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Pourquoi des groupes de défense des droits de l’homme s'adressent aux dirigeants de Manchester City

Des lettres consultées par MEE attestent qu’Amnesty et HRW ont présenté une pétition au conseil municipal ainsi qu’au Manchester City football Club détenu par Abu Dhabi, soulevant la question du « trou noir » en matière des droits de l'homme
Le manager de Manchester City Pep Guardiola pose devant le stade de Manchester City, propriété d’Abu Dhabi (AFP)

Les élus de Manchester et les dirigeants de son club de football ont le devoir d’utiliser leurs étroits liens commerciaux avec les Émirats arabes unis (EAU) pour faire pression sur l'État du Golfe contre la torture, l'esclavage moderne et la détention des militants contestataires, ont déclaré deux principaux organismes de défense des droits de l’homme.

Dans deux lettres, dont Middle East Eye a eu l’exclusivité, Human Rights Watch et Amnesty International ont pris l’occasion du massacre de Peterloo, dont le 197e anniversaire est commémoré aujourd’hui, pour demander au conseil municipal de Manchester et au club de football Manchester City de profiter de leurs liens avec le riche état pétrolier du Golfe pour exiger des autorités le respect des droits de l’homme. Le jour du massacre de Peterloo, des manifestants britanniques ont été tués alors qu’ils étaient dans la rue pour exiger des réformes.

Manchester est devenu une destination privilégiée des investissements des EAU aux Royaume-Uni, suite, en 2008, à l’achat par Mansour bin Zayed al Nahyan, vice-Premier ministre du pays, du club de Manchester City, par l’entremise du Groupe financier Abu Dhabi United (ADUG).

Depuis 2008, Mansour a investi plus de 1 milliard de livres (1,3 milliards de dollars), transformant radicalement la destinée du club, tandis que la mairie de Manchester concluait une joint-venture de 1,3 milliards de dollars, en association avec une société contrôlée par l’ADUG, pour réhabiliter les quartiers de l’est de la ville, plus pauvres, en y construisant jusqu’à 6 000 nouvelles maisons.

Les deux organisations se vantent ouvertement de leurs étroits liens commerciaux avec les Émirats arabes unis, fédération de sept émirats dominée par Abu Dhabi, le plus riche en pétrole. Or, les Émirats arabes unis ont été appelés « trou noir » en matière de droits de l'homme par certains militants, qui accusent les autorités de recourir « systématiquement » à la torture.

Dans deux lettres distinctes, envoyées aux élus du conseil municipal et au président du Manchester City Football Club, les organisations militantes rappellent la tradition de respect des droits de l'homme à Manchester, et qu’il convient donc de veiller à ne pas la « salir » pour cause de relations complaisantes avec les Émirats arabes unis.

Voici un extrait de la lettre envoyée à Richard Leese, premier élu de la mairie de Manchester, et à Howard Bernstein, directeur général du conseil : « Les relations entre le conseil et les Émirats ne devraient pas, et ne doivent pas nécessairement impliquer l’abandon des valeurs fièrement défendues par Manchester. »

La lettre envoyée aux deux leaders du conseil appelle les EAU à enquêter sur ces allégations de torture, et à autoriser le Rapporteur spécial des Nations Unies sur la torture à se rendre dans le pays.  Il y est également demandé d’abroger les lois qui autorisent les châtiments corporels à l’encontre des femmes ; de mettre un terme aux expulsions arbitraires des travailleurs qui réclament le droit de grève et de libérer les défenseurs des droits de l'homme, dont Mohamed al-Roken, avocat condamné à 10 ans de prison pour avoir exprimé sa dissidence.

Voici le texte de la lettre : « Aux Émirats arabes unis, actuellement, c’est au risque de leur liberté que les citoyens s’expriment publiquement et ouvertement, notamment au sujet des droits de l'homme. C’est un pays où les formes modernes d'esclavage peuvent encore prospérer parce que les dirigeants refusent d’adopter et d’appliquer les lois qui pourraient les interdire ; où les lois et politiques en vigueur rendent les femmes – qu’elles soient citoyennes des EAU ou résidentes étrangères – très vulnérables aux abus physiques et sexuels ; et où quiconque critique la monarchie ou exprime un désir de réformes démocratiques, même mineures, se voit traité de terroriste, soumis à procès inéquitables et condamnés à de longues peines de prison. »

La lettre demande à Richard Leese et Howard Bernstein de prendre des « mesures simples et de principe » afin de soutenir les victimes de la torture aux EAU et de tirer parti des leurs relations commerciales pour obtenir que les relations avec les hauts responsables du pays ne « salissent » pas la réputation de Manchester : ville notoirement militante en faveur de causes historiques vénérées au Royaume-Uni – du mouvement anti-esclavagiste, en passant par la campagne des Suffragettes et le droit de vote des femmes, sans oublier les manifestations de défense de la démocratie.

Ces lettres vont être rendues publiques lors du 197e anniversaire du Peterloo Massacre, commémoré aujourd’hui dans la ville. Il s’agit du massacre de St Peter’s Field où des militaires d'un régiment de cavalerie chargèrent des militants réformistes, laissant 15 civils morts.

Cet événement joua un rôle critique pour promouvoir les libertés dont jouit Manchester à notre époque et c’est à lui qu’on doit la fondation, en 1821, du Manchester Guardian, devenu ensuite le Guardian que nous lisons aujourd’hui.

