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À Monastir, le candidat juif d'Ennahdha pimente les municipales

Simon Slama, 54 ans, de confession juive, candidat aux municipales du 6 mai sur la liste d’Ennahdha à Monastir, est un ambassadeur de choix pour le parti islamiste qui veut afficher son « ouverture »
Simon Slama, candidat aux élections municipales sur la liste Ennahdha à Monastir, avec la libraire de son quartier (Lilia Blaise/MEE)

MONASTIR, Tunisie – « Je suis avant tout un Monastirien. Sur les 520 juifs que comptait la ville dans les années 1940, il ne reste plus aujourd’hui que ma famille. » Simon Slama, 54 ans, marié et père de trois enfants, de confession juive, n’est pas un candidat comme les autres. Pour les élections municipales du 6 mai, il figure en septième position sur liste… du parti islamiste Ennahdha – qui se qualifie dorénavant de parti « musulman démocrate ».

« Je voulais changer les choses à mon échelle, je connais bien mon quartier et les Monastiriens, je sais quelles sont les problématiques de la ville », avance-t-il. Dans son quartier, Simon Slama connaît tout le monde, du vendeur d’électroménager à la libraire locale.

« On se connaît depuis trente ans, son grand-père connaissait mon grand-père, il n’a jamais été question de différence de religion entre nous », témoigne à Middle East Eye Faouzi Skhiri, médecin, croisé dans la librairie.

Vue sur Monastir, située sur une presqu’île, à 160 kilomètres au sud de Tunis (Wikicommons)

Dans le quartier de la médina de Monastir, où vit Simon, une synagogue, une église et une mosquée avaient été bâties presque côte à côte il y a plusieurs décennies. Les années passant, l’église et la synagogue ont disparu, tout comme la plupart des familles juives de Monastir. Mais Simon est resté, comme quelques-uns de ses cinq frères, dont un tient une boulangerie-pâtisserie près de chez lui.

Jusqu’à peu, Simon regardait de loin la politique tout en réparant et en montant des machines à coudre, son métier depuis presque quarante ans, seul, dans sa boutique à côté de chez lui.

« Mon père était connu car il était le premier à avoir amené le cinéma à Monastir, avec un camion ambulant qui projetait des films. Mais c’est de mon grand-père, qui était dans le textile, et de ma mère, une grande couturière, que j’ai hérité », ajoute Simon.

« Il n’a consulté personne dans la famille avant de faire son choix. Nous avons du mal à comprendre ce qu’il s’est passé »

- Bernard Slama, frère de Simon

Deux mois avant le dépôt des listes électorales pour les municipales, Simon est contacté par un ami de longue date, membre d’Ennahdha. Le parti a décidé d’ouvrir la moitié de ses listes aux candidats indépendants, comme Simon. Ce dernier réfléchit et se lance.

« Pour moi, ça fait sept ans que les choses n’ont pas bougé alors je me suis dit qu’il fallait agir. J’ai choisi le parti Ennahdha parce qu’il me semblait bien organisé. Et ils m’ont tout de suite accueilli à bras ouverts quand je suis venu m’inscrire. »

Pour les membres du parti à Monastir, tout comme pour la communauté juive de Tunis, c’est la surprise. Pour la famille de Simon, la déception. « Je ne comprends toujours pas comment mon frère a pu s’engager dans ce parti. Il n’a consulté personne dans la famille avant de faire son choix. C’est quelqu’un de très gentil et de bon, mais nous avons du mal à comprendre ce qu’il s’est passé », confie Bernard Slama à MEE.

Monastir, enjeu des municipales

Simon a aussi eu du mal à convaincre sa femme, Joëlle, de son choix. La famille de Simon craint d’être exposée, cataloguée comme partisane, et surtout de s’allier à un parti qui fait de la religion musulmane une de ses valeurs principales de campagne ! « Pour moi, ce n’est pas un parti tolérant et j’ai peur qu’il utilise mon frère », s’inquiète Bernard.

Du côté du parti Ennahdha, l’entente avec Simon ne pose aucun problème. « S’il prône des valeurs de tolérance, ce qui est le cas, tant mieux. Mais nous le prenons surtout au sérieux comme candidat pour sa proximité avec son quartier », affirme à MEE Habib Azzez, secrétaire général du bureau régional d’Ennahdha dans la région de Monastir.

« J’étais connu en classe pour être l’un des meilleurs sur l’étude du Coran, je n’ai jamais eu de problème avec l’étude de la religion musulmane et même si je suis juif, j’ai toujours été ouvert », se défend Simon Slama.

À LIRE : Tunisie : la course aux municipales a commencé

Avec 31 municipalités et 187 candidatures validées, la région de Monastir, historiquement très politisée – c’est la ville natale du président Habib Bourguiba – incarne l’un des enjeux des prochaines élections municipales.

Et l’emballement médiatique provoqué par la candidature de Simon Slama n’est que le début d’une bataille politique qui s’annonce.

Acquise à Nidaa Tounes, depuis les élections législatives de 2014 – le premier meeting du parti, après sa création, s’était tenu à Monastir – la ville se caractérise par un mélange de partis destouriens (courant national socialiste hérité du parti de Bourguiba) et par une forte rivalité entre les deux partis majoritaires au gouvernement, Nidaa Tounes et Ennahdha, qui gagne du terrain notamment dans la ville voisine, de Sousse.

En plus de cette dynamique politique, la ville réputée pour son calme et empreinte dans son urbanisme, de l’héritage de Bourguiba, qui avait voulu en faire une ville propre et touristique, est aussi considérée comme la capitale politique du pays.

