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Cisjordanie : la victime d’un attentat à la pudeur déçue par le gouvernement palestinien

La journaliste palestinienne Mervat al-Azzeh évoque sa bataille pour traduire en justice l’auteur de l’attentat à la pudeur dont elle a été victime et affirme que les autorités lui « ont compliqué la tâche »
« Je ne me bats pas juste pour moi-même, mais pour toutes les femmes qui ont été victimes d’un harcèlement similaire », déclare la journaliste palestinienne Mervat al-Azzeh (Twitter)

Une journaliste palestinienne qui a parlé ouvertement de l’attentat à la pudeur dont elle a été victime dans un hôpital de Cisjordanie dit avoir fait l’objet de pressions de la part des autorités pour qu’elle abandonne sa plainte contre l’auteur des faits.

Mervat al-Azzeh (45 ans) a publié une vidéo de 24 minutes sur son profil Facebook en avril. Dans celle-ci, elle raconte qu’un membre du personnel hospitalier a touché sa poitrine en effectuant une radio de sa main cassée à la suite d’un accident de la route. Mervat al-Azzeh affirme que cet homme a dévêtu sa poitrine sans prévenir, alors qu’elle ne ressentait aucune douleur dans cette zone.

Mervat al-Azzeh a renoncé à tout droit à l’anonymat pour se confier à Middle East Eye et révéler ce qui lui est arrivé.

Dans un entretien avec MEE, elle a fait part de sa grande déception vis-à-vis de la façon dont le ministère palestinien de la Santé et le ministère public ont géré son affaire. 

« J’avais besoin qu’on me croie et qu’on me soutienne, pas qu’on doute de moi »

- Mervat al-Azzeh

L’instruction s’est déroulée à l’hôpital où l’agression s’était produite, un lieu qu’elle n’estime pas neutre et dont le choix l’a mise mal à l’aise. Elle était également mécontente de la façon dont l’enquêteur a remis en cause sa version des faits.

Le ministère public a ordonné à al-Azzeh de se soumettre à une évaluation psychologique après sa plainte au motif qu’elle avait subi un traumatisme psychologique lors de l’agression. Cependant, l’un des objectifs de cette évaluation était de vérifier sa santé mentale, soupçonne-t-elle.

« J’ai accepté de subir cet examen pour prouver que je dis la vérité mais cette demande m’a choquée ; j’avais besoin qu’on me croie et qu’on me soutienne, pas qu’on doute de moi », témoigne-t-elle à MEE.

Malgré la réaction décevante des autorités, Mervat al-Azzeh dit avoir reçu énormément d’aide des organisations de défense des droits de l’homme et des organisations féministes. Sa famille la soutient mais subit des pressions diverses car le harcèlement sexuel est un sujet sensible dans leur communauté, c’est « toujours un tabou ».

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Le ministère palestinien de la Santé a publié un communiqué de presse assurant qu’il ne sous-estimait pas ce type de plainte et qu’il les jugeait « extrêmement graves ».

En 2019, la ministre palestinienne de la Santé Mai al-Kaileh a été critiquée pour sa remarque à propos de l’autopalpation des seins. Elle suggérait que les femmes se chargent elles-mêmes de la palpation chez elles pour éviter que des hommes leur touchent la poitrine.

Cette remarque a été largement considérée comme non professionnelle et potentiellement dangereuse dans la mesure où elle pourrait être interprétée comme une invitation aux agressions sexuelles de la part des professionnels de santé.

Mervat al-Azzeh a récemment engagé un avocat, mais a eu la surprise d’apprendre que le ministère public avait refusé de lui communiquer le dossier ou toute autre information liée à celui-ci. « Je ne vois aucune raison à cela, je constate simplement qu’ils me compliquent la tâche », regrette-t-elle. 

Elle refuse de nommer publiquement l’auteur des faits ou même l’hôpital où ils se sont produits parce qu’elle souhaite attirer l’attention sur l’agression sexuelle et l’attentat à la pudeur « sans en faire une affaire personnelle ».

Des lois dépassées

Le Syndicat des journalistes palestiniens a demandé au ministère public d’accélérer l’enquête sur cet incident et à traduire l’auteur devant la justice. Il a par ailleurs exhorté les femmes journalistes à signaler tout incident similaire et les a assurées de son plein soutien et de sa protection.

Amal Khrisheh, directrice de la Palestinian Working Woman Society for Development, a quant à elle fait part de sa colère et de son chagrin face à l’absence de justice pour les femmes victimes d’attentats à la pudeur dans les territoires palestiniens. Elle impute cet état des choses aux lois dépassées qui ne sanctionnent pas de manière adéquate les auteurs d’infraction.

« On croit Mervat. La traiter comme si elle était mentalement instable va décourager d’autres femmes de signaler des incidents similaires »

- Amal Khrisheh, directrice d’ONG

En outre, elle condamne la décision de soumettre Mervat al-Azzeh à un examen de santé mentale, la trouvant à la fois choquante et dangereuse. « On croit Mervat. La traiter comme si elle était mentalement instable va décourager d’autres femmes de signaler des incidents similaires », fait observer Amal Khrisheh.

En Palestine, il n’y a actuellement aucune loi particulière spécifiant la sanction pour agression sexuelle. Les lois susceptibles de s’appliquer dans de telles affaires sont liées à la diffamation, la calomnie ou à l’outrage public aux bonnes mœurs.

Amal Khrisheh appelle les autorités législatives à adopter une nouvelle loi criminalisant les agressions sexuelles et les attentats à la pudeur et à rendre les centres médicaux plus sûrs pour les femmes.  

Mervat al-Azzeh a reçu une vague de commentaires de soutien de la part des internautes sur les réseaux sociaux, lesquels l’encouragent à tenir bon jusqu’à ce que justice soit rendue. Toutefois, d’autres s’en prennent à elle et la critiquent, allant jusqu’à commenter son apparence et son âge.

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« J’ai vu des commentaires de gens qui rejettent mon témoignage de harcèlement sexuel à cause de mon âge, estimant que je suis trop vieille pour être harcelée », raconte-t-elle.

Néanmoins, elle reste inflexible et assure que ces commentaires ne font que renforcer la nécessité de lutter contre les attitudes toxiques qui permettent aux agressions sexuelles de perdurer.

Malgré les obstacles auxquels elle a été confrontée, Mervat al-Azzeh reste résolue à se battre pour ses droits. Elle est absolument persuadée que les attentats à la pudeur doivent être des infractions et refuse de céder aux pressions qu’elle endure actuellement.

« Je ne me bats pas juste pour moi-même, mais pour toutes les femmes qui ont été victimes d’un harcèlement similaire », déclare-t-elle.

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

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