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Les dernières heures de la bataille pour Mossoul

Alors que l'Irak s'apprête à annoncer sa victoire sur l'EI, MEE raconte la brutalité des combats, sur la ligne de front, aux côtés des forces irakiennes
Les soldats de la division Réponse rapide se préparent à investir plus avant la vieille ville de Mossoul (Martyn Aim/MEE)

MOSSOUL, Irak – Dans le vacarme des tirs d’artillerie lourde qui résonnent parmi les bâtiments en ruine, les soldats qui avancent dans les ruelles remplies des décombres de la vieille ville de Mossoul se rassemblent autour d’un trou aux contours irréguliers, percé dans un mur.

Les tirs résonnent dans toute cette zone de moins d’un kilomètre carré au centre de Mossoul, à l’intérieur duquel le groupe État islamique (EI) est désormais confiné.

Pendant les quelques minutes où se taisent canons et armes lourdes, on entend dans le ciel le léger bourdonnement d’un drone militaire en train d’identifier les positions de l’EI.

Alors que dimanche, l’armée irakienne combattait les dernières poches de résistante, les derniers instants de ce qui fut une bataille prolongée et sanglante ont été parmi les plus intenses.

« L’EI n’est qu’à 21 mètres de nous », murmure avec enthousiasme un jeune soldat. Pour souligner cette terrifiante proximité, il pointe la une flèche rouge lumineuse sur une carte affichée sur son téléphone, qui détaille les ruelles étroites de la vieille ville, dans lesquelles les soldats sont en train de progresser.

Dans la chaleur de midi – il fait 46 degrés – quelques soldats ont tombé la chemise et ne portent que leur gilet. L’un après l’autre, ils se penchent pour se glisser dans le trou.

Tout près, une explosion. Le trou défoncé devient le centre d’un chaos : un journaliste, les yeux écarquillés de terreur sous un casque de travers, se fraie un chemin vers l’extérieur, en sens inverse des soldats.

Un Humwee (véhicule blindé) transportant des soldats de la division d’élite Réponse rapide irakienne (ERD) circule au milieu des ruines de Bab al-Tob (Martyn Aim/MEE)

La température monte, le ton aussi

« N’allez pas là-bas, c’est trop dangereux », marmonne le journaliste sur un ton dramatique. L’arrière de son pantalon est trempé de sang. Au bout de la ruelle, son fixeur lui baisse le pantalon – découvrant un jet écarlate giclant d’une profonde blessure d’éclat d'obus au dos de la cuisse – et se met à lui faire un bandage.

Des soldats au visage marqué ressortent du trou. Certains ont les bras et jambes ensanglantés par des blessures plus légères, causées par des éclats de la même grenade qui a touché le journaliste en train d’être soigné sur place, en travers de la sortie, dont il bloque le passage.

La température monte, le ton aussi. Devant le trou, deux lieutenants se disputent. L’un de deux essuie le sang qui coule de son bras. Bientôt, il s’interrompt pour demander d’un ton irrité si quelqu’un a un bandage. Un soldat lui tend un chiffon sale.

À LIRE : À Mossoul, la bataille pour la vieille ville se joue dans les ruelles du souk

Des soldats attendent toujours d’avancer et grillent des cigarettes en échangeant des plaisanteries. Le jeune homme avec la carte sur son téléphone confie qu’il rêve d’aller un jour en Angleterre. « L’Irak, c’est nul », dit-il en souriant, balayant d’un geste les ruines de la vieille ville de Mossoul, anéantie.

Nous nous trouvons sur la ligne du front sud-ouest de la bataille pour la vieille ville, où l’élite de la division Réponse rapide (ERD) a été de nouveau mobilisée pour réaliser de nouvelles avancées dans les ruines du souk de Bab al-Tob. Objectif : atteindre un quartier résidentiel autour de la mosquée d’al-Khuzam.

Les tirs des snipers de l’EI se rapprochent et s'intensifient.

Un soldat de 19 ans ressort péniblement du trou. Il a le visage contorsionné, en état de choc. Il tend son fusil pour montrer où la balle d’un tireur embusqué a fracassé son arme. Son poignet est inerte, suite à l’impact qui lui est remonté dans le bras. Un autre explique en riant qu’une balle de l’EI l’a frôlé à hauteur de la ceinture. Dans la direction où les soldats avancent, on entend d’autres explosions de grenade et plusieurs d’entre eux émergent à la hâte du trou.

Retour au front, une fois de plus

« Repliez-vous, repliez-vous ! Vite ! », ordonne Ahmed, « C’est très dangereux ici ». C’est un soldat du service médias de l’ERD. Il sert de guide à deux journalistes dans les ruelles labyrinthiques, où de petits groupes de soldats, visiblement déprimés, occupent tous les coins d’ombre qu’ils peuvent trouver.

Les soldats des forces irakiennes ne manquent pas de bravoure mais, au milieu des décombres de ces rues dangereuses, la hardiesse et l’extraordinaire bonne humeur de nombreux soldats face à l’ennemi le plus redouté du monde – l’EI – sont mises à rude épreuve.

La bataille pour Mossoul en est maintenant à son dixième mois, et même les combattants d’élite sont pour la plupart épuisés.

« Nous avons repris toutes les zones de Mossoul-Ouest, mais maintenant nous sommes rappelés au front pour aider les autres. Une fois de plus »

-Mohammed, soldat

« On ne devrait même pas être ici », s’exclame Mohammed, le soldat de l’ERD. « Nous avons repris toutes les zones de Mossoul-Ouest, mais maintenant nous sommes rappelés au front pour aider les autres. Une fois de plus. »

Il y a deux semaines, les troupes de l’ERD ont été enrôlées pour prêter main forte aux unités militaires irakiennes qui peinaient à dégager le quartier d’Al Shifaa à Mossoul, dernière poche de résistance de Daech à l’extérieur de la vieille ville. Elles ont de nouveau été appelées, en début de semaine.

