou personne qui fait du blanchiment d’argent.
Sur cette liste, on retrouve tant des Libanais installés au Liban ou en Amérique latine que des institutions proches du Hezbollah, tels que les médias Al Manar et Al Nour, la Fondation du martyr ou Jihad al-Bina, le géant du BTP lié au parti.
Outre les comptes des deux députés, certaines banques ont aussi commencé à geler ceux de fondations caritatives et d’hôpitaux proches du Hezbollah.
En parallèle, les pages des journaux libanais se sont retrouvées noircies d’éditos soupesant l’impact potentiel de ces sanctions sur le système bancaire libanais. Certains reprochent au parti chiite de les faire peser sur tout le peuple libanais.
À en croire le professeur d’économie Simon Neaime, le risque est majeur pour le pays du Cèdre : « Ces sanctions, si elles s’appliquent à la totalité des soutiens du Hezbollah, pourraient pénaliser tout le Liban. Elles risquent de mener à une panique bancaire, ce qui entraînerait la faillite de l’ensemble de l’économie, car les banques financent la dette publique du Liban », explique-t-il à MEE depuis son bureau à l’Université Américaine de Beyrouth (AUB).
Un discours alarmiste que Nassim Ghobril, chef du département recherche et analyse de la Byblos Bank, relativise : « Le secteur bancaire libanais a toujours su s’adapter aux conflits politiques, même aux pires heures de la guerre civile. Sa capacité d’adaptation tient à la confiance des épargnants. Avec 153 milliards de dollars de dépôt, il pèse aujourd’hui trois fois plus que le PIB Libanais », indique-t-il à MEE.
Une bombe qui tombe à pic
Dimanche 12 juin au soir, l’explosion d’une bombe devant le siège de la Blom Bank libanaise a coupé court à ces spéculations. Pour en lancer aussitôt de nouvelles : est-ce le Hezbollah qui a posé cette bombe, pour menacer les banques libanaises ?
Hassan Illeik, dont le bureau fait face au siège bancaire, laisse échapper que l’opération était « propre », car il n’y a eu qu’un blessé léger. Et précise aussitôt qu’il est impossible d’en identifier l’auteur : « Objectivement, ça pourrait être le Hezbollah comme Israël, ou toute organisation sécuritaire qui cherche à gagner des parts de marché », lance-t-il. Le résultat de la déflagration a, dans tous les cas, été bénéfique au « parti de Dieu ».
Activiste politique chiite et fondateur d’UMAM, centre d’archives sur l’histoire contemporaine du Liban, Lokman Slim rappelle à MEE : « L’explosion de la Blom Bank a évincé le sujet des finances du Hezbollah du débat public et l’a renvoyé aux négociations feutrées. Là, le parti a obtenu ce qu’il voulait : éviter que les comptes en livres libanaises soient concernés par les sanctions, auprès de la banque centrale libanaise, avec qui il semble parvenu à un accord. Car si le parti sait qu’il ne peut combattre ces sanctions, il veut éviter qu’elles ne s’attaquent au petit peuple qui le soutient. Il ne peut pas se permettre d’être vulnérable et doit garder son image d’organisation omnisciente », analyse-t-il.
Réseau criminel ou coup monté des renseignements ?
La polémique sur l’origine du financement du parti chiite va donc se tenir en coulisses. Car si Hassan Nasrallah proclame que « le budget du Hezbollah et ses dépenses viennent de la République islamique d’Iran », les organisations américaines du renseignement (CIA et FBI) et de lutte contre le trafic de drogue (DEA) estiment qu’une partie non négligeable provient en réalité du blanchiment de l’argent du narcotrafic. Dès 2011, la Banque libano-canadienne avait été liquidée suite à une enquête américaine concluant qu’elle blanchissait de l’argent sale au profit du Hezbollah.
En avril 2016, « l’opération Cedar » menée conjointement par la DEA et la justice française a conduit au démantèlement d’un réseau de blanchiment d’argent international, destiné entre autres à financer le Hezbollah, selon Le Parisien et le JDD qui ont couvert l’affaire en France. Une quinzaine de Libanais ont été interpellés, accusés de blanchir l’argent issu du trafic de cocaïne en Colombie en l’investissant dans des voitures et des montres de luxe en Europe, revendues ensuite au Liban.
