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L'ombre de l'État islamique pèse sur l'Arabie saoudite

Les attaques militantes dans le Golfe sont rares, mais le recul de l'EI en Irak et en Syrie, ainsi que les problèmes économiques et sociaux, présagent un avenir incertain

Ce fut un avertissement brutal prononcé au plus fort de la bataille d’Alep : Michel Kilo, un éminent dissident syrien, disait à l'Arabie saoudite que le contrecoup de son ingérence dans son pays serait simple : « Ce chaos finira par les détruire ».

« Si les événements dans notre pays ne prennent pas fin, [les terroristes] se tourneront vers eux en grand nombre. Finalement, ils verront ce qui les attend... ils vivent uniquement parce qu'ils ont de l'argent ».

L'avertissement de Kilo – ou peut-être la menace – illustre ce que beaucoup dans le Golfe pourraient craindre : le soutien de l’Arabie saoudite et du Conseil de coopération du Golfe aux rebelles qui combattent le président syrien, Bachar al-Assad, a prolongé la guerre et aura des conséquences imprévues ; et le Golfe est confronté à un afflux de militants violents alors que des groupes tels que l'État islamique (EI) et le Front al-Nosra sont vaincus sur les champs de bataille de l'Irak et de la Syrie.

Selon le groupe Soufan, 2 500 Saoudiens luttent pour de tels groupes, soit le total le plus élevé des pays du Golfe. En comparaison, on estime que 70 Koweïtiens font de même.

Michel Kilo : « Finalement, ils verront ce qui les attend... ils vivent uniquement parce qu'ils ont de l'argent »

Mais la menace existe déjà à l’intérieur même des frontières des États du Golfe, l’EI ayant revendiqué – et étant accusé de – une série d'attaques en Arabie saoudite et au-delà. Selon le Dr Mustapha Alani, expert en lutte contre le terrorisme au Gulf Research Center, l'Arabie saoudite a arrêté 500 personnes ayant des liens avec l’EI depuis 2014, mais les attaques se poursuivent.

En octobre, l'Arabie saoudite a arrêté quatre personnes dans la province de Shaqra pour ce qui, selon les autorités, était un complot visant à attaquer le stade de football d'al-Jawhara lors d'un match entre l'Arabie saoudite et les Émirats arabes unis. Elles sont accusées de prendre leurs ordres de l'EI en Syrie. Le mois dernier, dix-sept personnes ont été arrêtées pour avoir coordonné et planifié avec l’EI des attaques contre des civils, du personnel de sécurité et des sites gouvernementaux.

En juillet, trois attentats-suicides ont visé les villes saoudiennes de Djeddah, Qatif et Médine. À Djeddah, un expatrié pakistanais a blessé deux agents de sécurité lors d’une attaque contre le consulat américain. Une mosquée chiite a été ciblée à Qatif. À Médine, le bombardement visait un bureau de la sécurité situé près de la mosquée du Prophète. Aucun groupe n'a revendiqué la responsabilité de ces attaques, mais les soupçons, comme toujours, portent sur l’EI.

Au Koweït, un réseau de l’EI a été brisé en juillet, un an après un attentat-suicide perpétré par le groupe contre une mosquée chiite qui avait fait 27 morts.

L’EI peut désormais exploiter des questions profondément enracinées qui divisent les pays du Golfe, y compris le sectarisme qui a déchiré des pays comme l'Irak et la Syrie : l'organisation a ciblé des sites chiites à Qatif, dans la province orientale de l'Arabie saoudite, riche en pétrole, où réside la majorité de la population chiite du pays.

Le Koweït fait face à une menace similaire car les musulmans chiites, qui jusqu'à présent ont entretenu des relations relativement bonnes avec la majorité sunnite du pays, représentent jusqu'à 30 % de la population.

Les attentats de Qatif s'inscrivent dans le discours clivant prôné par Abou Moussab al-Zarqaoui, chef de l'EI dans ses années de formation en Irak, qui a juré d'utiliser les attaques contre les chiites pour accroître l’attrait de l'organisation auprès des sunnites irakiens – une stratégie à laquelle le chef d’al-Qaïda, Ayman al-Zawahiri, s'était opposé.

Des commandos saoudiens paradent lors d'un défilé à Riyad (AFP)

Les réseaux militants dans le Golfe sont toutefois peu sophistiqués : selon Alani, bien que l'EI manque d'une « structure réelle » en Arabie saoudite, un certain nombre de petites cellules et d’individus continuent à opérer à l'intérieur du pays.

« Les cellules sont habituellement composées de deux à trois personnes, mais en général, l’EI s'appuie davantage sur les personnes que nous appelons ‘’des heurtoirs’’ », a-t-il expliqué en référence aux attaquants solitaires.

Ce ne sont pas des Saoudiens testés sur le champ de bataille et renvoyés par l’EI dans leur pays d'origine. Ils sont généralement mal formés, d'où l'exécution souvent médiocre de la plupart des attaques en Arabie saoudite.

« Ces militants sont parmi les moins instruits, les plus isolés sur le plan social, et ils se cherchent un but », a déclaré Alani.

