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Les risques d’une stratégie anti-Daech reposant massivement sur les Kurdes

« En choisissant les Kurdes comme alliés stratégiques, on crée une relation déséquilibrée entre les Kurdes et les autres communautés »

La coalition sous commandement américain a fait des forces kurdes irakiennes et syriennes ses principaux alliés contre le groupe État islamique (EI ou Daech) mais, selon les analystes, trop compter sur les Kurdes comporte des risques.

Alors que le monde cherche à exercer davantage de pression sur l’EI, l’Occident devrait se reposer encore plus sur les forces kurdes, que ce soit les peshmergas de la région autonome du Kurdistan irakien ou les Unités de protection du peuple (YPG) en Syrie.

Les Kurdes ont été les principaux partenaires sur le terrain, se révélant parmi les forces anti-EI les plus efficaces dans la région, bien que leurs succès se soient largement bornés aux zones à prédominance kurde.

Les premiers soldats officiellement déployés par les États-Unis en Syrie sont arrivés la semaine dernière dans le nord afin de former les YPG, un groupe qui a des liens étroits avec le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) turc, lequel est considéré comme une organisation terroriste en Turquie et en Occident, mais a également remporté des succès militaires importants contre l’EI.

Cependant, les analystes préviennent que trop compter sur les Kurdes pourrait engendrer une multitude d’autres défis.

L’intervention militaire doit correspondre à un projet politique pour l’après-Daech en Irak et en Syrie, et trop compter sur les Kurdes pourrait avoir un effet contre-productif.

L’absence d’une feuille de route concernant les aspirations à la création d’un État kurde incite les groupes kurdes à obtenir autant d’avantages que possible pour de futures négociations en marquant aujourd’hui des points sur le plan militaire.

Maria Fantappie, analyste spécialiste de l’Irak auprès de l’International Crisis Group, explique pourquoi les YPG pourraient désormais être prêts à aller au-delà des régions kurdes et à participer à une offensive pour reprendre Raqqa, la capitale de l’EI et ville presque entièrement arabe.

« Ils ont sans nul doute cela à l’esprit, en particulier les YPG, qui cherchent à obtenir une reconnaissance internationale », dit-elle.

Toutefois, cela est susceptible d’irriter de nombreux autres groupes arabes sur le terrain et, ces derniers jours, des affrontements violents ont eu lieu entre les Kurdes et le Front al-Nosra, dans la province d’Alep.

Bien qu’al-Nosra soit considéré comme la branche syrienne d’al-Qaïda, beaucoup en Occident et en Syrie espéraient que ce groupe – qui s’oppose à l’EI mais s’est aussi avéré être l’un des plus farouches groupes rebelles sur le terrain – renoncerait à son allégeance au chef d’al-Qaïda Ayman al-Zawahiri et s’engagerait sur une voie plus modérée.

En Irak voisin, les forces loyales au président de la région kurde, Massoud Barzani, ont repris le mois dernier la ville de Sinjar, le principal foyer de la minorité yézidie irakienne.

Avant que le groupe EI balaie l’Irak l’année dernière, Sinjar était sous l’autorité de Bagdad, ne faisant pas partie de la région autonome kurde, mais Barzani cherche maintenant à maintenir le contrôle sur la zone.

Barzani « a effectivement annoncé l’annexion de Sinjar dans la région du Kurdistan irakien », a déclaré Patrick Martin, chercheur spécialiste de l’Irak à l’Institute for the Study of War.

« Aucun signe n’indique que les combattants kurdes sont préparés à passer le contrôle de ce district au gouvernement fédéral irakien », a-t-il précisé.

Michael Knights, membre du Washington Institute qui se concentre sur la politique américaine au Proche-Orient, a déclaré que toute opération pour libérer la deuxième ville d’Irak, Mossoul, de Daech sera basée en territoire kurde.

« Jusqu’à ce que l’EI soit chassé de Mossoul, les Kurdes resteront un allié clé. Par la suite, leur avenir est beaucoup plus difficile à évaluer », a-t-il dit.

Après que l’EI a pris des pans entiers de l’Irak en 2014, Washington a lancé des frappes aériennes en plus d’un programme visant à former et à équiper les forces locales.

Les États-Unis « ont choisi les Kurdes irakiens parce qu’ils étaient des partenaires stratégiques au cours de l’invasion de 2003 et ont été, au moins à leurs yeux, le plus digne de confiance », a déclaré Maria Fantappié, analyste à l’International Crisis Group.

Inversement, plus d’un an après l’avance rapide de l’EI et des tentatives à plusieurs millions de dollars de transformer les forces arabes sunnites en Irak et en Syrie en alliés fiables, peu d’autres alternatives arabes ont émergé et l’État islamique a réussi à conserver des pans entiers de son territoire.

Néanmoins, suite aux attaques du 13 novembre revendiquées par Daech à Paris, il semble y avoir de nouvelles pressions à agir rapidement, incitant le Premier ministre Manuel Valls, entre autres, à souligner la nécessité de soutenir les forces kurdes sur le terrain, quelles que soient les conséquences à long terme.

Selon Knights, l’expansion kurde est proche d’atteindre un pic en Irak et risque d’être limitée par une réaction négative de Bagdad, qui reçoit également de l’aide de la coalition contre l’EI.

La même limite s’applique en Syrie, où une trop grande consolidation de l’influence kurde dans le nord ne conviendrait pas à la Turquie, membre de l’OTAN, qui craint l’autonomie ou l’indépendance kurde et a proposé la mise en place d’une zone de sécurité dans le nord de la Syrie dont beaucoup estiment qu’elle porterait fortement préjudice aux Kurdes.

Même lorsque la coalition sous commandement américain tente de favoriser des alliances entre Kurdes et Arabes contre les extrémistes, la relation penche en faveur des Kurdes, selon Fantappie.

« En choisissant les Kurdes comme alliés stratégiques, on crée une relation déséquilibrée entre les Kurdes et les autres communautés avec lesquelles ils vivent », a-t-elle expliqué.

Dans le nord de la Syrie, l’alliance des forces démocratiques syriennes rassemble les YPG et des forces arabes, mais les Kurdes ont un accès direct aux financements et aux armes, contrairement à leurs partenaires, a-t-elle ajouté.

« C’est dangereux parce que ce soutien militaire peut avoir des conséquences inattendues… Cela peut redessiner les frontières au sein de ces pays et créer les prémisses de conflits et de tensions futurs entre les Kurdes et leurs voisins. »

Traduction de l’anglais (original) par VECTranslation.

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