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Tunisie : le vent de la révolution souffle sur les énergies renouvelables

Le premier prototype industriel de la Saphonienne, une machine qui convertit le vent en énergie, a été dévoilé le 8 avril dernier. Une invention tunisienne qui bouleverse le monde des énergies renouvelables
Anis Aouini, inventeur de la Saphonienne, et Mohamed Lamine Achour, ingénieur à Saphon Energy, travaillent sur un prototype de Saphonienne (MEE/Saphon Energy)

TUNIS – « C’est un saut technologique aussi révolutionnaire que l’invention de la roue », a lancé un des invités à la soirée de présentation du prototype industriel de la Saphonienne. En ce 8 avril, à Raoued, dans la banlieue nord de Tunis, le vent boude. Il ne dépasse pas les 1,5 mètre par seconde. Or, il en faut 2 pour démarrer la machine.

Cependant, quelques rafales suffisent aux personnes présentes pour saisir la nature du mouvement, déconcertant. Anis Aouini, l’inventeur de cette machine, déchiffre au micro : « Les éléments de surface du corps ne tournent pas comme une pale mais ont un autre mouvement qui s'inspire de la nature, je l'ai appelé un "mouvement tridimensionnel nodal". C'est un grand huit dans l'espace, c'est un mouvement qu'on retrouve dans la nature. On le retrouve dans la queue de poisson pour que celui-ci puisse se déplacer et aussi dans les ailes des oiseaux. »

À 38 ans, cet inventeur espère voir la Saphonienne concurrencer et même détrôner l’éolienne. Les résultats préliminaires sont prometteurs : selon Aouini, si on la compare avec des prototypes de même taille, elle est moins chère à fabriquer et 70 % plus performante.

En 2014, Microsoft a d’ailleurs signé avec la start-up tunisienne Saphon Energy, à l’origine du projet, une alliance stratégique. L’objectif est de développer la puissance de la machine et d’y intégrer la technologie de Microsoft pour contrôler tout un parc de Saphoniennes à distance.

Pour Layla Sarhan, représentante de la firme américaine dans la région Moyen-Orient Afrique du Nord, Microsoft investit dans cette nouvelle énergie propre, conformément à sa politique générale, mais n’espère avoir un retour sur investissement que sur le long terme. « Plus le projet va se développer, plus il y aura de machines connectées et plus le cloud de Microsoft sera utilisé », explique-t-elle à Middle East Eye.

Ce premier prototype industriel d’1 KW a été lancé officiellement après cinq ans de recherche et développement. Une phase financée notamment par deux business angels qui ont cru dans le projet : Khaled Qoraichi et Ihsan Khalaf, pakistanais et algérien respectivement. Toutefois, si cette invention veut se tailler une place sur le marché des énergies renouvelables, il faudra assurer la scalabilité de la machine, c’est-à-dire maintenir ses fonctionnalités et ses performances en augmentant sa taille et sa puissance.

Pour cela, le chemin est encore long. Un contrat a été signé avec une banque indienne d’investissement pour les infrastructures en vue de construire 50 Saphoniennes de 20 KW d’ici le début de l’année 2018 et installer en Inde un premier parc pilote d’une puissance d’1 MW. Ce parc vitrine permettra, selon Anis Aouini, de tester la machine dans des conditions réelles et de la développer progressivement pour atteindre 1 MW de puissance par Saphonienne.

La Saphonienne vise à détrôner l’éolienne (MEE/Mohamed Haddad)
Carthaginois et tunisien

« Depuis son invention par Edison, c’est la première fois qu’une ampoule est alimentée par une technologie non occidentale », affirme fièrement Hassine Labaied, co-fondateur de Saphon Energy. L’invention est en effet tunisienne, avec un taux d’intégration de 95 %, c'est-à-dire que le processus de production se fait au niveau local et ne dépend que très peu de pièces importées.

La Saphonienne a remporté plusieurs prix d’innovation. Le Gulfstream Navigator Award est le dernier en date. Si ce prix qui récompense les inventions les plus prometteuses de l’année n’évoque rien aux néophytes, il a en revanche toute l’attention des investisseurs internationaux. L’invention tunisienne a ainsi supplanté ses neuf compétiteurs américains.

