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Après la bataille de Sabratha, la ruée vers l’ouest de la Libye est lancée

Avec la victoire de la milice alignée avec Khalifa Haftar et des combattants salafistes, les habitants de Sabratha attendent avec inquiétude de savoir qui seront les prochains à prendre le contrôle de leur ville

L’effort de plusieurs millions de dollars déployé par l’Italie pour endiguer l’immigration en provenance de l’ouest de la Libye a provoqué un retour de flamme en alimentant des affrontements meurtriers plus tôt ce mois-ci, et rassemblé un étrange ensemble d’alliances qui pourrait façonner l’avenir du pays.

Alors que la poussière retombe autour de Sabratha, l’alliance la plus étrange formée pendant les combats est celle entre le général Khalifa Haftar, dont l’Armée nationale libyenne (ANL) autoproclamée combat les islamistes et d’autres groupes à l’est, et la brigade al-Wadi, une milice locale de l’ouest du pays composée de combattants salafistes.

« Si la victoire contre la milice Dabashi amène d’autres fondamentalistes masqués par les forces armées ici à Sabratha, la situation pourrait devenir très dangereuse »

– Fasi, habitant de Sabratha

« La guerre ne s’arrêtera pas tant que ces groupes n’auront pas rendu les armes, libéré les personnes arrêtées pour chantage et remis les combattants étrangers qui combattent dans leurs rangs », a déclaré Haftar le 3 octobre lors de l’annonce de son intervention.

Les habitants affirment surveiller ces alliances de près. Depuis le début de la guerre en 2011, ils ont vu leur ville passer entre de nombreuses mains, se retrouvant pendant quelque temps sous le contrôle du groupe État islamique.

Après avoir vécu des années de combats et de frappes aériennes, ils attendent avec inquiétude de savoir qui seront les prochains à prendre le contrôle de la région et qui deviendront les interlocuteurs des gouvernements occidentaux, dont ils recevront armes et financements.

Maison endommagée suite aux trois semaines de combats qui ont pris fin plus-tôt ce mois-ci, à Sabratha (AFP)

« Nous vivons dans l’insécurité depuis des années », a déclaré Fasi, un habitant de Sabratha qui n’a pas souhaité donner son nom de famille pour des raisons de sécurité.

« De plus en plus de gens se rendent compte que les milices sont tout simplement dangereuses et commencent à faire davantage confiance aux "hommes forts" comme Haftar. »

Toutefois, comme l’a demandé Fasi, avec quels groupes ces hommes forts pourraient-ils s’aligner en définitive ?

De l’arrêt à l’impasse

Il y a deux mois encore, Sabratha était la capitale du trafic d’êtres humains en Libye, un commerce répandu et lucratif pratiqué par nombre de gangs et de milices du pays.

Les choses ont cependant changé à la fin du mois d’août, lorsque le trafic s’est arrêté après que des groupes armés qui profitaient des flux migratoires ont commencé à empêcher les bateaux de quitter le pays en échange d’une aide, de hangars pour avions et de cinq millions d’euros en provenance de l’Italie, comme l’ont indiqué des responsables libyens de la sécurité à Middle East Eye. Ces informations ont été démenties du côté italien.

Des sources locales affirment toutefois que les pots-de-vin italiens ont alimenté les tensions entre les milices payées – le clan Dabashi et la brigade 48, deux groupes affiliés au gouvernement soutenu par l’ONU – et les autres groupes qui ont continué d’essayer de profiter des migrants.

« Cette guerre a débuté sous la forme d’une guerre entre trafiquants avant de devenir une guerre idéologique et politique », a déclaré al-Tahar al-Gharabili, chef du conseil militaire de Sabratha, contrôlé par le gouvernement soutenu par l’ONU.

Au cours de la première semaine d’octobre, le clan Dabashi et la brigade 48 ont combattu la Cellule des opérations des révolutionnaires de Libye – la coalition contre l’État islamique opérant dans la région – soutenue par la brigade al-Wadi.

