Comment la Chine a « effacé » Mesut Özil pour avoir dénoncé la répression contre les Ouïghours
L’Arsenal Football Club et son entraîneur Mikel Arteta ont-ils lâché leur star Mesut Özil, le brillant attaquant allemand d’origine turque, champion du monde 2014, sous pression chinoise ?
C’est la question qui secoue le monde du ballon rond depuis la mise sur le banc de touche du « Messi allemand », comme l’a qualifié Horst Hrubesch, entraîneur de l’équipe d’Allemagne des moins de 21 ans.
Mi-octobre, on apprenait que Mesut Özil ne ferait pas partie de la liste d’Arsenal pour disputer la Premier League, au moins jusqu’au mois de janvier, après avoir été écarté pour disputer la Ligue Europa
Mi-octobre, on apprenait que Mesut Özil ne ferait pas partie de la liste d’Arsenal pour disputer la Premier League, au moins jusqu’au mois de janvier, après avoir été écarté pour disputer la Ligue Europa.
Les dirigeants d’Arsenal défendent une ligne claire : ces décisions sont purement d’ordre techniques. Mais le milieu du football anglais – et au-delà, vu l’aura d’Özil – doute des arguments du club. Car cette descente aux enfers de l’international allemand serait bien partie d’un tweet et d’une confrontation avec une ombrageuse puissance mondiale.
Avant de revenir sur cette histoire, il faut rappeler qu’Özil a déjà fait les frais du choc entre football et politique.
Le 22 juillet 2018, il quitte l’équipe nationale d’Allemagne en mettant en avant le « racisme » dans les critiques dont il est victime depuis l’élimination de la Mannschaft dès le premier tour du Mondial 2018 de football.
Le footballeur était critiqué pour une photo prise avec le président turc Recep Tayyip Erdoğan – certes, en campagne électorale – avant le Mondial russe. Özil s’était défendu en assurant que son geste n’avait « aucune intention politique ».
« Si un journal ou un consultant considère que je suis fautif pendant un match, ça, je peux l’accepter. Mais ce que je n’accepte pas, c’est que des médias allemands aient continuellement critiqué mon double héritage et une simple photo pour expliquer la mauvaise Coupe du monde d’une équipe entière », avait regretté à l’époque le joueur, dénonçant une « propagande de droite ».
Arsenal prend ses distances
Retour à aujourd’hui et au placardage par Arsenal du « joueur le plus créatif d’Europe », selon les mots de l’ancien milieu italien Andrea Pirlo.
Tout a commencé donc avec un tweet. Le 13 décembre 2019, Mesut Özil publie sur Twitter ce message : « Des corans sont brûlés… des mosquées détruites… les écoles islamiques interdites… des intellectuels religieux tués les uns après les autres… Des frères envoyés par la force dans des camps […] Les musulmans restent silencieux. On n’entend pas leur voix. »
Özil s’insurgeait ainsi publiquement face à la répression des Ouïghours en Chine.
Assez rapidement, son club, Arsenal, qui compte 6 millions d’abonnés sur le réseau chinois Weibo, prend ses distances avec la position du joueur : « En ce qui concerne les remarques publiées par Mesut Özil sur les réseaux sociaux, Arsenal doit faire ici une claire mise au point : le contenu qu’il a publié ne reflète que l’opinion personnelle d’Özil. »
Les répliques chinoises ne se font pas attendre. La télévision publique chinoise, CCTV, déprogramme alors le match de Premier League entre Arsenal et Manchester City, et la diffusion en ligne de la rencontre sur la plateforme chinoise PPTV est annulée également. Lorsque les transmissions des matches d’Arsenal reprennent sur les télévisions chinoises, les commentateurs font attention à ne jamais prononcer le nom d’Özil.
Entre temps, le porte-parole des Affaires étrangères chinoises répond à Özil : « Si M. Özil en a l’occasion, nous serons heureux qu’il se rende au Xinjiang pour se rendre compte [de la situation] », tout en jugeant que le footballeur a été trompé par « de fausses informations ».
Ensuite, c’est au tour de NetEase, le distributeur du jeu vidéo PES 2020 en Chine, qui supprime l’avatar de Özil, expliquant que le joueur a fait des déclarations « impardonnables » qui ont « heurté les fans chinois ».
Le tweet de Özil « a causé des problèmes considérables »
« Deux mois après l’affaire Blizzard [un joueur professionnel d’Hearthstone suspendu après avoir soutenu les manifestants à Hong Kong], le cas de Mesut Özil démontre une fois de plus toute la complexité pour les éditeurs vidéoludiques de ne pas froisser le régime de Pékin », note le quotidien sportif français L’Équipe.
« Des amis et des conseillers avaient averti Özil qu’il y aurait des conséquences. Il devrait radier la Chine en tant que marché »
- Le New York Times
« Des amis et des conseillers avaient averti Özil qu’il y aurait des conséquences. Il devrait radier la Chine en tant que marché. Ses six millions de followers sur Weibo, le plus grand réseau social du pays, disparaîtraient. Son fan club là-bas – avec jusqu’à 50 000 membres inscrits – disparaîtrait aussi. Il ne jouerait plus jamais en Chine. Il pourrait devenir trop toxique même pour tout club avec des propriétaires chinois ou des sponsors désireux de faire des affaires là-bas », écrit le New York Times dans un long article intitulé « L’effacement de Mesut Özil ».
En fait, explique le Times, le tweet de Özil dénonçant la situation des Ouïghours « a causé des problèmes considérables, non seulement à Arsenal, mais aussi pour la Premier League ».
« La Chine, après tout, est son plus grand partenaire de diffusion à l’étranger et son plus grand marché étranger, et la ligue ne pouvait pas se permettre de perdre des fans et les portefeuilles des sponsors chinois », poursuit le journal américain.
Depuis, l’international de 32 ans, ancien champion du monde, « est disponible à un prix très avantageux. Et pourtant, personne, certainement en Europe, n’est disposé à le prendre […] Mesut Özil a effectivement été effacé », conclut le New York Times.
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