Les Kurdes syriens cherchent à prendre Raqqa en s’alliant à une nouvelle force arabe
TELL ABYAD, Syrie – Alors que les Kurdes d’Irak hésitent à prendre la ville arabe de Mossoul, les Kurdes syriens ne semblent pas avoir les mêmes réserves quant à la prise de la ville à majorité arabe de Raqqa – une prouesse qu’ils espèrent réaliser en coopération avec les forces arabes locales.
Cette ville de l’est de la Syrie est le quartier général syrien du groupe État islamique depuis l’année dernière, mais la coalition contre le groupe État islamique (EI) s’est rapprochée et se trouve désormais à environ 50 km.
Personne ne sait exactement quand l’assaut final aura lieu, mais les combattants ont tenu à souligner que les préparatifs étaient en cours.
« Il aura lieu bientôt, mais le comment et le quand relèvent du secret militaire », a déclaré Heval Amude, un commandant local des YPG (Unités kurdes de protection du peuple). « Nous nous préparons au mieux. »
Les miliciens de l’EI ont commencé à reculer l’année dernière, après avoir assiégé les Kurdes pendant 134 jours dans la ville frontalière de Kobané. Ils semblaient sur le point de prendre la ville et la frontière mais ont été vaincus en janvier à l’aide des frappes aériennes de la coalition menée par les États-Unis, dont les Kurdes sont devenus les meilleurs alliés. La ville est depuis devenue le symbole de la résistance contre le groupe EI parmi les Kurdes et la victoire a contribué à soutenir la progression des Kurdes syriens au sud et à l’est du pays.
Durant l’été, les Kurdes ont réussi à éloigner l’EI de la frontière syro-turque en prenant Tell Abyad et Aïn Issa, à 50 kilomètres de Raqqa.
En juin, le groupe EI a riposté et a exercé des représailles, tuant 233 civils kurdes, y compris des femmes, des enfants et des personnes âgées, mais les Kurdes ont juré de persévérer. Ces derniers prévoient maintenant de prendre leur revanche en attaquant la ville à majorité arabe de Raqqa, avec le soutien des États-Unis.
Contrairement aux Kurdes en Irak, les YPG, principale force de combat kurde syrienne, n’ont pas d’objection à prendre la capitale du groupe EI en Syrie.
Certains disent qu’ils veulent se venger. Un combattant des YPG à Kobané qui a perdu de nombreux amis a confié à Middle East Eye : « Lorsque nous nous battions à Kobané, Raqqa occupait nos esprits. » Toutefois, beaucoup d’autres facteurs entrent en jeu.
Tensions avec les Arabes
Les Kurdes d’Irak craignent que la prise de Mossoul, capitale du groupe EI, exacerbe les tensions existantes avec les Arabes locaux. En janvier 2009, une coalition nationaliste arabe portant le nom d’un minaret de Mossoul, al-Hadba, avait remporté dix-neuf des sièges du conseil provincial de Mossoul et avait expulsé les Kurdes du conseil local.
Lorsque l’État islamique a pris le contrôle en juin 2014, l’armée et les hommes politiques irakiens ont fui Mossoul. Beaucoup ont été contraints de se réfugier au Kurdistan irakien.
Aujourd’hui, les États-Unis incitent les Kurdes et le gouvernement irakien à reprendre Mossoul, mais les Kurdes irakiens ne souhaitent pas être considérés comme des occupants à Mossoul. Ils font valoir qu’ils ne peuvent que seconder une offensive de l’armée irakienne, qui tarde à venir.
« Nous ne pensons pas que les gens se réjouiront de voir des peshmergas [kurdes irakiens] à Mossoul », avait déclaré Sirwan Barzani, commandant des peshmergas dans sa base près de la ligne de front le mois dernier.
