Le Moyen-Orient selon Trump : sept choses que nous apprend le livre de Woodward
Comme pour tout ce qui est provocant et lié à Trump, Fear: Trump in the White House, le nouveau livre de Bob Woodward sur le président, fait sensation.
Woodward, le journaliste du Washington Post qui s’est fait connaître en révélant le scandale du Watergate, lequel a entraîné la démission du président Richard Nixon en 1974, s’est longuement entretenu avec les principaux acteurs de la Maison-Blanche de Trump – mais pas avec Trump lui-même.
Il en résulte, comme on pouvait s’y attendre, une image incendiaire de la vie au sein de l’administration américaine la plus chaotique des temps modernes – ou du moins depuis le Watergate.
Pas connu pour – selon les mots de Joan Didion – « exercer une énergie cognitive sur ce qui lui est dit », Woodward est un journaliste qui retranscrit directement sur le papier tout ce qu’il entend des puissants.
Fidèle à son habitude, Trump a partagé une réaction enragée à ce livre sur Twitter :
Traduction : « Le livre de Woodward est une blague – une nouvelle attaque à mon encontre, dans un flot d’attaques, qui utilise des sources anonymes ou qui ont été réfutées. Beaucoup se sont déjà manifestés pour dire que les citations qui leur sont attribuées, comme le livre, relèvent de la fiction. Les démocrates ne supportent pas de perdre. J’écrirai le véritable livre ! »
Que nous apprend donc Fear à propos de Trump et du Moyen-Orient ?
1. Égypte : Sissi le « tueur »
Comme plus d’une centaine de journalistes l’ont fait remarquer, Trump a un langage coloré et un penchant pour les hommes forts, notamment le président russe Vladimir Poutine et le guide suprême nord-coréen Kim Jong-un.
Woodward raconte comment Trump a dû négocier la libération d’Aya Hijazi, une citoyenne américaine et activiste détenue au Caire pendant trois ans.
À un moment donné, le président a rapporté à John Dowd, son propre conseiller juridique, la conversation qu’il a eue avec le président égyptien Abdel Fattah al-Sissi (Dowd, comme beaucoup de personnages du livre de Woodward, a depuis démissionné).
« Dowd, rappelle-toi à qui je parle, a-t-il [Trump] dit. Ce gars est un putain de tueur. Ce gars est un putain de tueur ! Je vais y parvenir. Il te fera transpirer au téléphone. Et juste avant que nous concluions l’accord, al-Sissi déclare [Trump prend une voix grave et profonde] : “Donald, je suis inquiet à propos de cette enquête. Serez-vous là ? Supposons que j’ai besoin d’une faveur, Donald.” C’était comme un coup de pied dans les valseuses. C’est affreux », a déclaré Trump.
Depuis que cette histoire a éclaté, Aya Hijazi a écrit sur Twitter qu’elle était contente que Trump sache que Sissi « est un tueur et [qu’il] a surmonté cette répulsion pour me libérer ».
Traduction : « Pour ce que ça vaut, contente que #Trump sache que #Sissi est un meurtrier, et a surmonté cette répulsion pour me libérer. »
Toutefois, il convient également de noter que Trump a souvent utilisé le terme « tueur » dans un sens mélioratif pour décrire ses partenaires commerciaux qui, à son avis, font véritablement avancer les choses.
Sissi est peut-être un tueur selon ses adversaires, mais il est aussi un « tueur » – un dur qui tape dur.
2. Le Hezbollah et les « imbéciles de mollahs enturbannés » d’Iran
Derek Harvey était un allié de Michael Flynn à la Maison-Blanche, ce général déshonoré et obsédé par l’Iran qui avait été limogé de son poste de conseiller à la sécurité nationale de Trump après moins d’un mois de service.
Comme son ancien collègue, Harvey considère le mouvement chiite du Hezbollah basé au Liban comme une « bombe à retardement » et la principale préoccupation des États-Unis dans la région. Traduisant probablement les propos de Harvey, Woodward écrit :
Les renseignements sensibles ont montré que le Hezbollah comptait plus de 48 000 soldats à plein temps au Liban, où ils représentaient une menace existentielle pour l’État juif.
Un mélange de peur et de soif de sang nerveuse semble traverser l’administration américaine alors qu’ils envisagent la possibilité d’une « guerre catastrophique » entre Israël et l’Iran, menée par le biais de l’intermédiaire de Téhéran, le Hezbollah :
Ils disposaient de 8 000 membres dans des forces expéditionnaires en Syrie, au Yémen et dans des unités commando à l’échelle de la région. De plus, ils avaient des gens dans le monde entier – 30 à 50 en Colombie, au Venezuela, en Afrique du Sud, au Mozambique et au Kenya. Le Hezbollah avait un nombre sidérant de 150 000 roquettes. Lors de la guerre de 2006 avec Israël, ils n’en avaient que 4 500.
Woodward écrit que « l’Iran payait les factures du Hezbollah – pour un montant impressionnant d’un milliard de dollars par an » – et cela, a-t-il souligné, ne comprend pas « le blanchiment d’argent, le trafic humain, les transactions de cocaïne et d’opium et la vente de défenses en ivoire du Mozambique ».
