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Ce que l’alliance turco-saoudienne révèle des conflits au Moyen-Orient

La formation d'un bloc anti-chiite sous la nouvelle direction arabe pousse la Turquie à froisser ses relations avec l'Iran

ISTANBUL, Turquie - Le remaniement dynastique en Arabie saoudite début 2015 a donné naissance dès la première moitié de l'année à un royaume plus interventionniste. Les cinq premiers mois du règne de Salmane ont été marqués par une attitude hostile envers l'Iran, afin de  contrebalancer son influence ; par une  intervention militaire au Yémen ; ainsi qu' un engagement accru dans la guerre par procuration en Syrie et une approbation moins enthousiaste de l'Egypte d'Abdel Fattah al-Sissi.

Du côté turc et égyptien, lorsque les visites officielles du président Recep Tayyip Erdogan et de son homologue égyptien Sissi se sont succédées en Arabie saoudite en février, Erdogan a fait comprendre qu'une réconciliation avec l'Egypte était potentiellement envisageable. « L'Egypte, l'Arabie saoudite et la Turquie - ce trio - sont les pays les plus importants de la région. Il est de notre devoir à tous de promouvoir la paix, le calme et le bien-être de la région », a-t-il déclaré à la presse.

Depuis le coup d'Etat de l'été 2013, les relations turco-égyptiennes ont été gelées, suite à la chute du premier président élu du pays, Mohammed Morsi, tandis que les relations amicales entre la Turquie et l'Egypte passaient à la trappe. Le Premier ministre de l'époque, M. Erdogan, a vivement réprimandé l'armée égyptienne et rappelé son ambassadeur.

Depuis la mort de roi saoudien Abdallah, cependant, il semble que se dessine une équation multidimensionnelle. Alors que l'Arabie saoudite - pays pleinement conscient de l'influence iranienne sur les chiites dans la région - œuvre désormais activement pour contrebalancer l'Iran sous la direction du roi Salmane, la Turquie est la première et la plus influente puissance régionale qui laisserait faire sans réagir.

« Les Saoudiens, bien conscients de l'influence de l'Iran sur les chiites et les autres musulmans non sunnites, voudraient que la Turquie et l'Egypte rejoignent le bloc qu'ils souhaitent former. Oui, vous avez bien entendu, ils veulent instrumentaliser l'immense population sunnite de Turquie, l'un des… [premiers] membres du Conseil de l'Europe, membre de l'OTAN et candidat [à l’adhésion] de l'Union européenne », a écrit  Murat Yetkin dans sa chronique quotidienne au Radikal en mars. « Les Saoudiens veulent convaincre l'Egypte et la Turquie de faire partie de ce front contre l'Iran. »

De toute évidence, la nouvelle administration saoudienne sous le règne du roi Salmane a adopté une politique étrangère proactive, mais les circonstances qui ont amené la Turquie à rejoindre l'alliance sunnite ne doivent pas être sous-estimées.

Lassée de voir la communauté internationale se focaliser exclusivement sur les succès des groupes se réclamant de l'Etat islamique (EI) en Irak et en Syrie, et sa réticence à s'attaquer au régime d'Assad, la Turquie fait depuis longtemps campagne pour prendre la tête d'un assaut contre le président syrien en vue d'un éventuel changement de régime.

Poussée dans l'isolement depuis le conflit qui a tourné en guerre civile en Syrie, la Turquie a sollicité le soutien de ses alliés dans l'OTAN pour attaquer le gouvernement d'Assad. Loin d'accéder à cette demande, la coalition internationale a plutôt choisi de combattre l'EI, et la Turquie s'est retrouvée seule à faire campagne contre Assad.

Alors qu’au cours des derniers mois, le soutien aux rebelles syriens « modérés » prenait de l'ampleur, grâce au programme formation et équipement coordonné par la Turquie, les Etats-Unis, l'Arabie saoudite, la Jordanie et le Qatar, le voisin du nord de la Syrie aurait également développé ses propres ressources pour attaquer l'administration syrienne.

Imbrication des objectifs

Dans ces circonstances, le bloc sunnite que les Saoudiens appellent de leurs vœux s'est concrétisé sur de multiples plateformes. La portée et l'influence croissantes de l'Iran, si redoutées par l'Arabie saoudite qu'elles ont motivé l'intervention saoudienne au Yémen, a poussé Salmane à s'activer pour forger une nouvelle alliance dans la région avec l'aide de la Turquie.

Cela a en même temps offert à la Turquie une occasion supplémentaire de s'engager plus en avant pour soutenir des éléments anti-Assad sur le terrain, particulièrement en fournissant armes et munitions aux factions qu'elle favorise en Syrie. A en croire certains rapports, Saoudiens et Turcs ont forgé une alliance pour accroître les frappes aériennes contre les positions de l'armée d'Assad, et ont même prévu de déployer des troupes au sol.

