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Procès Saad Lamjarred : la victime de viol présumée raconte sa « soirée de cauchemar »

Cette semaine devant la cour d’assises de Paris se tient le procès pour « viol aggravé » de la pop star marocaine célèbre dans tout le monde arabe
La pop star qui cumule des centaines de millions de vues sur YouTube encourt jusqu’à vingt ans de réclusion criminelle (AFP/Bertrand Guay)
La pop star qui cumule des centaines de millions de vues sur YouTube encourt jusqu’à vingt ans de réclusion criminelle (AFP/Bertrand Guay)

« On s’est embrassés tous les deux. Il a voulu me rembrasser et j’ai tourné la tête. Et ça ne lui a pas plu. Je me suis fait frapper d’un coup et cette personne a fini par me violer. J’ai vraiment eu très peur pour ma vie. »

Dans une vidéo publiée en 2017 sur sa chaîne YouTube, Laura P. a raconté comment « sa vie avait basculé » un an auparavant.

Cette semaine, devant la cour d’assises de Paris, la jeune femme, qui dit  avoir été violée par le chanteur marocain Saad Lamjarred, a de nouveau relaté sa « soirée de cauchemar », le 26 octobre 2016.

Elle a 20 ans quand elle rencontre en octobre 2016 la star, célèbre dans tout le monde arabe, dans une boîte de nuit huppée de Paris.

« Avec des amis, on avait prévu un voyage au Maroc. Il m’a dit qu’il pourrait me faire visiter. J’ai trouvé ça super gentil, je lui ai dit que je lui montrerai des lieux à Paris », a-t-elle témoigné devant la cour, habillée d’un costume gris, ses longs cheveux châtains lâchés sur les épaules.

Quand la boîte de nuit ferme, à 4 h du matin, Laura P. se retrouve à un « after » dans une chambre d’hôtel avec Saad Lamjarred, une influenceuse issue de la téléréalité et l’ex-petit ami de cette dernière.

« On poursuit la fête, on picole un peu, on danse », a témoigné l’influenceuse, entendue en visioconférence. Il y a de la cocaïne, Saad Lamjarred en prend, pas Laura P., qui ne boit pas d’alcool non plus.

Vers 6 h 00 du matin, la soirée déménage à l’hôtel du chanteur. 

« On a dansé, écouté de la musique, parlé de tout et de rien », assis sur la moquette. Et puis les choses s’accélèrent. Le chanteur lui ordonne de retirer son t-shirt, elle s’exécute, « terrorisée ».

Coup de poing, pénétration digitale, vaginale, anale, pénienne, à nouveau coup de poing : les détails sordides s’enchaînent.

Laura P. avait alors fui la chambre et été prise en charge par des employés de l’hôtel, qui ont décrit une jeune femme «  terrorisée » et en pleurs. Ces mêmes employés avaient stoppé l’homme vraisemblablement ivre qui la poursuivait. 

Accusé de viol à Casablanca, New-York et Saint-Tropez

Assis un mètre derrière elle dans la salle d’audience, Saad Lamjarred a gardé les yeux au sol. Sur les bancs du public, sa femme est restée impassible, alors que son mari a été accusé de viol à Casablanca, New-York et Saint-Tropez.

Mis en examen en octobre 2016 à Paris pour « viol aggravé » et « violences volontaires aggravées » et écroué, Saad Lamjarred avait été remis en liberté en avril 2017, sous bracelet électronique, à la suite d’une décision de la cour d’appel de Paris.

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À l’époque, Saad Lamjarred avait déjà été mis en examen pour viol dans une enquête ouverte après la plainte d’une jeune Franco-Marocaine affirmant avoir été agressée et frappée par le chanteur, à Casablanca en 2015, avant de se mettre en retrait de la procédure, évoquant de lourdes pressions familiales, et un non-lieu avait été ordonné. 

Il avait également été mis en cause aux États-Unis dans une affaire de viol présumé datant de 2010, mais les poursuites ont été abandonnées après un arrangement financier avec la victime.

En août 2018, le chanteur avait aussi été interpellé à la suite de la plainte d’une jeune femme, née en 1989, pour des « faits caractérisés de viol », selon la justice.

Face au témoignage de Laura P., les avocats de Saad Lamjarred ont commencé par rappeler le passé de mannequin de la jeune femme qui a fait « des photos en sous-vêtements ».

Si une homme « pose la main sur l’épaule, vous enlace, vous embrasse », ce n’est pas « parce qu’il y a une tentative de ‘’séduction horizontale’’ selon vous ? », a interrogé le deuxième avocat de Saad Lamjarred, Jean-Marc Fedida.

Pour la défense, la jeune femme s’est rendue volontairement dans la chambre, n’a pas clairement manifesté son absence de consentement, et aucun élément ne prouve qu’il y avait eu pénétration.

La jeune fille a répondu qu’elle n’envisageait qu’un « flirt ». « Je ne savais pas qu’il voulait aller plus loin, je ne suis pas dans sa tête. »

« Je n’ai jamais, jamais, jamais pénétré Laura, ni avec mes doigts, ni avec mon sexe », a déclaré Saad Lamjarred à la cour, s’exprimant en arabe ou en anglais via une interprète, parfois en français. « Si quelque chose l’a affectée ou lui a fait peur, ce n’était pas du tout mon intention. »

Au premier jour de son procès en France, la pop star a insisté sur son « grand respect » pour les femmes, tout en refusant de s’exprimer sur d’embarrassantes précédentes accusations de viol. Il a expliqué vouloir montrer dans ses chansons « la femme marocaine moderne et libre », évoquant la « beauté », « l’intelligence » de la femme arabe et sa « complémentarité de l’homme ». 

« Je profite de ma célébrité pour transmettre des choses positives aux gens, tout ça dans un esprit de respect, de grand respect pour la femme », a-t-il défendu devant la cour, en soulignant que ces dernières années, il avait vécu « un gros stress, une grosse dépression ».

Laura P. aussi a évoqué les conséquences de cette soirée sur sa vie : « Crise d’angoisse dans les lieux publics, articles mensongers publiés dans la presse, menaces et insultes », rapporte sur Twitter Marine de la Moissonnière, la journaliste qui suit le procès pour RFI.

Cette dernière rapporte aussi qu’à la suite de sa vidéo, Laura P. a reçu environ quinze témoignages de femmes, certaines du Maroc, décrivant « un homme très gentil qui change de comportement tout d’un coup, frappe et viole ». Et que si certaines de ces femmes, Marocaines, n’ont pas parlé, c’est par « peur du roi » qui soutenait le chanteur à l’époque, « à cause de pressions familiales » et parce qu’elles savaient qu’au Maroc, « ce seraient elles les reponsables ».

Un  « égo surdimensionné »

L’expert psychiatrique qui a examiné la star pendant l’enquête a décrit un homme au comportement « immature », doté d’un « égo surdimensionné qui limite sa tolérance aux frustrations ». 

Les accusations de viols à l’encontre de celui qui cumule des centaines de millions de vues sur Youtube avaient relancé au Maroc le débat sur les violences faites aux femmes, mais Saad Lamjarred a gardé le soutien de ses fans et le roi Mohammed VI a participé à ses frais d’avocats. 

Il encourt jusqu’à vingt ans de réclusion criminelle.

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