À un moment donné, le secrétaire à la Défense, Jim Mattis, évoque les « imbéciles de mollahs enturbannés » d’Iran. Woodward ne semble pas s’opposer à cette opinion.
Harvey a été démis de ses fonctions en juillet 2017 par le conseiller à la sécurité nationale, HR McMaster, qui a lui-même démissionné en mars dernier.
La rotation des responsables de Trump est stupéfiante, mais le soutien des États-Unis à un Israël de plus en plus militarisé et à son opposition farouche au Hezbollah reste indéniable : Woodward rapporte que des combattants du groupe soutenu par l’Iran ont été tués par les Américains sur une route à l’est de Palmyre, en Syrie.
3. Libye : prenons le pétrole
Une des caractéristiques apparaissant dans Fear est la frustration de Trump face à McMaster et la répugnance de ce dernier à son encontre. Sur la Libye, comme sur beaucoup d’autres choses, ils s’affrontent.
À un moment, McMaster, officier de l’armée à la retraite, entre dans le bureau ovale et tente de faire signer un décret sensible concernant la Libye. La scène, rapportée par Woodward, est brève :
« Je ne le signerai pas, a déclaré Trump. Les États-Unis devraient prendre le pétrole. Les généraux ne sont pas suffisamment concentrés sur la façon d’obtenir ou de gagner de l’argent. Ils ne comprennent pas quels devraient être nos objectifs et ils impliquent les États-Unis de toutes les mauvaises manières. »
4. Syrie : « Tuons-le bordel ! »
Trois mois après l’investiture de Trump, suite à une attaque au gaz sarin contre les rebelles syriens opposés au président Bachar al-Assad, la question de savoir si les États-Unis allaient réagir ou non s’est posée.
D’après Woodward, Trump est « submergé par l’émotion » et appelle Jim Mattis. « Tuons-le bordel ! », lance le président en parlant d’Assad. « Allons-y ! On leur rentre dedans et on les bute. »
L’armée américaine, écrit Woodward, avait « la capacité de lancer une frappe aérienne top secret contre les dirigeants en Syrie ».
Trump semblait personnellement attaqué. La Syrie avait promis de ne pas utiliser d’armes chimiques – en référence, semble-t-il, à l’accord du président syrien Assad quant à la destruction de toutes ses armes chimiques.
Oui, a répondu Mattis. Il a précisé qu’il s’attèlerait à cette tâche immédiatement, avant de raccrocher. « Nous ne ferons rien de cela », a-t-il indiqué à un collaborateur de haut rang. « Nous serons bien plus mesurés. »
Le livre raconte ensuite la bataille des réponses qui s’est déroulée à la Maison-Blanche. Sentimental et prêt à en découdre, Trump veut frapper fort. Pourtant, Mattis, malgré son surnom de « chien fou », veut faire quelque chose de plus qu’Obama, mais pas trop.
Steve Bannon, idéologue de droite et proche conseiller de Trump (avant son départ, évidemment), s’oppose farouchement à l’idée que l’Amérique soit le gendarme du monde et estime que la réponse américaine doit être une absence de réponse.
La question plus vaste de savoir ce que font exactement les États-Unis avec une présence aussi importante au Moyen-Orient – une question que Trump et Bannon ont tous deux posée – reste sans réponse du côté des experts de la région et des conseillers en sécurité qui peuplent la Maison-Blanche, selon Woodward.
Bannon soutient que si ce qu’Assad a fait est la « norme », alors il ira « prendre des photos de l’Afrique subsaharienne ». « Laissez-moi prendre des photos de ce qui se passe au Guatemala et au Nicaragua. Si c’est la norme pour une putain de frappe de missile, nous devons aller partout. Nous devons tout faire. »
En fin de compte, les États-Unis effectuent leur frappe de 59 missiles (dont un tombé en mer) et Trump est décrit comme étant « inhabituellement concentré sur les détails ». Lors du lancement des missiles, le président dîne à son domicile à Mar-a-Lago, en Floride, avec le dirigeant chinois Xi Jinping. Woodward rapporte la conversation entre les deux dirigeants.
Pendant que le dessert était servi, Trump a annoncé à Xi : « Nous sommes en train de bombarder la Syrie à cause de son attaque au gaz ».
« Vous pouvez répéter ? », a rétorqué Xi par le biais de l’interprète. Trump a réitéré ses dires.
« Combien de missiles ? », a demandé Xi.
Trump lui a donné le chiffre : 59.
« 59 ? », a rétorqué Xi.
Trump a confirmé : 59.
« OK, je comprends, a poursuivi Xi. Eh bien, il l’a mérité. »
C’est ainsi que s’est clos le dîner.
Pendant de nombreuses semaines après la frappe, Trump a demandé des options supplémentaires pour s’attaquer à Assad.