Le 6 octobre, date à laquelle la Cellule des opérations des révolutionnaires de Libye a proclamé sa victoire et sa prise de contrôle de Sabratha, le bilan était d’au moins 30 morts (près de 100 selon certaines sources) et d’environ 150 blessées.

Des intérêts concurrents

Selon les observateurs, avec sa victoire, la Cellule des opérations des révolutionnaires de Libye essaie de se présenter auprès des puissances occidentales comme la seule force de sécurité capable de maintenir l’ordre dans le pays.

« Actuellement, la Cellule des opérations des révolutionnaires de Libye n’essaie pas simplement de ressembler aux autres milices – comme un substitut à la milice Dabashi – mais à une nouvelle force de police et à une nouvelle armée remplaçant intégralement les milices », a indiqué Mattia Toaldo, chercheur politique principal au Conseil européen des relations extérieures.

« Cette guerre a débuté sous la forme d’une guerre entre trafiquants avant de devenir une guerre idéologique et politique »

– al-Tahar al-Gharabili, chef du conseil militaire de Sabratha

Haftar, a-t-il ajouté, « a fait des pas de géant au cours des derniers mois », tandis que la France et l’Italie se disputent désormais ses faveurs.

Une semaine après la fin de la bataille, Haftar a enregistré une vidéo, publiée par le commandement général de l’opération Dignité, dans laquelle il a déclaré que ses forces contrôlaient la zone côtière située entre Zouara et Zaouïa, au centre de laquelle se trouve Sabratha. Il a ajouté que son groupe allait s’emparer de la ville de Zaouïa – à quelques kilomètres de Tripoli – dans les jours qui suivaient.

Haftar assiste à une conférence de sécurité générale à Benghazi, le 14 octobre 2017 (Reuters)

« Seules les prochaines semaines nous éclaireront sur les efforts déployés par la Cellule des opérations des révolutionnaires de Libye pour se présenter non pas comme une autre milice pouvant être achetée avec cinq millions d’euros, mais comme une armée jouissant d’une légitimité politique et comme celle qui sera en mesure de recevoir des armes et du pouvoir à l’avenir », a déclaré Toaldo.

L’une des méthodes employées par le groupe pour présenter cette image, d’après Toaldo, a été « d’inviter les médias de manière théâtralisée dans des centres de détention illégaux gérés par la milice Dabashi et de leur montrer les milliers de migrants qui y sont retenus ».

L’issue de la bataille de Sabratha a également révélé des contradictions sur le terrain. La brigade al-Wadi en est un exemple frappant, ont expliqué des analystes.

Cette force se compose de salafistes madkhalistes, des disciples du cheikh saoudien Rabi al-Madkhali qui prêche l’imitation de la vie du Prophète.

Si la Cellule des opérations des révolutionnaires de Libye « s’est montrée très soucieuse » de conserver une position neutre entre Serraj et Haftar au cours des dernières semaines, ce n’est cependant un secret pour personne que le groupe entretient de bonnes relations avec la brigade al-Wadi et Haftar, a déclaré un analyste

Sous Mouammar Kadhafi, le groupe avait été autorisé à rester actif parce qu’il rejetait les élections et la démocratie et parce qu’il appelait à obéir à l’autorité, selon l’analyste Ahmed Sala Ali, qui a rédigé en juin un article à ce sujet pour l’Atlantic Council.

Lorsque Haftar a lancé l’opération Dignité, sa campagne visant à défaire les militants à Benghazi, en 2014, al-Madkhali a émis une fatwa appelant ses partisans à soutenir le général rebelle contre les Frères musulmans qu’il a décrits comme le « mal de Kadhafi ».

Mais ces alliances pourraient être davantage stratégiques qu’idéologiques, selon des analystes.

