À Londres, MBS s’est payé une campagne publicitaire à un million de dollars
Un Britannique sur trois a déclaré ne pas vouloir de lui. Une écrasante majorité est d’avis que la Grande-Bretagne a tort de lui vendre les armes destinées à être larguées sur les Yéménites. Pourtant, la Grande-Bretagne a reçu Mohammed ben Salmane et lui a bien accordé la semaine dernière une visite de trois jours – et plus –, grâce au premier rôle attribué au monarque dans le cadre d’une campagne publicitaire sans précédent, réputée aussi chère que la rançon d’un roi.
Ces derniers jours, le visage stoïque du prince héritier saoudien a suivi des yeux les passants sur des panneaux d’affichage géants, les portes des taxis londoniens et dans les pages des journaux nationaux, proclamant qu’il amène « le changement en Arabie saoudite » et « l’ouverture de l’Arabie saoudite au monde » et que son pays et la Grande-Bretagne sont des « royaume unis »
« L’accent mis sur le zèle réformateur d’un seul homme est encore plus prononcé que lors de la visite du premier ministre chinois en 2015 »
- James Ashton, Lingmell Media
Les spécialistes de la publicité affirment que cette offensive de charme aura coûté à l’Arabie saoudite une coquette somme à sept chiffres pour financer les panneaux d’affichage et les cerveaux qui les ont conçus. Pour cette campagne de trois jours, on leur aurait imposé les mêmes prix qu’aux plus grandes marques, certains estimant même la facture à plus d’un million de dollars.
Lorsqu’on lui a demandé son estimation la plus précise possible, l’agent de relations publiques britannique, Mark Borkowski, a répondu : « Beaucoup d’argent... un paquet d’argent, à en avoir les larmes aux yeux. Je sais que les gens qui, je pense, se sont occupés de cette campagne, ne sont pas bon marché. »
Pour James Ashton, directeur de Lingmell Media, basé à Londres, cette campagne est « sans précédent » – aucun autre leader invité n’a jamais été soutenu par une telle débauche de publicité.
« L’accent mis sur le zèle réformateur d’un seul homme est encore plus prononcé que lors de la visite du premier ministre chinois en 2015 », a déclaré James Ashton.
« Le but de la manœuvre, c’est que ce raz-de-marée publicitaire généralisé rappelle au Royaume-Uni la nécessité économique de ce partenariat international – et tant pis pour les inquiétudes autour des droits de l'homme ».
La campagne a été parrainée par Arabian Enterprise Incubators, société de conseil fondée par Adam Hosier, ancien employé de BAE Systems, société de défense qui a fourni à l’Arabie saoudite des dizaines d’avions de guerre, entre autres armements.
La campagne s’est faite toutefois devant un public hostile : une enquête commandée par la Campagne contre le commerce des armes (conduite par Populus) a révélé que 37 % des habitants du Royaume-Uni étaient opposés à la visite du prince héritier et que seulement 6 % soutenaient les ventes d’armes du Royaume-Uni à l’Arabie saoudite.
L’apparition de ce visage sur Twitter a déclenché un millier de protestations : les hashtags lancés par la campagne – #WelcomeSaudiCrownPrince et #ANewSaudiArabia, ont été noyés dans le tapage des fils comme #SaudiPrinceNotWelcome (le prince saoudien n’est pas le bienvenu) #DeathPenalty (peine de mort) et tout simplement #Yemen.
Traduction : « C’est... glaçant. Des portraits aux connotations autoritaires du prince héritier saoudien Mohammed ben Salmane s’étalent sur les murs de Londres avant sa visite, demain. Nous avons affaire à un violeur en série des droits de l’homme, responsable de la mort de milliers de civils innocents au Yémen »
Jonathan Hardy, professeur en médias et communications à l’Université d’East London, a prédit que la campagne de relations publiques saoudienne telle qu’elle a été menée n’aurait guère d’impact sur l’opinion publique.
« L’impact sur les civils du conflit et du blocus en cours au Yémen, conjugué à un leadership travailliste sous la direction de Jeremy Corbyn, farouchement critique et axé autour des défaillances saoudiennes, qu’il a par ailleurs très bien documentées, signifie que ces efforts de relations publiques ne parviendront pas à faire oublier une ‘’histoire’’ si notoire », a-t-il déclaré.
La publicité dans les rues et les affiches ambulantes aura peut-être eu un certain impact sur l’élite, a-t-il ajouté, mais il aurait été bien plus convaincant, par exemple, d’entendre directement toutes ces femmes qui s’efforcent de faire advenir le changement dans le royaume.
« Le problème c’est que, pour cela, il est nécessaire de disposer d’une société civile florissante, d’où faire s’exprimer des voix dignes de confiance », indique Hardy.
Quelle que soit la position de chacun sur l’Arabie saoudite, le plus gros problème réside sans doute dans les attentes qu’une campagne aussi massive a suscitées, selon Borkowski.
« Une fois que vous ête engagé dans ce genre de relations publiques, il est impossible de faire marche arrière. Vous courez tous les jours un marathon pour être visible et vous vous retrouvez dans le domaine public », a-t-il regretté.
« Il est maintenant dans le collimateur, et les commentateurs comme moi ainsi que d’autres personnes, sont très intéressés de savoir quel sera le prochain stade de cette affaire. Bien sûr, si cette modernisation du royaume, plutôt intéressante, en marche actuellement échoue, une entreprise de relations publiques ne suffira pas. »
Dans un rapide sondage aléatoire auprès du public, la pénétration de la campagne s’est avérée minime.
Sous les portraits géants de ben Salmane installés à proximité de la bretelle suspendue de Hammersmith, Ben, ingénieur britannique du gaz et du pétrole résidant à Moscou, en ville depuis plusieurs jours, considère que c’est une bonne chose.
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« J’essaie d’ignorer la publicité. C’est un concept de vie », souligne-t-il. Mais au-delà de la campagne, il précise qu’il s’oppose aux accords d’armements conclus par le Royaume-Uni avec l’Arabie saoudite.
« Je n’aime pas ce qu’ils font au Yémen. Je pense qu’on fait ça juste pour l’argent ». Nicola, conseillère à la Sécurité sociale britannique, reconnaît qu’elle ne sait pas vraiment qui représentait ce grand visage dominant l’autoroute, mais que cette publicité la met mal à l’aise.
« Mais au fait, pourquoi me demandez-vous cela ? » demande-t-elle. « Que signifie pour lui d’édifier son économie ? N’est-ce pas le devoir de tout le monde d’édifier son économie ? »
Traduction de l’anglais (original) par Dominique Macabies.
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