« Un chef militaire nous a téléphonés au milieu de la nuit. Il a félicité l’ERD pour le travail formidable que nous avions accompli à Mossoul, nous traitant même de héros », se souvient-il dit. « Puis, il nous a ordonné d’aller sur cette ligne du front soutenir la police fédérale. Nous sommes venus ici immédiatement ».

Un membre de la police fédérale aide un soldat de l’ERD à sortir du trou qui a fracassé le mur d’une maison de la vieille ville de Mossoul (Martyn Aim/MEE)

Pendant les quatre premiers jours de juillet, Amaq, le média affilié à l’EI, a diffusé une série de vidéos sur Mossoul, exhibant des membres de la police fédérale tués lors des récents combats – neuf dans une vidéo, trois dans une autre, deux dans une autre encore et, dans une quatrième vidéo, encore un soldat tué, cette fois par un sniper.

Dans les rangs des forces irakiennes qui combattent Daech à Mossoul, les policiers fédéraux comptent parmi les moins bien formés et les moins bien aguerris. Ils jouent le plus souvent un rôle de soutien, pour tenir de nouvelles positions gagnées sur la ligne du front par les forces spéciales.

Mais les commandants de l’ERD se sont plaints il y a quelques mois de l’incapacité fréquemment constatée de la police fédérale à tenir ces positions avancées. « Chaque jour, nous réussissons une avancée et nous la confions le soir à la police fédérale, en les suppliant, ‘’S’il vous plaît, ne la perdez pas, de grâce’’. Mais souvent, le matin, ils ont perdu du terrain », racontait le capitaine ERD Abbas à Middle East Eye en mars dernier.

Affalés en sous-vêtements sur le sol, les agents de la police fédérale ruissellent de transpiration et essaient de trouver, même pour seulement quelques instants, un peu de répit loin de la chaleur implacable

L’itinéraire mal défini qui éloigne du front passe par un réseau de trous fracassant les maisons, dont certains à peine assez larges pour laisser y grimper les soldats de plus grande taille.

Dans l’obscurité des intérieurs oppressants de ces anciennes maisons, les agents de la police fédérale attendent la fin des avancées pour se mettre en position de défense pour la nuit. Affalés en sous-vêtements sur le sol, ils ruissellent de transpiration et essaient de trouver, même pour quelques instants, un peu de répit dans cette chaleur implacable.

En passant d’une pièce éventrée à l’autre, de jeunes soldats transportent vers la ligne du front des sacs d’oranges et des cartons de nourriture précuite.

En émergeant dans le soleil douloureusement brillant du souk – pratiquement totalement démoli par les attaques aériennes – les soldats escaladent les décombres, au milieu des odeurs nauséabondes d’excréments et de chairs en décomposition. Dans le ciel, un hélicoptère vient de tirer deux missiles contre des positions ennemies situées à 400 mètres à peine. L’impact est énorme.

L’assaut final

Éclats d’obus et détritus volent dans tous les sens autour des positions militaires. La plupart des soldats se cachent sous les vitrines brisées des magasins, à l’abri du soleil et des balles perdues. En revanche, ceux qui avancent à découvert sont vulnérables. Un éclat d’obus se fiche dans la tête d’un agent de la police fédérale et abat un soldat de l’ERD, victime d’une blessure profonde à la cuisse

Dans un nuage de poussière, des ambulances roulent à toute vitesse pour aller chercher les blessés. Ici, au moins, les blessés se trouvent à proximité d’un endroit où ils peuvent être soignés. Sur les positions les plus avancées du front, au plus profond de la vieille ville, il faut aux soldats une heure en moyenne pour traverser à pied un kilomètre de terrain difficile, dans des rues étroites, encombrées de décombres, explique Thomas, médecin pour une ONG allemande.

Les cas graves de traumatismes et de blessures ont besoin d’attention médicale dans les quinze minutes. Les blessés sur les lignes de front les plus profondément enfoncées à l’intérieur de la vieille ville n’ont guère de chances de s’en sortir.

Un membre de la police fédérale envoie un message de son téléphone portable (Martyn Aim/MEE)

Imperturbables malgré l’attaque aérienne, des combattants de l’ERD font une pause à l’intérieur d’un bâtiment à double enceinte, bizarrement intact au milieu du souk dévasté. Ils prennent leur déjeuner avant de participer à l’assaut.

« Les rues sont jonchées de combattants de l’EI morts. Nous en avons tué beaucoup », se réjouit Malik, un soldat, en montrant le quartier détruit d’un grand geste de la main.

« Notre progression est régulière et, inch’allah, il n’y en a plus pour longtemps. La puissance de Dieu est de notre côté »

-Thaet, soldat

« Désormais, ils déposent les armes et essaient de se mêler à la foule des civils en fuite, mais on finira bien par tous les arrêter ».

D’après lui, les troupes de l’ERD trouvent de plus en plus d’armes abandonnées par Daech – surtout des M16 et AK47 – par terre, à l’endroit où les combattants les ont laissées.

« Ce qui nous pose le plus de problèmes, ce sont les snipers et les engins explosifs improvisés [IED]. Des IED ont été installées absolument partout, ce qui ralentit considérablement notre progression », déplore le soldat Theat, 29 ans. « Notre progression est régulière et, inch’allah, il n’y en a plus pour longtemps. La puissance de Dieu est de notre côté ». 

Traduit de l'anglais (original) par Dominique Macabies.

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