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L’Algérie rompt ses relations diplomatiques avec le Maroc

Le chef de la diplomatie algérienne Ramtane Lamamra a annoncé ce mardi 24 août la rupture des relations diplomatiques entre Alger et Rabat. Chronique d’un divorce annoncé
Le président algérien Abdelmadjid Tebboune et le roi du Maroc Mohammed VI (MEE/Mohamad Elaasar)
Le président algérien Abdelmadjid Tebboune et le roi du Maroc Mohammed VI (MEE/Mohamad Elaasar)
Par Adlene Meddi à ALGER, Algérie et Malek Bachir

Le clash qui menaçait est donc consommé. Le ministre algérien des Affaires étrangères Ramtane Lamamra a annoncé ce mardi 24 août en conférence de presse la rupture des relations diplomatiques entre Alger et Rabat « à partir de ce jour ».

« Il est historiquement et objectivement établi que le Royaume du Maroc n’a jamais cessé de mener des actions hostiles, inamicales et malveillantes à l’encontre de notre pays et ce, depuis l’indépendance de l’Algérie », a déclaré le chef de la diplomatie en attribuant aux dirigeants marocains « la responsabilité des crises successives qui nous ont fait rentrer dans un tunnel sans issue ». 

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Depuis plusieurs mois, les tensions entre les deux pays, dont la frontière terrestre est fermée depuis 1994, s’étaient accentuées.

En plus du dossier litigieux du Sahara occidental – territoire contesté sur lequel le Maroc réclame la souveraineté et pour lequel l’Algérie demande un référendum d’autodétermination sous l’égide de l’ONU –, s’est greffé un autre motif de désaccord : la normalisation des relations diplomatiques entre le Maroc et Israël.

Novembre 2020 : par une série de tweets, Donald Trump annonce que le Maroc s’engage à normaliser ses relations avec Israël, comme l’avaient déjà fait récemment trois autres pays arabes, les Émirats arabes unisBahreïn et le Soudan.

Cette annonce provoque en Algérie une vague de colère sur les réseaux sociaux et une condamnation unanime des autorités et des partis politiques, qui dénoncent « l’arrivé de l’entité sioniste » aux frontières et des « opérations étrangères visant la déstabilisation de l’Algérie ».

Dans ce sillage, en avril, une instruction présidentielle ordonne à plusieurs entreprises algériennes de rompre leurs contrats avec des sociétés étrangères, notamment marocaines, susceptibles de « porter atteinte » au pays et « à sa sécurité ».

« Le Royaume du Maroc a fait de son territoire national une franchise diplomatique et une tête de pont pour planifier, organiser et soutenir une série d’actions hostiles et caractérisées contre l’Algérie »

- Ramtane Lamamra

Un commentateur algérien, qui rappelle la crise entre le Maroc et l’Allemagne et entre le Maroc et l’Espagne, notamment en raison de la position de Berlin et Madrid en faveur d'un règlement onusien du dossier du Sahara occidental, commente à Middle East Eye : « On a le sentiment que tant que le problème du Sahara occidental ne sera pas réglé, il restera un facteur d’instabilité pour la région. L’Algérie et le Maroc vont notamment tout faire pour saboter la sécurité au Sahel, entretenant un nouvel Afghanistan aux portes de l’Europe. »

« Le Royaume du Maroc a fait de son territoire national une franchise diplomatique et une tête de pont pour planifier, organiser et soutenir une série d’actions hostiles et caractérisées contre l’Algérie. Les dernières en date concernent les accusations insensées et les menaces à peine voilées proférées par le ministre israélien des Affaires étrangères en visite officielle au Maroc et en présence de son homologue marocain, qui a manifestement été l’instigateur de tels propos injustifiables », a souligné Ramtane Lamamra.

Lors de sa visite au Maroc, les 11 et 12 août, Yaïr Lapid avait manifesté son « inquiétude au sujet du rôle joué par l’Algérie dans la région, son rapprochement avec l’Iran et la campagne qu’elle a menée contre l’admission d’Israël en tant que membre observateur de l’Union africaine [un retour acté en juillet] ».

« Il faut bien se rendre compte que jamais depuis 1948 un membre d’un gouvernement israélien n’a jamais été entendu émettre des jugements et proférer des messages contre un pays arabe à partir du territoire d’un autre pays arabe », a souligné le ministre algérien des Affaires étrangères.

