Le plaidoyer passionné d'une Syrienne victime de tortures en faveur de la justice contre Assad
GENÈVE, Suisse – Les négociations de paix visant à mettre un terme à la guerre civile syrienne se sont poursuivies à Genève jeudi et les hommes politiques ont déclaré que le dernier cycle de négociations représentait jusqu'à présent le meilleur espoir de parvenir à un accord pour mettre un terme à ce conflit brutal.
Tandis que les délégations du gouvernement syrien et de l'opposition négociaient avec des hommes politiques internationaux dans le somptueux palais des Nations, sous un ciel bleu dégagé et serein reflété par un lac Léman tout aussi bleu et étincelant, trois victimes de la guerre syrienne se sont rassemblées non loin pour faire un plaidoyer désespéré en faveur de la justice et de la responsabilisation.
Niché au bout d'une route étroite et sinueuse bordée de larges pierres carrées placées devant d'excentriques chalets suisses vert et rose, le Club suisse de la presse et sa façade vitrée respirent la classe naturelle caractéristique de l'élégante ville de Genève.
Jeudi, toutefois, dans la fraîcheur de l'air venu des montagnes enneigées environnantes, d'ignobles photographies représentant des Syriens torturés à mort dans les prisons du président Bachar al-Assad ornaient les murs dans le cadre d'un événement organisé par la Syrian Organisation for Victims of War (Organisation syrienne des victimes de guerre).
Ces photos provenaient d'une cache de 55 000 images sorties secrètement de Syrie par un ancien photographe militaire qui a fui le pays et adopté le nom de code Caesar pour sa propre sécurité.
Ces photos répugnantes de cadavres de Syriens gisant au sol, pour la plupart ensanglantés, faméliques et décharnés, ont été contrôlées par les autorités américaines qui ont déclaré avoir confirmé au moins 11 000 décès en analysant ces images.
Assise sur la scène parmi un groupe d'activistes syriens aux côtés de l'envoyé spécial du Royaume-Uni pour la Syrie, Gareth Bayley, Hanada al-Refai a annoncé à l'assemblée silencieuse des journalistes et des diplomates qu'elle avait un message à l'attention des personnes réunies au palais des Nations d'après son expérience du « régime criminel de Bachar al- Assad ».
Portant le drapeau vert, blanc et noir orné de trois étoiles de l'opposition syrienne, Hanada al-Refai a expliqué à l'assemblée comment elle avait été emprisonnée pendant sept mois à compter du 15 mars 2012 en raison de son activisme pacifique en faveur des protestations contre Bachar al-Assad.
Hanada al-Refai, mère de trois enfants et âgée d'une cinquantaine d'années, était professeure dans une école de Damas avant l'éclatement de la guerre en 2011 et affirme qu'elle a été emprisonnée dans une cellule où elle était entassée avec environ 65 autres femmes âgées de 12 à 85 ans.
« Ils m'humiliaient, ils me frappaient. C'était l'enfer », déclare-t-elle. « Vous ne pouvez pas imaginer. Peu importent toutes les explications, vous ne pouvez pas imaginer. »
Elle affirme qu'elle a vu des hommes implorer grâce, mourir, être suspendus aux plafonds des salles de bains, ensanglantés après avoir été battus par des gardiens de prison qu'elle qualifie de « sadiques qui aimaient torturer les prisonniers ».
Hanada al-Refai a été relâchée après sept mois lorsqu'elle a été convoquée dans un tribunal militaire où un responsable civil a tamponné sa main et lui a dit de partir. Elle précise qu'aucune procédure judiciaire n'a eu lieu.
En larmes, Hanada al-Refai poursuivit son récit en expliquant que sa souffrance ne s'est pas arrêtée lorsqu'elle a été relâchée. Une semaine après son arrestation, son frère Naef, juge militaire, a été interpellé et jeté dans la célèbre prison de Sedihnya, où de nombreux cas de prisonniers torturés à mort ont été signalés.
« Il était juge, mais il n'a pu obtenir justice pour lui-même », a indiqué Hanada al-Refai tout en soulevant ses lunettes à montures noires pour essuyer les larmes coulant sur ses joues.
Après deux ans et deux mois en prison, Hanada al-Refai a découvert que son frère avait été assassiné lorsqu'un autre membre de sa fratrie a essayé de lui rendre visite en prison.