« Les salafistes madkhalistes en Libye vont toujours là où réside le pouvoir, a affirmé Toaldo. Ils soutiennent Haftar à l’est, mais aussi [le Premier ministre du gouvernement soutenu par l’ONU, Fayez al-] Serraj à Tripoli et, dans la guerre menée pour libérer Syrte de l’État islamique, ils étaient techniquement indépendants mais relevaient des forces de Misrata. »

Fayez al-Serraj, Premier ministre du gouvernement libyen soutenu par l’ONU, assiste à une session du Conseil des droits de l’homme de l’ONU à Genève, plus tôt cette année (Reuters)

Alors que la Cellule des opérations des révolutionnaires de Libye, qu’ils soutiennent, « s’est montrée très soucieuse » de conserver une position neutre entre Serraj et Haftar au cours des dernières semaines, ce n’est cependant un secret pour personne que le groupe entretient de bonnes relations avec la brigade al-Wadi et Haftar, selon Toaldo.

De même, l’alliance formée par Haftar avec les combattants révèle des contradictions dans son discours, écrit Ali.

Le général dénonce peut-être ses adversaires comme étant des « terroristes takfiris et des kharijites » qu’il accuse d’employer l’islam politique et d’adhérer aux Frères musulmans, à l’État islamique et à Ansar al-Charia, mais « il entretient aussi des liens étroits avec des organisations salafistes qui combattent sous son commandement à Barqa, dans l’est de la Libye ».

« La vie est devenue un enfer »

Alors que la constellation d’alliances de milices évolue, la dernière bataille en date pour Sabratha n’est qu’un nouveau chapitre d’une vie au milieu de milices armées qui se disputent le pouvoir et l’influence, a déclaré Fasi, l’habitant de Sabratha.

Au début de la guerre, les milices ne se livraient qu’à des trafics illicites, a-t-il expliqué. Mais de plus en plus, elles se sont rendu compte qu’elles devaient intégrer les structures de gouvernance locales afin d’assurer une couverture et un soutien politique à leurs projets et leurs affaires illégales, dont le trafic d’êtres humains.

« Depuis, notre vie est devenue un enfer », a-t-il déploré.

Il ne s’agit pas seulement des habitants pris entre deux feux, mais également des milliers de migrants qui ont été déplacés et pris au piège dans des camps après que les milices payées par les Italiens ont arrêté leurs bateaux.

Des migrants, qui étaient détenus par le Gouvernement d’entente nationale (GEN) soutenu par l’ONU lors de récents affrontements dans la ville, sont rassemblés dans un abri à Sabratha, le 7 octobre 2017, et transférés vers d’autres refuges du pays (AFP)

Selon les estimations, 5 800 migrants revenus pendant les combats à Sabratha vivent désormais dans des centres de détention, tristement célèbres pour les abus généralisés qui y sont commis et les conditions de vie déplorables qui y règnent.

Doit-on s’attendre à plus de combats ? Haftar – en alliance avec la Cellule des opérations des révolutionnaires de Libye et la brigade al-Wadi – prendra-t-il le contrôle de l’ouest de la Libye ?

« La guerre militaire de Sabratha est terminée, mais la guerre diplomatique ne fait que commencer », a affirmé Fasi.

Selon lui, Haftar s’est rendu compte que les gouvernements occidentaux nourrissent de plus en plus de doutes au sujet du soutien apporté aux milices et souhaitent quelqu’un comme lui aux commandes – mais ce n’est pas nécessairement ce que souhaitent les habitants.

À LIRE : Libye : les centres de détention pour migrants au cœur du trafic d’êtres humains

« Il y a d’autres dangers qui nous guettent, parce que les membres de la brigade al-Wadi sont des gens dangereux – ils veulent contrôler la vie religieuse et publique du pays comme ils le font dans la Cyrénaïque », a-t-il affirmé.

« Si la victoire contre la milice Dabashi amène d’autres fondamentalistes masqués par les forces armées ici à Sabratha, la situation pourrait devenir très dangereuse. Ce sera le début de la guerre civile suivante. »
 

Photo : cartouches vides dans une rue de Sabratha, après trois semaines de combats qui ont pris fin plus tôt ce mois-ci (AFP).

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

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