« Si nous agissons, cela pourrait créer des problèmes entre Arabes et Kurdes. »
En Syrie, cependant, les Kurdes veulent jouer un rôle de premier plan dans la prise de la capitale du groupe EI qu’est Raqqa, et le gouvernement américain semble disposé à saluer toute initiative à Raqqa, même si cela est susceptible d’irriter la Turquie.
Recruter des Arabes
Tandis que les peshmergas kurdes irakiens ne recrutent pas d’Arabes, les Kurdes syriens ont récemment formé une nouvelle coalition composée d’Arabes, de Kurdes et de chrétiens, appelée Forces démocratiques syriennes (FDS), qui pourrait jouer un rôle clé dans la prise de la ville de Raqqa.
La semaine dernière, il a été rapporté que les FDS avaient accepté de lancer un assaut en échange d’armes des États-Unis.
« Nous avons rencontré les Américains, ils sont d’accord et nous avons été informés que ces nouvelles armes […] sont en route », a déclaré dans un communiqué publié par l’agence Reuters Abu Muazz, un porte-parole du Front des révolutionnaires de Raqqa – un regroupement de combattants de l’opposition en majorité arabes qui a rejoint les FDS.
Les YPG déclarent néanmoins qu’ils ne prévoient pas de rester longtemps dans la ville.
« Nous ne voulons pas prendre Raqqa », a déclaré Heval Jiyan, un combattant allemand au sein des YPG depuis 2011. « Après l’avoir débarrassée du groupe EI, nous allons rentrer chez nous et laisser Raqqa à une force arabe. »
Les YPG affirment vouloir mettre sur pied une force arabe capable de travailler avec les Kurdes pour protéger leurs régions. « Nous devons mettre en place une force arabe forte qui puisse gérer la vie sociale de la société arabe », a déclaré Jiyan. « Aucun autre mouvement ne peut faire cela. »
Actuellement, plus de 5 000 combattants arabes de différents groupes coopèrent avec les YPG.
Les Kurdes ont fait l’objet de nombreuses allégations concernant de possibles crimes de guerre en Syrie : Amnesty International a accusé leurs forces de la destruction de villages arabes et du déplacement de milliers de villageois arabes. Les Kurdes le nient et insistent sur le fait qu’ils travaillent en bonne intelligence avec leurs voisins arabes et font tout ce qu’ils peuvent pour recruter plus de combattants auprès de la Coalition arabe syrienne soutenue par les Américains, qui comprend les combattants de l’Armée syrienne libre de Raqqa et Deir ez-Zor, ainsi que des combattants tribaux de la tribu Chammar d’Hassaké.
Mais récemment, une nouvelle armée tribale a été créée par Abu Issa al-Raqqawi, le chef de la Brigade des révolutionnaires de Raqqa. Il espère qu’avec les armes américaines et la formation d’Arabes par les YPG, le soutien à l’offensive de Raqqa continuera à croître.
« Avant, nous avions environ 800 membres, mais nous aurons bientôt plus de 10 000 membres », a déclaré Raqqawi à MEE.
Dissiper la peur des YPG
Si les Kurdes prennent Raqqa, les Kurdes ainsi que leurs alliés arabes suggèrent de concert qu’Abu Issa jouera probablement un rôle majeur dans la future administration de la ville.
« Après la libération de Raqqa, la Brigade des révolutionnaires de Raqqa contrôlera la ville et la défendra », a déclaré Abu Hamza, un combattant de l’ASL.
Néanmoins, tous les Arabes ne se sentent pas à l’aise avec le fait que les Kurdes contrôlent une ville comme Tell Abyad, bien que certains disent encore préférer la sécurité à l’instabilité. La ville frontalière stratégique se situe à 70 kilomètres au nord de Raqqa et est aux mains des YPG depuis juin.
Le groupe de surveillance Raqqa Is Being Slaughtered Silently (Raqqa est massacrée en silence), qui est géré par les activistes arabes de Raqqa, désigne les forces des YPG comme « un occupant comparable au régime [du président syrien] Bachar al-Assad et au groupe EI ».