Préoccupé par l’idée que Trump puisse ordonner une deuxième frappe, le secrétaire Mattis s’est employé à calmer le jeu et à décourager d’entreprendre toute autre action militaire en Syrie. Au bout de plusieurs semaines, l’indignation de Trump est retombée et il s’est tourné, bien que lentement, vers d’autres questions.
5. Irak : Haïder al-Abadi « ne dit que de la merde »
Trump s’en est pris une nouvelle fois au chef de la sécurité McMaster en se moquant de son admiration pour le Premier ministre irakien Haïder al-Abadi. Woodward écrit ainsi :
Insultant violemment McMaster, Trump s’est livré à une imitation de son conseiller à la sécurité nationale. Le président a bombé le torse et commencé à prendre une respiration sensiblement exagérée. Il a parlé à haute voix et d’un ton saccadé : « Je connais le président irakien. C’est quelqu’un de bien, Monsieur ! Je sais que notre meilleur intérêt lui tient à cœur. »
Reprenant sa voix normale, Trump a poursuivi : « Ce gars ne dit que de la merde. J’ai rencontré ce gars. McMaster ne sait pas de quoi il parle. » Trump avait accueilli le Premier ministre irakien Haïder al-Abadi à la Maison-Blanche en mars 2017. « Ces militaires, ils ne comprennent rien aux affaires. Ils savent être des soldats et ils savent combattre. Ils ne comprennent pas combien cela coûte. »
Le récit de Woodward étaye les informations relayées au moment de la rencontre Trump-Abadi, selon lesquelles le président avait décrit les responsables irakiens comme « le groupe de voleurs le plus accompli [qu’il ait] jamais rencontré ».
6. La Première fille – et la bromance entre Jared et MBS
L’influence exercée par la fille de Trump Ivanka et son mari Jared Kushner sur le président est un autre volet du livre de Woodward.
Vieil ami de la famille de Benyamin Netanyahou, Kushner entretient pour le Moyen-Orient une vision d’un Israël de plus en plus fort et soutenu généreusement et à tout prix par les États-Unis.
S’exprimant comme si elle faisait partie d’une monarchie, selon Woodward, Ivanka Trump explique à Bannon qu’elle est la « Première fille » et non, selon les dires de ce dernier, une « putain d’employée » :
Au cours d’une réunion [au bureau de Reince Priebus, alors chef d’état-major de la Maison-Blanche], Bannon et Ivanka ont eu une altercation.
« Vous n’êtes qu’une fichue employée ! », a finalement hurlé Bannon à Ivanka. « Vous n’êtes rien d’autre qu’une putain d’employée ! ». Elle devait passer par le chef d’état-major comme tout le monde, a-t-il déclaré. Il devait y avoir un peu d’ordre. « Vous venez flâner ici et vous agissez comme si vous aviez de hautes responsabilités, et vous n’en avez pas. Vous faites partie du personnel ! »
« Je ne suis pas une employée ! Je ne serai jamais une employée. Je suis la Première fille [elle a réellement utilisé ce titre] et je ne serai jamais une employée ! », a-t-elle crié.
Ivanka cherche également à pousser Trump à bout au sujet de la Syrie, en lui montrant des photos d’enfants gazés et de bébés victimes de bombardements et en attisant la fureur sentimentale qui anime son père.
Kushner développe quant à lui une bromance avec le prince saoudien Mohammed ben Salmane qui, écrit Woodward, s’identifie comme l’homme à courtiser dans le Golfe alors même que le jeune prince n’a pas encore accédé au pouvoir.
Néanmoins, selon Woodward, la CIA est en désaccord avec Kushner, affirmant que « le véritable homme solide était le prince héritier Mohammed ben Nayef ». Voilà tout.
Traduisant peut-être les propos de Kushner au sujet de MBS, Woodward écrit, de façon pour le moins crédule :
Fils du roi d’Arabie saoudite, MBS était également ministre de la Défense, un poste clé qui représente une rampe de lancement vers une position d’influence dans le royaume. MBS avait une vision, de l’énergie. Il était charmant et il parlait de réformes audacieuses et orientées vers la modernisation.
C’est Kushner qui pousse Trump à effectuer son premier voyage présidentiel à Riyad en 2017. Et c’est Kushner qui croit plus que quiconque en l’axe Israël-Golfe qui en vient de plus en plus à dominer le Moyen-Orient.
Les passages du livre consacrés au Moyen-Orient donnent l’impression que Kushner a plus de pouvoir que quiconque lorsqu’il est question du rapport entre les États-Unis et la région.
7. La Palestine ? Rien
Alors que Kushner, l’ami de Netanyahou, tire les ficelles, l’opposition des États-Unis à l’Iran et leur soutien total à un Israël tout-puissant sont évidents.
Fear: Trump in the White House compte 448 pages, mais les mots « Palestine » et « palestinien » n’apparaissent pas. Si nous lisons le livre de Woodward comme un reflet des préjugés et des préoccupations des personnes qui dirigent l’Amérique – ce que nous pouvons faire –, alors cette absence est plus assourdissante que les bombes.
Pour le Trump de Woodward, il n’y a pas de Palestine.
Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.
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