Pour Lokman Slim, « l’illégalité du Hezbollah n’est plus à prouver. L’organisation a toujours pratiqué des trafics illégaux et continue de le faire », assure-t-il, avant d’ajouter : « Le contraire serait étonnant, dans une région où l’ensemble des organisations extra-étatiques font la même chose. D’ailleurs, les banques libanaises n’ont rien trouvé à redire quand l’argent du Hezbollah a entretenu l’économie du pays, suite à la guerre de juillet 2006 contre Israël », précise-t-il.
À l’inverse, Hassan Illeik estime que les liens supposés entre le Hezbollah et le trafic de drogue, « comment le dire poliment… c’est des conneries. C’est une histoire montée de toutes pièces par Israël et reprise par les Américains pour ternir l’image du parti. Derrière, il y a aussi une forme de racisme : dès qu’ils trouvent un dealer de drogue en Amérique latine qui est Libanais chiite, ils l’accusent de travailler pour le Hezbollah », s’énerve-t-il.
Une critique également formulée par un chercheur spécialiste du Hezbollah, qui a préféré rester anonyme. Les services de renseignement américains semblent ignorer, selon lui, l’existence de l’impôt religieux appelé le khoms, qui oblige tout musulman à reverser chaque année le cinquième de son revenu à l’un des clercs de référence de son pays, qui sont pour les Libanais chiites deux hauts responsables du Hezbollah. La théorie d’un réseau criminel organisé depuis la tête du parti chiite serait donc à relativiser. N’importe quel criminel libanais de confession chiite pourrait être ainsi rapproché au Hezbollah à partir de cet impôt religieux.
Contacté par MEE, le service de presse du Hezbollah n’a pas souhaité réagir.
Un outil de négociation
Reste que les sanctions américaines, de l’opinion même de Lokman Slim, sont conçues « selon une vision atlantiste, sans prendre en compte la question de la stabilité régionale et la complexité de leur mise en œuvre sur le terrain ».
Simple organisation terroriste pour les États-Unis, le Hezbollah est à la fois un parti politique, un entrepreneur social et une milice armée.
Un parti qui, s’il ne dispose que de douze députés élus au Parlement, jouit d’une influence majeure sur la vie politique libanaise, de par son alliance avec le Courant patriotique libre du leader chrétien Michel Aoun. Depuis deux ans, les deux partis bloquent l’élection du président de la République, qui sera de toute manière un allié du parti chiite.
Outre sa force politique, le Hezbollah est ancré dans le tissu économique et social libanais. La Fondation du martyr, qui fait partie de la liste noire de l’OFAC, finance des dispensaires et des hôpitaux qui ne soignent pas que les membres du parti : « Des Libanais de toutes les confessions se rendent à l’hôpital al-Rasul al-Azam, tout simplement car il dispose de l’un des meilleurs services de cardiologie du pays », souligne Hassan Illeik. Quant à l’entreprise de BTP Jihad al-Bina, elle a reconstruit au lendemain de la guerre de juillet 2006 les institutions du parti, mais aussi des quartiers résidentiels entiers, où vivaient des Libanais de toutes confessions et affiliations partisanes.
Enfin, les combattants du Hezbollah patrouillent aujourd’hui aux côtés des soldats libanais à la frontière entre la Syrie et le Liban. Suite à la vague d’attentats perpétrés dans le village chrétien d’al-Qaa le 27 juin dernier, le Hezbollah a d’ailleurs affirmé avoir tué le leader local de l’organisation de l’État islamique (EI).
Au Liban, le camp du 14 mars, opposé au Hezbollah, estime que les auteurs d’attentats qui s’infiltrent dans le pays veulent punir le Hezbollah de son intervention militaire aux côtés du régime de Bachar al-Assad en Syrie. Le Hezbollah, lui, estime être le seul rempart du Liban contre les « takfiris » (groupes militants qui accusent les autres musulmans d’être des apostats). Reste que l’armée libanaise, amputée par l’annulation du contrat de 3 milliards de dollars promis par l’Arabie saoudite pour moderniser ses troupes avec de l’armement français, ne peut guère se passer de la présence de la milice chiite.
Pour Lokman Slim, ces sanctions ne visent pas à faire la guerre au parti chiite : « Les États-Unis sanctionnent le Hezbollah, qui est l’outil iranien au Liban, dans le cadre de leur rapprochement avec Téhéran. C’est un moyen de répondre aux inquiétudes de leurs alliés régionaux, Israël et l’Arabie saoudite, inquiets de ce rapprochement. Les sanctions sont avant tout des outils de négociation, pas d’agression. »
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