Nicholas McGeehan, spécialiste du Golfe à Human Rights Watch, a participé à la rédaction de ces lettres et déclaré à MEE : « les dirigeants municipaux de Manchester sont fiers d’exalter leur traditionnel soutien aux droits fondamentaux, ce qui soulève évidemment des questions embarrassantes quant aux relations d’une telle ville avec un pays comme les EAU, dont les dirigeants piétinent sans honte ces mêmes droits au moment où je vous parle.

« Ce que nous avons fait comprendre au conseil ainsi qu’à d’autres personnalités influentes à Manchester, c’est qu'ils disposent des moyens de respecter les valeurs éternelles de notre ville en appelant les Émirats arabes unis à mettre en place des réformes fondamentales et, pour commencer, libérer Mohamed al-Roken le jour de la commémoration du massacre de Peterloo. »

L'année dernière, le Guardian a révélé que des ministres de la majorité à Whitehall avaient créé une unité spéciale – nom de code « Projet Falcon » – destinée à donner aux EAU un accès privilégié aux élites britanniques ainsi qu’aux meilleures opportunités immobilières.

Il y a quelques temps, le Guardian avait révélé que les EAU menaçaient de geler des milliards de livres de ventes d'armes par le Royaume-Uni, si le Premier ministre d'alors, David Cameron, ne prenait pas de mesure à l’encontre des Frères musulmans, qui venaient de prendre le pouvoir en Égypte.

A l'époque où le Projet Falcon avait été initié, l'ancien Premier ministre, Tony Blair, assurait les fonctions d’émissaire pour la paix au Moyen-Orient, au nom des EAU. Whitehall fut obligé d'intervenir lorsque l'une des meilleures universités de Londres déclencha une « crise » en remettant en cause un don de 77,5 millions de dollars par les EAU. Le don, destiné au célèbre hôpital de Great Ormond Street pour financer un centre de maladies orphelines, provenait de la Cheikha Fatima Bint Mubarak, mère du prince héritier.

Cependant, juste avant l'annonce de la création du centre en 2014, le comité d'acceptation des dons à l'University College de Londres (qui supervise les recherches effectuées avec Great Ormond Street), a exprimé des doutes sur la nature de cet argent.

Le don a finalement reçu le feu vert, tout comme le contrat de développement immobilier à Manchester, en dépit de plaintes suite au fait que le rapport révélant les détails de cet accord commercial ait été tenu secret.

Adam Prince, l’un des porte-parole de Manchester Shield, groupe de pression local promouvant l’amélioration de la qualité du parc immobilier à Manchester, a indiqué à MEE que ce développement faisait partie de leurs « préoccupations majeures » pour cause de manque de « transparence» et d’insuffisance du nombre de logements abordables.

Selon les documents disponibles à la Companies House, ce projet immobilier, sous contrôle d’une société offshore, Loom Holdings, suscite donc des questions quant aux raisons qui ont poussé la municipalité de Manchester City à faire affaire avec une société basée à l'étranger. Loom Holdings est elle-même contrôlée par ADUG, société de capital-investissement détenue par Mansour, frère du Prince héritier au pouvoir à Abu Dhabi, et propriétaire du Manchester City Football Club.

Dans leur lettre au club de Championnat anglais, Human Rights Watch et Amnesty International sollicitaient une réunion avec le président du club pour évoquer leurs préoccupations humanitaires. D’après ces deux associations, leur demande n’a pas eu de retour.

Le club a décliné tout commentaire, malgré les demandes réitérées de MEE.

Les critiques ont longtemps soutenu que l’acquisition du club de Premier League par Abu Dhabi a permis aux autorités « d’offrir à cet État du Golfe une image progressiste, utile en termes de relations publiques, et ainsi de détourner l'attention de ce qui se passe réellement dans ce pays ».

Kieran Aldred, l’agent de lobbying à Amnesty International au Royaume-Uni, a déclaré : « les EAU sont très riches mais leur bilan en matière de droits de l’homme laisse beaucoup à désirer. Nombre d’habitants de Manchester seront reconnaissants envers les Émirats pour leur contribution en faveur de leur ville, mais ils ne manqueront pas de se sentir extrêmement embarrassés d’entendre que la liberté d'expression y est réprimée et qu’ils sont bénéficiaires d’un pays aux procès arbitraires et où sévit la torture.

« La mairie de Manchester et toutes les autres institutions ici qui entretiennent des relations commerciales avec les EAU ont là une réelle opportunité de peser en faveur des droits de l'Homme en faisant jouer leur influence considérable sur les autorités émiraties, et démontrer qu’ils prennent ces questions au sérieux. »

Un porte-parole de la mairie de Manchester City a déclaré ne pas être habilité à faire le moindre commentaire en l’ « absence » de Richard Leese et Howard Bernstein.

Parmi les habitants, cependant, l’inquiétude est palpable. « Nombre de dirigeants de Manchester ont fait de beaux discours lors des veillées "Priez pour Orlando" organisées dans notre ville, mais il reste que les minorités LGBT aux EAU sont toujours passibles d’emprisonnement et même de la peine de mort », a dénoncé Prince.

« De même, la situation des droits des femmes et la brutalité des peine prévues par le droit pénal des Émirats sont en totale contradiction avec les politiques d’égalité et des droits de l’homme de Manchester. Il me semble que ces préoccupations ne sauraient être balayées sous le tapis par une municipalité soucieuse avant tout d’éthique et d'égalité. »

Traduit de l’anglais (original) par Dominique Macabies.

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