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Libye : dans une tentative désespérée pour garder Syrte, l’EI déploie des femmes snipers

MEE a recueilli les témoignages de combattants des forces du Gouvernement d'union nationale (GNA) qui racontent comment le groupe État islamique (EI), retranché dans un dernier quartier de Syrte, envoie des femmes snipers en première ligne
Sur une ligne de front, un combattant du Gouvernement d’union nationale (GNA) agite une poupée de chiffon pour attirer l’attention des snipers de l’EI (AFP)

L’État islamique (EI) en Libye envoie au front des femmes snipers, initiative surprenante de la part de l’organisation, qui encourage normalement les femmes à épouser des combattants pour fonder des familles dans les territoires du califat autoproclamé, plutôt qu’à participer directement aux combats.

Alors que forces libyennes, opérant sous l’autorité du Gouvernement d’union nationale (GNA) soutenu par l’ONU, combattaient l’EI pour prendre le contrôle du complexe tentaculaire d’Ougadougou, à Syrte, dans l’ancienne ville natale de Mouammar Kadhafi, un soldat s’est dit étonné de repérer une femme sniper.

« Quand j’ai vu cette femme, je n’en croyais pas mes yeux. C’était inconcevable ! », raconte le combattant Ali Zeid à Middle East Eye. « Elle se trouvait à 300 mètres de moi, sur le toit d’un immeuble, et elle me ciblait directement ».

Pendant que Zeid se mettait à couvert, il raconte encore qu’il la voyait parfaitement à chaque fois qu’elle se levait pour les viser. « C’était une femme, grande, comme un gladiateur, et de type arabe », précise-t-il, ajoutant que cette femme ne portait ni abaya (longue robe recouvrant les vêtements) ni niqab (voile intégral du visage qui ne laisse que les yeux apparents), les vêtements que l’EI impose aux femmes à Syrte. « Elle portait un pantalon noir et une chemise gris clair, avec seulement un foulard, tellement ample que je voyais très bien ses cheveux. »

« Je me suis senti mal »

Pour Zeid, cette femme, armée d’une mitrailleuse FN, était un tireur opérationnel mais pas vraiment brillant. Elle avait manifestement suivi un entrainement car elle a réussi à toucher un des camarades de Zeid à la jambe.

D’autres combattants ont confirmé qu’il y avait au moins deux femmes en première ligne ce jour-là. Ils les avaient entendues communiquer en criant à l’intérieur du complexe et l’une d’elle avait même appelé les combattants libyens pour les exhorter à rentrer chez eux.

Au crépuscule, les troupes libyennes ont été contraintes de se retirer jusqu’au lendemain matin. Plus tard, elles ont reçu un rapport du renseignement indiquant que dix-sept combattants de l’EI avaient profité de l’obscurité pour quitter le complexe.

Ce soldat libyen essaie de repérer les positions des combattants de l’EI dans le quartier n°3, le dernier bastion de Syrte (AFP)

De violents combats se poursuivent à Syrte, intensifiés depuis le début du mois d’août par plus de 150 frappes aériennes des États-Unis. Les combattants libyens confirment que les combattants de l’EI – désormais contenus dans un périmètre d’à peine deux kilomètres carrés au centre de Syrte – se sont mis à employer de plus en plus de femmes snipers.

« Nous avons tué plusieurs snipers dans ‘’les immeubles indiens’’ à moitié construits à Syrte, et nous avons constaté ensuite que deux d’entre eux étaient des femmes », affirme Hamed, 20 ans, conducteur de tank. « Je me suis senti mal quand on a trouvé les corps. J’ai tiré avec mon arme à feu ce jour-là, et j’espère que ce ne sont pas mes balles qui les ont tuées ». Il précise que l’une des femmes abattues avait revêtu un uniforme militaire masculin tandis que l’autre portait une abaya noire.

La propagande en ligne de l’EI a largement diffusé des images de femmes vêtues de noir brandissant des kalachnikovs, mais dans l’organisation leur rôle se résume surtout à répondre aux besoins des combattants masculins, comme épouses, pour fonder des familles destinées à peupler les territoires du califat autoproclamé. Dans les bastions de l’EI, y compris à Mossoul en Irak et à Raqqa en Syrie, certaines servent aussi dans une unité entièrement féminine de la police des mœurs, appelée la brigade al-Khansaa.