« Actes hostiles incessants »

Lorsque les révélations du consortium de journalistes créé par Forbidden Stories sur le logiciel espion Pegasus désignent Rabat comme « l’un des plus gros utilisateurs du logiciel, en particulier au détriment du pouvoir algérien », les Affaires étrangères condamnent « une inadmissible atteinte systématique aux droits de l’homme et libertés fondamentales » et « une violation flagrante des principes et normes régissant les relations internationales », et annoncent « se réserver le droit de riposter ».

Mais c’est surtout la note diplomatique diffusée par la représentation diplomatique marocaine à New York aux pays membres du Mouvement des non alignés réunis virtuellement les 13 et 14 juillet qui provoquera le rappel pour « consultations » de l’ambassadeur algérien à Rabat, où il n’est pas revenu depuis.  

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Cette note « consacre formellement l’engagement du Royaume du Maroc dans une campagne hostile à l’Algérie, à travers un soutien public et explicite à un prétendu ‘’droit à l’autodétermination du peuple kabyle’’ qui, selon ladite note, subirait ‘’la plus longue occupation étrangère’’ », dénonce Ramtane Lamamra.

Le 9 août, le président Tebboune soulignait que le Maroc n’avait toujours pas réagi : « Un diplomate marocain a fait des déclarations graves, suite à quoi nous avons convoqué notre ambassadeur à Rabat pour consultation, et avons avisé d’aller plus loin, mais aucune réaction n’a émané du Maroc. »

« Le silence du Maroc depuis le 16 juillet prouve le soutien politique des plus hautes autorités marocaines à cet acte », a ajouté Ramtane Lamamra en conférence de presse.

Le soutien du Maroc au Mouvement pour l’autodétermination de la Kabylie (MAK) est justement au cœur de la dernière escalade entre Alger et Rabat.

La semaine dernière, à l’issue d’une réunion extraordinaire du Haut conseil de sécurité, la présidence algérienne a annoncé son intention de « revoir » ses relations avec le pays voisin.

« Les Marocains ont touché à deux des plus grands tabous de l’Algérie : l’unité nationale et la politique vis-à-vis d’Israël. Ils ont appuyé là où ça fait mal. Et plusieurs fois »

- Une source diplomatique

« Les actes hostiles incessants perpétrés par le Maroc contre l’Algérie ont nécessité la révision des relations entre les deux pays et l’intensification des contrôles sécuritaires aux frontières ouest », peut-on lire dans le communiqué.

En clair, l’Algérie reproche au Maroc d’être impliqué dans les incendies meurtriers qui ont dévasté le nord du pays, et lors desquels au moins 90 personnes ont péri.  

« Ces actions hostiles concernent également la collaboration active et documentée du Royaume du Maroc avec deux organisations terroristes dites MAK et Rachad [opposition islamiste en exil] dont les derniers crimes odieux sont liés à leur implication préméditée dans les incendies qui ont ravagé plusieurs [préfectures] du pays et dans le supplice et l’assassinat abjects de notre compatriote Djamel Bensmail », a ajouté Ramtane Lamamra, évoquant le meurtre d’un jeune bénévole lynché et brûlé.

« Les Marocains ont touché à deux des plus grands tabous de l’Algérie : l’unité nationale et la politique vis-à-vis d’Israël », explique une source diplomatique à Middle East Eye. « Ils ont appuyé là où ça fait mal. Et plusieurs fois. »

En 1976, c’est Rabat qui avait rompu ses relations diplomatiques avec l’Algérie après la reconnaissance par Alger de la République arabe sahraouie démocratique (RASD), renouées en 1988.

Malgré des hauts et des bas, Mohammed VI avait, avec l’élection d’Abdelmadjid Tebboune en décembre 2019, appelé à tourner « une nouvelle page ». Cela n’arrivera jamais, et pire, dès novembre 2020, les relations entre les deux voisins entreront dans une nouvelle phase de dégradation avec l’intervention militaire marocaine à Gueguerat, zone tampon entre le Sahara occidental et la Mauritanie, selon Rabat pour « stopper les incursions des milices du Front Polisario ».

« L’Algérie refuse les faits accomplis unilatéraux aux conséquences funestes pour les peuples maghrébins », a conclu Ramtane Lamamra. « L’Algérie refuse de continuer à entretenir une fausse normalité ayant pour effet de maintenir l’ensemble maghrébin dans une situation de grave précarité, en porte-à-faux par rapport au droit international. »

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