EN IMAGES : La boutique de tissus construite sur une église croisée de Jérusalem
La vieille ville de Jérusalem est un musée à ciel ouvert, elle regorge de structures anciennes et de mosquées, d’églises et de synagogues historiques. Certains de ces trésors archéologiques sont enfouis sous ses rues et ses bâtiments ; ils s’y sont retrouvés au fil du temps et des catastrophes naturelles, notamment des tremblements de terre.
Un magasin du marché d’Aftimos dissimule un pan de cette histoire cachée dans son sous-sol. (Toutes les images sont d’Aseel Jundi)
Le Jérusalémite Bilal Abou Khalaf gagne sa vie en vendant et important des textiles d’aussi loin que le Maroc ou l’Inde. En plus d’être elle-même riche d’une histoire fascinante, sa boutique se dresse au sommet des vestiges d’une église croisée du XIIe siècle. Après des fouilles menées au début des années 2000 par l’Autorité des antiquités d’Israël, Abou Khalaf a eu la possibilité de soit recouvrir les vestiges, soit les rendre visibles au moyen d’un sol en verre. C’est cette dernière option qu’il a choisie.
Ehab al-Jallad, chercheur spécialisé dans l’histoire de Jérusalem, explique que le quartier chrétien où se trouve la boutique de Bilal Abou Khalaf était autrefois une base des chevaliers hospitaliers, un ordre chrétien de premier plan impliqué dans les croisades.
Ils construisirent un hôpital au nom du saint patron de leur ordre, saint Jean, et un ensemble composé d’églises, dont l’église Sainte-Marie-La-Grande, à laquelle appartiennent les vestiges situés sous la boutique.
Quand Salah ad-Din (Saladin) arracha le contrôle de Jérusalem aux croisés en 1187, la zone continua d’être utilisée comme hôpital. Plus tard, sous l’Empire ottoman, elle devint une tannerie, avant d’être finalement transformée en marché.
Selon al-Jallad, les structures antérieures furent détruites par des tremblements de terre et de nouveaux bâtiments furent construits par-dessus, ce qui explique comment les vestiges de l’église se sont retrouvés sous le magasin de Bilal Abou Khalaf. Dans la photo ci-dessus, on peut voir les fondations en pierre de l’église.
Bilal Abou Khalaf est né en 1961 et a été formé au métier dès son plus jeune âge. Il a fini par tomber amoureux du commerce de tissus, une tradition familiale depuis des générations.
Dans les années 1930, son grand-père était marchand ambulant et vendait ses tissus dans les villages avoisinant la ville d’al-Khalil (Hébron), située aujourd’hui en Cisjordanie occupée. En 1936, il décida de s’installer à Jérusalem, où il fit l’acquisition d’une boutique dans le quartier chrétien. Le patriarche transmit le métier à son fils, lequel le transmit à son tour à Bilal.
« [Le négoce de] mon père était la principale destination des soldats jordaniens à Jérusalem avant l’occupation de Jérusalem-Est lors de la guerre des Six Jours en 1967. Les soldats venaient faire confectionner leurs costumes protocolaires. Un costume coûtait généralement trois dinars jordaniens. Ils payaient en quatre mensualités », se souvient Bilal Abou Khalaf.
Le père de Bilal est décédé en 1984. Auparavant, il avait eu le temps de développer son entreprise en ouvrant plusieurs points de vente dans la région de Jérusalem. Selon Abou Khalaf, les clients sont attirés par la qualité de ses tissus, qui se distinguent par les matériaux avec lesquels ils sont fabriqués. Ils sont à mille lieues des matériaux synthétiques auxquels les clients sont habitués.
Les touristes, eux, sont attirés par ses vestiges historiques, son atelier coloré et sa tenue vestimentaire, une longue tunique ceinturée et un fez, couvre-chef de feutre rouge porté par les Palestiniens des villes sous l’Empire ottoman. La majorité des visiteurs étrangers viennent d’Égypte, d’Arabie saoudite et du Koweït. Il y a aussi des touristes religieux venus d’Europe qui visitent la vieille ville.
Bilal Abou Khalaf explique à Middle East Eye que les meilleurs tissus proviennent de Syrie, d’où il importe ses matériaux depuis des décennies car ils y sont exclusivement tissés à la main.
Notamment, un tissu connu sous le nom de « damas » est tissé à partir d’un mélange de fils de soie et de coton et utilisé dans la conception de vêtements traditionnels. Une variante est un tissu composé d’un mélange de soie et de fil d’or – 40 jours sont nécessaires pour en fabriquer 10 mètres.
Parmi les autres matériaux remarquables figurent les « tissus religieux », qui sont fabriqués dans des couleurs distinctes pour le clergé des différentes dénominations chrétiennes et les rabbins.
« Les hommes d’Église portent quatre couleurs pour quatre raisons différentes : le rouge pour Noël, le vert pour le jeûne, le lilas pour Pâques et le blanc pour les rituels de baptême et de purification dans le Jourdain », détaille Abou Khalaf.
Parmi ses clients les plus éminents figurait l’ancien pape Jean-Paul II, qui fit l’acquisition de différents tissus, dont cinq mètres de soie et du fil en or neuf carats, expédiés au Vatican pour y être confectionnés.
Outre le tissu syrien, le tissu marocain, principalement utilisé pour les nappes et les taies d’oreiller, figure parmi les options les plus populaires. Abou Khalaf commercialise également un tissu indien, normalement utilisé pour la confection de robes de type sari, ainsi que des châles en cachemire et des tapis.
Les tissus sont remarquables tout autant pour leurs conceptions que pour leur composition matérielle. L’un d’eux, appelé « Saladin », représente les guerriers du sultan entrant à cheval dans Jérusalem après avoir remporté la bataille de Hattin en 1187.
Traduit de l’anglais (original).
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