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Les États-Unis craignent qu’un opposant saoudien soit sur le point de divulguer des « secrets d’État » 

Dans le cadre de procès opposant Saad al-Jabri au prince héritier saoudien, Washington pourrait invoquer le « privilège des secrets d’État », ce qui lui permettrait de s’opposer à la divulgation d’informations jugées préjudiciables à la sécurité nationale des États-Unis
Selon un ex-responsable de la CIA, Saad al-Jabri a travaillé directement avec au minimum la CIA, le FBI, le département de la sécurité intérieure, la Maison-Blanche, le département d’État et le département du Trésor (AFP)
Selon un ex-responsable de la CIA, Saad al-Jabri a travaillé directement avec au minimum la CIA, le FBI, le département de la sécurité intérieure, la Maison-Blanche, le département d’État et le département du Trésor (AFP)

Deux procès aux États-Unis et au Canada opposant le prince héritier saoudien Mohammed ben Salmane (MBS) à un ancien responsable des renseignements saoudiens, Saad al-Jabri, menacent d’exposer des secrets du gouvernement américain, poussant Washington à envisager une rare intervention judiciaire, selon des documents vus par l’AFP.

Ces affaires concernent des allégations de corruption formulées par des entreprises publiques saoudiennes à l’encontre de Saad al-Jabri, ancien espion en chef du royaume qui a longtemps travaillé en étroite collaboration avec des responsables américains sur des opérations secrètes de lutte contre le terrorisme.

Devenu le dirigeant de fait du royaume, MBS mène une répression implacable contre les opposants au régime, y compris au sein de la famille régnante.

Saad al-Jabri est proche du prince Mohammed ben Nayef, dont il était le bras droit au ministère de l’Intérieur. Ben Nayef a perdu son statut d’héritier du trône au profit de MBS lors d’une révolution de palais en 2017 et est en détention en Arabie saoudite. 

Jabri a fui le royaume en 2017 juste avant que ben Nayef ne soit assigné à domicile et remplacé en tant que prince héritier par son cousin alors âgé de 31 ans.

Niant toute malversation financière, Saad al-Jabri affirme qu’il est pris dans la rivalité entre les deux.

Selon des informations recueillies par Middle East Eye, avec l’ascension au pouvoir de Mohammed ben Salmane, initiée en janvier 2015 à la suite de la mort du roi Abdallah et de l’accession au trône de son père le roi Salmane, une lutte de pouvoir couvait au sein du ministère entre Jabri et un autre haut fonctionnaire du ministère, le général Abdulaziz al-Huwairini.

Jabri et Huwairini auraient entretenu des relations étroites avec les services de renseignement américains sous la direction de ben Nayef, qui s’était imposé comme un interlocuteur clé pour les Américains avant même les attentats du 11 septembre 2001.

En septembre 2015, Saad al-Jabri aurait rencontré le directeur de la CIA de l’époque, John Brennan, lors d’un voyage à Washington dont Mohammed ben Salmane n’avait pas été informé. Quand Jabri est rentré chez lui, il a été congédié par décret royal. 

« Pure vendetta »

Le ministère américain de la Justice a pris en avril une initiative rare en transmettant à un tribunal du Massachusetts un document stipulant que Jabri avait l’intention de « faire état d’informations concernant des activités présumées liées à la sécurité nationale ».

« Le gouvernement américain étudie l’opportunité et la manière de participer à cette action, y compris, si cela s’avère nécessaire, en faisant valoir les privilèges gouvernementaux appropriés », indique le document, sans autres précisions.

En mai, la justice américaine a demandé au tribunal un délai supplémentaire.

Selon des experts juridiques, Washington pourrait invoquer le « privilège des secrets d’État », ce qui lui permettrait de s’opposer à la divulgation, ordonnée par un tribunal, d’informations jugées préjudiciables à la sécurité nationale des États-Unis.

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La CIA a refusé de commenter l’affaire. Le ministère de la Justice, qui, selon les experts, n’intervient que rarement dans les procès civils, n’a pas répondu à une sollicitation de l’AFP.

L’année dernière, Saad al-Jabri a affirmé dans un autre procès que MBS avait envoyé des agents pour le tuer au Canada, où il vit en exil. Il a aussi indiqué que deux de ses enfants avaient été placés en détention en Arabie saoudite, dénonçant une pression de Riyad pour le pousser à rentrer au pays.

La querelle a pris un nouveau tournant en mars lorsque la société publique Sakab Saudi Holding a accusé Saad al-Jabri d’avoir détourné 3,47 milliards de dollars alors qu’il travaillait au ministère de l’Intérieur sous MBS. La société a demandé au tribunal du Massachusetts de geler ses actifs immobiliers d’une valeur de 29 millions de dollars à Boston.

Cette requête est intervenue quelques semaines après que plusieurs entreprises publiques ont déposé un recours contre Saad al-Jjabri à Toronto pour des allégations similaires.

« Le Dr Saad n’exposerait jamais des projets secrets de lutte contre le terrorisme qui ont sauvé des milliers de vies, y compris celles d’Américains », a déclaré à l’AFP une source proche de Saad al-Jabri.

« Malheureusement, la pure vendetta de MBS contre [Jabri] l’a acculé dans une position dans laquelle il est obligé de se mettre pour se défendre devant la justice », a ajouté cette source.

Une source proche des dirigeants saoudiens a réitéré les allégations de corruption portant sur plusieurs milliards de dollars, tout en accusant Jabri d’« empoisonner les relations américano-saoudiennes »

Alors que le ministère américain de la Justice envisage des mesures pour empêcher toute divulgation de secrets d’État dans le Massachusetts, il n’est toujours pas clair comment il pourrait faire de même devant le tribunal de l’Ontario au Canada.

La source proche de Saad al-Jabri a reconnu que toute divulgation pourrait mettre en danger « ceux qui ont participé à des opérations [de contre-terrorisme], révéler des sources et des méthodes, et entraver [...] des opérations similaires à l’avenir ».

Un avocat américain représentant MBS a refusé de commenter le litige.

Mais une source proche des dirigeants saoudiens a réitéré les allégations de corruption portant sur plusieurs milliards de dollars, tout en accusant Saad al-Jabri d’« empoisonner les relations américano-saoudiennes ».

Plusieurs responsables américains qui ont travaillé aux côtés de l’ex-espion en chef lui ont exprimé leur soutien, certains reconnaissant qu’il avait accès à des informations sensibles.

« [Il] a travaillé directement avec au minimum la CIA, le FBI, le département de la sécurité intérieure, la Maison-Blanche, le département d’État et le département du Trésor », a indiqué Philip Mudd, ancien responsable de la CIA, dans une déclaration sous serment.

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