En 2012, Hassine laisse derrière lui une carrière de douze ans comme directeur à la City Bank pour fonder, avec son ami d’enfance Anis Aouini, Saphon Energy. Le pari semblait fou, mais au-delà du projet, les deux amis partagent un rêve ancré dans l’histoire antique de la Tunisie. Pour eux, il ne s’agit pas seulement de développer une start-up, mais de « redonner à la terre de Carthage, la Tunisie, sa gloire passée à travers l’innovation et la technologie », précise Anis à MEE.

Malgré son parcours prometteur, Anis Aouini n’a pas été séduit par les sirènes de la Silicon Valley ou de son équivalent indien, Bangalore. Il a fait l’intégralité de ses études d'ingénieur en Tunisie et après une carrière dans des sociétés pétrolières et gazières internationales, il compte continuer ses projets dans son pays, malgré toutes les difficultés.

En effet, le chemin n’a jusque-là pas été des plus aisés. Au début de l'aventure, pour tester les premiers prototypes, seule la technopole de Borj Cedria, située à une vingtaine de kilomètres de Tunis, offrait les infrastructures nécessaires, mais les prix étaient trop élevés. Très peu de moyens sont mis à disposition pour encourager la R&D en Tunisie. L'équipe de Saphon Energy a donc dû construire par ses propres moyens une soufflerie dédiée à la phase de tests. Anis Aouini raconte que d’autres obstacles se sont présentés, notamment la paperasse, les blocages de composants électriques à la douane et les lenteurs administratives.

Malgré cela, toute l'équipe a tenu bon. Car, pour Anis, la Saphonnienne contre l’éolienne, c’est aussi « la bataille de Saphon, le dieu carthaginois du vent qui a donné son nom à la Saphonienne, contre Éole, le dieu gréco-romain. La revanche de Carthage face à Rome ».   

L’univers de la cité punique habite d’ailleurs les locaux de Saphon Energy, situés dans la banlieue résidentielle de Tunis. Une statue de la reine Didon, un buste du général Hannibal et une réplique d’une heptère, un navire qui a fait la réputation de Carthage en Méditerranée, ornent le bureau d’Anis. Une gigantesque et impressionnante représentation murale du port punique carthaginois lui fait face.

Avec passion, Anis raconte l’épopée d’Hannibal, l’une de ses principales sources d’inspiration. « Hannibal disait qu’il faut trouver un chemin ou en créer un. Il ne pouvait pas affronter Rome par la mer, il a donc traversé les Alpes. Pourtant, tout le monde croyait que c’était impossible. »

À l’image de son idole, Anis a su puiser dans son imagination. « Le rendement de l’éolienne est limité par une loi de la physique, la loi de Betz [qui indique qu’une éolienne ne peut convertir en théorie plus de 59 % de la puissance générée par le vent]. Mais ça me posait problème, je ne pouvais accepter l’idée que cette limite soit indépassable. »

Une cigarette à la main, il repense au moment où l’idée de la Saphonienne lui est venue : « Pour trouver la solution, il fallait réfléchir autrement, casser les règles de l’évidence, tout comme l’a fait Hannibal ». Le résultat, c’est un convertisseur de vent en énergie électrique, mais sans les pales ou le mouvement rotatif à la base du fonctionnement de l’éolienne. Ce qui lui permet aussi d’être sans danger pour les oiseaux et de ne pas provoquer d'interférences avec les ondes des radars et des télécommunications.

Père d’une petite fille, Anis n’est pas seulement un ingénieur. Passionné de littérature arabe et de musique, il écrit des poèmes et compose des chansons qu’il interprète avec son équipe, dont la moyenne d’âge ne dépasse pas les 28 ans. Un exutoire face la pression. Le défi est en effet de taille pour lui, son compagnon de route Hassine, et toute l’équipe qui s'est lancée dans l'aventure.

La mise en place du parc indien et l’évolution des différents prototypes seront déterminantes pour assurer le succès du projet.

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