Le recrutement a été faible en dépit de l'importance de personnalités militantes saoudiennes en Syrie telles que Turki Binali de l’EI et Cheikh Abdul Aziz Qatari, le fondateur de Jund al-Aqsa, qui a récemment fusionné avec al-Nosra. L’EI n'a généralement pas réussi à attirer de jeunes ressortissants du Golfe, contrairement à al-Qaïda, son prédécesseur dont la direction était saoudienne, par le passé.

« Ceci peut s'expliquer par le fait que contrairement à al-Qaïda, qui était dominé par les Saoudiens, l’EI est dirigé par des Irakiens et des Jordaniens », a déclaré Alani.

La présence tristement célèbre de l’EI sur les réseaux sociaux a également diminué de manière significative ces derniers mois, alors que le « califat » du groupe a rétréci en Syrie et en Irak et que ses ennemis ont lancé une nouvelle « cyberguerre » à son encontre.

Abdlukhaliq Abdulla, un chercheur émirati spécialisé dans les affaires du Golfe, a indiqué que cela pouvait expliquer le profil toujours bas de l'organisation dans les pays du Golfe.

L’EI n'a pas été en mesure de reproduire l'attraction qu’exerçait Oussama ben Laden auprès des Saoudiens

« L’EI séduit tous les musulmans du Golfe qui rêvent d'un renouveau islamique. Cependant, plus le califat perd du terrain, moins il est puissant et moins il peut mobiliser l’imagination », a-t-il expliqué.

Et que dire de l'argent saoudien mentionné par Michel Kilo ? L'Arabie saoudite a été accusée à maintes reprises de soutenir l’EI en Irak et en Syrie. En octobre, un courriel de l'ancienne secrétaire d'État américaine Hillary Clinton divulgué aux médias reconnaissait que des personnalités saoudiennes et qataries avaient soutenu l’EI et d'autres groupes.

« Nous devons utiliser nos atouts diplomatiques et nos moyens de renseignement plus traditionnels pour exercer une pression sur les gouvernements du Qatar et de l'Arabie saoudite, qui fournissent un soutien financier et logistique clandestin à [l’EI] et à d'autres groupes radicaux sunnites dans la région », indique le document.

L'Arabie saoudite se trouve elle aussi dans un dilemme dans la mesure où l’EI est inspiré par une forme de wahhabisme qui prévaut dans le royaume.

Aucun des analystes interrogés par MEE n'a souhaité s’exprimer sur ce point. L'Arabie saoudite et ses alliés ont nié à plusieurs reprises qu’ils finançaient et soutenaient directement l’EI et des groupes similaires, et des responsables américains affirment que l'argent envoyé sur le champ de bataille provient d'investisseurs providentiels privés.

L’EI a rejeté à plusieurs reprises la légitimité de la maison des Saoud, qu’il considère comme un agent des États-Unis.

« L'organisation soutient que l'Arabie saoudite est pro-occidentale et ne représente pas le véritable islam sunnite », a rappelé l'expert jordanien Hassan Abu Haniya, qui se concentre sur les activités des dogmatistes salafistes violents.

En effet, Abou Bakr al-Baghdadi, le khalife auto-proclamé de l'EI, a menacé l'Arabie saoudite au cours de plusieurs discours, le plus récemment en novembre, et l’EI a déclaré dans le royaume plusieurs wilayat, ou provinces, comme le Nejd et le Hedjaz.

Al-Baghadi a en outre exhorté ses partisans à lancer « attaque après attaque » contre l’Arabie saoudite, car, a-t-il affirmé, les Saoudiens « coopèrent avec les nations infidèles dans la guerre contre l'islam et la sunna [musulmans sunnites] en Irak et en Syrie ».

Abou Bakr al-Baghdadi a dénoncé la maison des Saoud (capture d’écran)

Une autre tendance dans le Golfe est susceptible de contribuer aux efforts de recrutement de l’EI : la région a été confrontée l’année passée à une crise économique qui l’a affaiblie.

Des sources de sécurité qui se sont exprimées sous le couvert de l'anonymat ont souligné que l'Arabie saoudite faisait face à une fuite de capitaux sans précédent, les membres de la famille royale et les grandes familles commerçantes retirant leur argent du pays.

Le dernier budget de l'Arabie saoudite a affiché un déficit de 98 milliards de dollars. Riyad a diminué les salaires des ministres de 20 % et a indiqué qu'il réduirait de 15 % les avantages financiers dont bénéficient les membres de son conseil de la choura et les employés du secteur public.

Le roi Salmane a récemment admis que les politiques économiques du royaume étaient « douloureuses » mais nécessaires pour assurer l'avenir du pays dans des conditions difficiles.

C'est une question préoccupante pour Abu Haniya : alors que l'Arabie saoudite et l'ensemble du Golfe semblent avoir jusqu’à présent limité la menace du militantisme violent, l'avenir au-delà de l'EI pourrait être différent.

« Le déclin du contrat social dans la région du Golfe ainsi que le militantisme politique pourraient être des facteurs contribuant à ce que des individus rejoignent les organisations terroristes à l'avenir », a-t-il conclu.

Traduit de l’anglais (original).

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