Traduction : « Centre d’informations de l’opération al-Bounyan al-Marsous (forces du GNA). Photos du correspondant du centre d’informations montrant une partie des combats de jeudi »

Mohammed Issa, commandant des opérations libyennes, est responsable de l’une des lignes de front à Syrte. Lui aussi confirme la présence de combattantes dans les rangs de l’EI car il les a déjà entendues communiquer sur des fréquences radio. « Nous savons que l’EI a des femmes dans leurs rangs parce que nous les entendons parler quand nous interceptons leurs communications radio, mais nous ne savons pas combien elles sont », témoigne-t-il, ajoutant que même des enfants participent aux combats à Syrte.

Sur des images du renseignement collectées par des drones de surveillance, on aperçoit des femmes manier un mortier, du plus petit modèle utilisé par l’EI, renchérit un autre combattant.

C’est lors de l’interrogatoire d’un combattant blessé qui s’était rendu, il y a plusieurs mois, qu’une unité a su que l’EI employait des combattantes. « Il nous a dit que seize femmes combattaient aux côtés des hommes à Syrte », ajoute Mohammed, un soldat libyen présent pendant l'interrogatoire, après lequel le combattant blessé serait décédé.

Quand un ancien membre d'al-Qaïda a rendu visite aux forces libyennes à Syrte pour leur offrir ses conseils sur les stratégies de combat de l’EI et leur expliquer leur idéologie, les soldats de cette unité lui ont demandé ce qu’ils devaient faire en cas de face à face avec une ennemie femme.

« Notre religion nous interdit de tuer les femmes alors nous voulions savoir que faire si on se retrouve face à une combattante », se souvient-il. « Il nous a dit que si elle se battait, nous devions tenter de l’éliminer, mais que les prisonnières devaient être remises aux autorités. »

Issa précise que si les hommes de son unité n’ont jamais été confrontés à des combattantes de l’EI, ils savent que l’organisation est un ennemi imprévisible, et qu’il faut s’attendre à tout. « Nous serions vraiment désolés d’avoir à tuer une femme, mais si elle essayait de nous tuer, que faire ? », s’interroge-t-il. « Nous sommes embarqués dans une sale guerre, il est impossible de tout contrôler ».

Des corps bourrés d'explosifs

Il y a quelques semaines, les forces libyennes ont capturé au centre de Syrte une femme soupçonnée d'être une combattante de l’EI. « Nous avons vu cette femme sortir avec ses enfants d’un immeuble, dans le quartier n°1 de Syrte », témoigne Zeid. « Comme le devant de sa robe était couvert de poussière, nous l’avons soupçonnée de s’être mise à plat ventre pour nous tirer dessus. Quand nous sommes allés voir à l'intérieur, nous avons effectivement trouvé un fusil ».

Le général de brigade Mohammed Al-Ghassri, porte-parole de l’opération militaire, confirme l’arrestation d’une femme libyenne – veuve d’un combattant égyptien abattu – mais il en parle comme d’une civile, en ajoutant : « Elle ne s’est pas vraiment rendue. Tout d’un coup, elle s’est retrouvée encerclée par nos troupes ». Selon lui, elle est pour l’instant la seule prisonnière de l’EI.

Al-Ghassri se dit incapable de confirmer ou d’infirmer la présence de combattantes snipers à Syrte, mais il confirme que plusieurs femmes et enfants soupçonnés d’être des kamikazes ont été abattus. « Daech se sert maintenant de femmes et d’enfants comme kamikazes, et nous avons malheureusement été contraints d’en tuer quelques-uns, pour constater ensuite que les corps avaient été bourrés d’explosifs. »

L’offensive lancée pour libérer Syrte et la région environnante de l’emprise de l’EI – qui contrôlait la ville depuis plus d’un an –  a duré presque cinq mois et laissé environ 560 soldats libyens sur le champ de bataille et plus de 2 600 blessés. L’EI a défendu son territoire par une campagne incessante de voitures piégées, de mines, d’engins explosifs improvisés (EEI) et de snipers. Plusieurs des véhicules piégés avaient des femmes à bord, pour faire croire à des véhicules civils.

Les morceaux du corps d’une femme – dont les restes d’une main portant des anneaux d’or – ont été retrouvés éparpillés autour du site d’une explosion qui a ciblé un hôpital de campagne. Un autre combattant libyen a dit qu’il avait trouvé le pied démembré d’une femme, portant des décorations au henné, sur la scène d’un double attentat-suicide sur une zone logistique et un café fréquenté par les forces libyennes à la périphérie de Syrte.

Traduction de l’anglais (originalpar [email protected].

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