« Ils nous ont dit qu'il était mort neuf jours plus tôt et qu'ils l'avaient enterré. »
Sans corps, sans funérailles, sans tombe et sans moyen de découvrir ce qu'il s'est passé, Hanada al-Refai a dû reconstituer l'histoire de son frère à partir des récits de prisonniers libérés ayant partagé sa cellule.
Une fois la conférence terminée, fumant une cigarette en admirant les paisibles jardins, à des années-lumière des horreurs qu'elle a évoquées, Hanada al-Refai précise que son frère a été battu avec une barre de fer par les gardiens de la prison tous les jours pendant deux ans.
« Ses os étaient cassés. Il a perdu énormément de poids. Il vomissait du sang. Lorsqu'il est mort, il n'était plus capable de manger ni de boire. »
Hanada al-Refai a expliqué que lorsque les photos de Caesar ont été publiées, elle a immédiatement commencé à écumer les images grisâtres à la recherche de son frère.
« J'avais peur de le voir, mais je voulais savoir s'il y était. »
Elle n'a pas trouvé son frère sur les milliers d'images mais affirme que le simple fait de les regarder était suffisamment douloureux.
« Il est mort tout comme les personnes sur les photos. Affamé. Battu. Jeté à terre. »
Hanada al-Refai ne vit plus en Syrie. Elle a fui il y a six mois de la Turquie vers la Grèce avec sa mère et ses deux filles à bord d'un bateau lors d'un périlleux voyage. Le fait de savoir que le voyage vers l'Europe serait dangereux n'a rien changé pour Hanada al-Refai, qui affirme que sa famille a « fui la mort : nous avions une chance de mourir mais peut-être aussi une opportunité de vivre en paix ».
Elle vit désormais en Autriche où elle apprend l'allemand pour essayer de reconstruire sa vie.
Hanada al-Refai précise qu'elle était à Genève pour essayer d'influencer les négociations de paix en rappelant au monde ce que Bachar al-Assad a fait à son propre peuple.
« Nous avons organisé cette exposition pour essayer d'influencer les négociations car nous voulons que Bachar el Assad soit puni pour ce qu'il a fait », a-t-elle indiqué à Middle East Eye. « Je n'ai pas pu sauver mon frère mais il reste des dizaines de milliers de détenus là-bas et la question des détenus doit être mise en tête de l'ordre du jour [des négociations]. »
Sur le plan personnel, Hanada al-Refai, qui affirme que son plaidoyer est un « cri pour que le monde écoute », indique qu'elle veut pouvoir commémorer la mort de son frère « comme tout le monde le voudrait ».
« Je veux son corps. Je veux une tombe à fleurir. »
Après avoir écouté Hanada al-Refai et les récits des autres membres du groupe, l'envoyé spécial du Royaume-Uni, Gareth Bayley, a déclaré se sentir « privilégié » de les avoir entendus et a souligné l'importance de l'exposition photographique.
« Les photographies de Caesar constituent une preuve irréfutable, documentée brutalement et scientifiquement, de l'attaque généralisée et calculée menée par le régime de Bachar al-Assad contre le peuple syrien comme une forme de punition collective », a-t-il affirmé.
S'adressant aux autres envoyés présents, venant de Suède, du Canada, du Danemark, des Pays-Bas et de France, il a indiqué que malgré les nombreuses discussions de la communauté internationale sur l'abandon de la destitution de Bachar al-Assad au profit du combat contre l'État islamique, le président syrien devait être tenu responsable des crimes perpétrés par son gouvernement.
« La justice se concentre plus spécifiquement sur Bachar al-Assad », a-t-il affirmé. « Mon pays [la Grande-Bretagne] a annoncé clairement qu'il devait y avoir une transition vers l'évincement de Bachar al-Assad. Cet homme a non seulement manqué à ses devoirs envers son pays, mais il l'a attaqué. »
« Notre position est tout à fait claire et nous continuons d'affirmer que les violations des droits de l'homme et les sévices en Syrie sont inacceptables et que leurs auteurs doivent rendre des comptes. »
Gareth Bayley a ajouté que bien que les dernières négociations de paix n'aient pas été directes entre le gouvernement syrien et l'opposition, elles constituaient « une lueur d'espoir » qui s’est accrue lorsque le cessez-le-feu convenu récemment a été maintenu.
« Nous devons progresser dans le processus laborieux de la politique pour mettre un terme à cette guerre. »
Traduction de l’anglais (original) par VECTranslation.
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