« Pour l’instant, ça va », a déclaré Ibrahim al-Habo à propos du contrôle kurde de Tell Abyad. « Mais je ne sais pas ce qu’il en sera à l’avenir. »
Alors que les Kurdes veulent inclure Tell Abyad dans le cadre de l’administration locale de Kobané, la plupart des Arabes de Tell Abyad sont contre, y compris les rebelles de l’ASL.
« Je pense qu’il vaut mieux qu’elle reste dans la province de Raqqa », a déclaré Habo.
Bien que Raqqa soit une ville à majorité arabe, les Kurdes disent vouloir prendre la ville non seulement à des fins militaires, mais aussi pour des raisons idéologiques.
Un porte-parole des YPG a déclaré à McClatchy que leur principal objectif est la ville de Jerablus, à la frontière syro-turque, et non Raqqa. La ville frontalière est à environ 25 kilomètres à l’ouest de Kobané et à 100 kilomètres au nord-ouest de Raqqa mais, selon les responsables kurdes, les deux villes sont interdépendantes.
« Nous ne pouvons pas prendre Jerablus sans prendre Raqqa. Après cela, nous pourrons créer une administration de canton », a déclaré Heval Nemir, combattant des YPG.
L’une des principales priorités des Kurdes est de lier l’enclave encerclée d’Efrin, au nord-ouest d’Alep, à Kobané, en chassant le groupe EI des villages autour de la frontière syro-turque de l’autre côté de l’Euphrate, y compris Jerablus. Ils voudraient également sécuriser leurs frontières méridionales contre les attaques de l’EI.
Unir les Arabes et les Kurdes contre l’État islamique
Certains Kurdes soutiennent que la souffrance généralisée infligée aussi bien aux Kurdes qu’aux Arabes par le groupe EI pourrait contribuer à unifier les deux communautés à l’avenir.
« Daech [groupe EI] a tué de nombreux Arabes, pas seulement des Kurdes. Nous nous battons pour l’humanité, pas pour l’argent ou un État », a déclaré Nemir.
« L’EI voit Raqqa comme sa capitale et ils y ont basé toute leur administration, voilà pourquoi nous voulons attaquer Raqqa », a déclaré à MEE Ismet Sheikh, un haut-responsable de la défense à Kobané. « Après avoir pris Raqqa, nous pourrons facilement contrôler Jerablus et nous pourrons isoler Daech », a-t-il expliqué. « Nous voulons combattre Daech partout », a-t-il ajouté.
Cependant, pour assurer leur avenir, les Kurdes syriens sont conscients d’avoir à chasser le groupe EI de leurs frontières. « Après Raqqa, nous devons repousser Daech de toute cette région jusqu’à l’Euphrate », a déclaré Heval Kalhor sur la ligne de front à Aïn Issa. « Si Daech est chassé, cela sera mieux pour la Syrie et le Rojava [nom kurde désignant le nord de la Syrie] », a-t-il ajouté.
Le chemin est bien périlleux. Le commandant local des YPG, Heval Amude, a rapporté que ses hommes et lui se préparaient à rencontrer une « extrême résistance » quand ils s’approcheraient de Raqqa. Le groupe EI est bien armé et a annoncé récemment qu’il avait commencé à recruter les jeunes hommes de plus de 14 ans.
« Nous devons nous préparer à une résistance extrême de la part du groupe État islamique », a déclaré Amude dans une base de Tell Abyad. « Parfois, il n’y en a pas, comme à Tell Abyad. La résistance était cinq fois moindre par rapport à ce à quoi nous nous attendions. »
« Toutefois, nous ne devons pas sous-estimer notre ennemi », a-t-il précisé. « Nous sommes très sérieux et nous les prenons au sérieux, c’est ainsi que nous établissons nos plans. »
Traduction de l’anglais (original) par VECTranslation.
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