Les élections municipales du 6 mai risquent de tourner au face-à-face entre Nidaa Tounes (mené par Hafedh Caïd Essebsi, à gauche) et Ennahdha (mené par Rached Ghannouchi, à droite) (AFP)

Pour le parti Ennahdha, qui depuis son dixième congrès, a décidé de s’ouvrir à des « compétences tunisiennes » et pas seulement des adhérents historiques ou conservateurs, la ville et sa région sont stratégiques.

Avec 93 306 habitants dans la ville et 548 828 habitants dans le gouvernorat, la région est beaucoup plus découpée – dans le but de centraliser le pouvoir – que le gouvernorat de Sfax, par exemple, qui compte presque le double d’habitants mais seulement dix-sept municipalités.

La carte de l’ouverture

Le parti Ennahdha, qui avait remporté seulement 28 % des voix contre 37 % pour Nidaa Tounes aux législatives de 2014, a ouvert 50 % de ses listes aux indépendants au plan national et en a accueilli un bon nombre à Monastir.

Si les détracteurs du parti y voient une technique pour camoufler le manque d’adhésions ou de candidats parmi les militants, le parti met en avant une politique d’ouverture.

La candidature de Simon Slama et d’autres candidats indépendants aurait même fait débat à Monastir, où il a été refusé à certains militants de se présenter pour privilégier les indépendants. Les listes de la région de Monastir comptent 62 % de candidats indépendants. Et sur la liste de la municipalité de Monastir, les onze premiers candidats, sur 30 au total, sont indépendants. 

L’Instance supérieure indépendante pour les élections (ISIE) s’attend à un taux de participation très élevé, de l’ordre de 80 % (AFP)

Mais la stratégie d’Ennahdha, au-delà de promouvoir une ouverture aux autres cultures, partis ou même confessions religieuses consiste à miser sur ces élections pour promouvoir sa transformation en parti de musulmans démocrates et opter pour une ligne politique de centre-droit.

« À la façon d’En Marche avec Macron, ou du Mouvement Cinq étoiles en Italie, nous essayons de transformer notre façon de faire de la politique. C’est vrai que nous sommes un parti qui historiquement a su être très organisé, mais aujourd’hui, nous voulons changer », déclare Habib Azzaz.

Démolir des constructions anarchiques, redonner vie au littoral, rénover le marché municipal, miser sur le développement durable, toutes ces missions seront celles du conseil élu de la ville

Un proverbe tunisien dit que pour connaître les problèmes sociaux de la Tunisie, il faut aller à Gafsa. Et que si pour connaître ses problèmes politiques, il faut aller à Monastir. Mais à quelques kilomètres de Monastir, dans la ville de Ksibet Mediouni, les problèmes sociaux sont aussi bien présents et les indépendants ne voient pas d’un bon œil l’éventuelle confiscation du scrutin par les deux partis au pouvoir.

« Si les électeurs en ont marre de la bipolarisation et se tournent vers les indépendants, il y a une chance de rétablir un pouvoir local de proximité avec des élus qui sont au fait des problématiques et qui ne sont pas juste là pour faire de la politique », explique Mounir Hassine, du Forum des droits économiques et sociaux, qui soutient la coalition d’indépendants de la ville.

« Une vraie compétition »

Démolir des constructions anarchiques, redonner vie au littoral, rénover le marché municipal, miser sur le développement durable, toutes ces missions seront celles du conseil élu de la ville. « C’est un vrai enjeu de réaliser que la gouvernance locale, ce n’est pas l’affaire des partis mais réellement de ceux qui sont en mesure d’améliorer le quotidien des gens et qui ont une proximité avec eux. »

Du côté de la marina de la ville, les militants du parti de Nidaa Tounes s’activent entre les photos de Bourguiba et celles de Béji Caïd Essebsi. Si Ennahdha joue la carte de l’ouverture avec ses indépendants et Simon Slama, Nidaa Tounes mise sur des militants « compétents » et recycle beaucoup d’anciens.

À LIRE : INTERVIEW – Chafik Sarsar : « Le paysage politique partisan en Tunisie va peut-être enfin changer »

La tête de liste pour Monastir est Najoua Bouzgarou Besbes, médecin et ancienne maire-adjointe à Monastir sous Ben Ali, aussi membre du Rassemblement constitutionnel démocratique (RCD), le parti de l’ancien président déchu.

« Pour nous, à Monastir, personne n’est indépendant. Donc ça n’avait pas de sens d’ouvrir nos listes aux indépendants. Tout le monde est politisé et tout le monde se connaît », souligne-t-elle. Pour elle, un rapprochement avec Ennahdha est impossible à imaginer, même si les deux partis gouvernent ensemble. « Ce n’est pas comme les législatives, nous n’avons pas la même vision, et je pense qu’il y aura une vraie compétition cette fois », assure-t-elle.

Les candidats de Nidaa Tounes se préparent pour les élections, entre Habib Bourguiba et Béji Caïd Essebsi (Lilia Blaise/MEE)

Celle qui regarde de près cette compétition, c’est l’Instance supérieure indépendante pour les élections (ISIE). « Les deux grands partis ne sont pas si rivaux, en réalité », analyse Bassem Hlaoua, représentant de l’ISIE à Monastir. « Pendant les législatives de l’an dernier, Nidaa et Ennahdha avaient tenu leur meeting dans le même lieu, le même jour. »

Les membres de l’ISIE s’attendent aussi à un fort taux de participation puisque 80 % des électeurs ont voté lors des dernières élections.

« Ces élections représentent un réel enjeu car les candidats élus n’iront pas à Tunis comme les députés », rappelle Khaled Chatti président de l’Instance régionale pour les élections à Monastir. « Ils resteront là où les gens ont voté et devront rendre des comptes. »

Avant cela, Simon Slama devra élaborer un programme et le mettre en œuvre avec Ennahdha. Il le présentera mi-avril, date de début de la campagne électorale. 

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