A l'approche des élections générales du 7 juin en Turquie, ce genre d'opération n'est pas prête de se concrétiser car dans ce pays l'opinion publique est fortement opposée à tout type d'intervention militaire en Syrie. Une enquête menée fin 2014 montre que plus de 60 % de la population turque s'oppose à une intervention militaire en Syrie, même dans le cadre d'une force coalisée sous commandement américain ou de l'OTAN.

Le discours anti-Assad du gouvernement turc n'est pas un secret, mais ses tentatives clandestines d'assistance à certaines des factions armées en Syrie ne pouvaient rester totalement dissimulées. Depuis quelque temps, les allégations autour du rôle de la Turquie dans le soutien aux affiliés d'al-Qaïda, et au Front al-Nosra en particulier, a mis le gouvernement turc sur la défensive, mais il a catégoriquement nié ces allégations.

Depuis janvier 2015, un gros scandale aux répercussions nationales secoue l'opinion publique turque. Des camions appartenant à la National Intelligence Organisation turque (MIT) ont été arrêtés par la gendarmerie locale, et les soldats y ont alors découvert une pleine cargaison d'armes et de munitions. Le Parti pour la justice et le développement (AKP) au pouvoir a été accusé d'avoir envoyé des armes aux rebelles extrémistes en Syrie.

Les arrestations d'officiers militaires qui s'ensuivirent et la tendance du gouvernement à dissimuler et couvrir « la question des combustibles » ont éveillé des soupçons, mais furent vite transformées par l'AKP en un nouveau moyen de s'attaquer aux gulénistes. L'ancien allié du gouvernement, le religieux musulman turc Fethullah Gulen, est à la tête des éléments de cette organisation plutôt informelle qui, prétendent certaines sources gouvernementales, aurait orchestré la dissidence contre l'AKP.

Le 29 mai, le quotidien turc Cumhuriyet a publié des documents fuités sur le contenu des camions du MIT: ils confirment les rapports indiquant que la cargaison était réellement des armes et des munitions destinées à la Syrie.

Concessions mutuelles

Dans ce contexte de renforcement de la coopération turco-saoudienne, et d'imbrication des objectifs, certains analystes soulignent que ce rapprochement gagnant-gagnant est parfaitement rationnel.

Selon Oytun Orhan, chercheur à l'ORSAM, centre de réflexion basé à Ankara sur les études stratégiques du Moyen-Orient, les Saoudiens ont enfin compris que le royaume ne peut plus résoudre des problèmes qui s'éternisent depuis des lustres avec des méthodes archaïques.

« Par le biais de ses agents en Irak, en Syrie et au Liban, l'Iran a obtenu dans la région la supériorité tactique contre l'Arabie saoudite », a récemment écrit Orhan. « [Contre l'Iran], le Yémen a été le premier terrain d'essai, et au-delà du simple soutien financier, les Saoudiens endossent désormais le rôle de leadership militaire. »

Le réalignement de la politique étrangère de l'Arabie saoudite ne se restreint pas à son engagement par procuration contre l'Iran. L'Egypte de Sissi et ses efforts contre les Frères musulmans ne sont plus le principal moteur du soutien saoudien à ce pays. Les observateurs notent que la vision de l'Egypte qu'ont le nouvellement nommé prince héritier Mohammed ben Nayef et le roi Salmane diffère sensiblement de celle de leurs prédécesseurs.

Selon Abdullah Aydogan Kalabalik, le représentant du Caire au SETA (think tank basé à Ankara), l'Arabie saoudite estime que le principal danger régional c'est l'Iran, et non les Frères musulmans. « La progression des Houthis au Yémen a culminé [avec] la menace que fait peser l'Iran sur les Saoudiens, ce qui s'est manifesté dans l'évolution des priorités sur le dossier égyptien », a fait valoir Kalabalik.

« La nouvelle administration saoudienne soutient l'affilié yéménite des Frères musulmans contre les Houthis, soutenus quant à eux par l'Iran. C'est pour cette raison que le ministère saoudien des Affaires étrangères est déjà en train de réviser ses relations avec l'axe Turquie-Qatar. »

Kalabalik a en outre déclaré que les relations entre la Turquie et l'Arabie saoudite devraient continuer à s'améliorer, mais il a averti que le royaume ne formerait pas cette alliance anti-chiite au prix de perdre un allié stratégique comme l'Egypte. En d'autres termes, bien que la Turquie soit loin de donner signe d'un rapprochement potentiel avec l'Egypte de Sissi, l'Arabie saoudite n'est pas prête d'assouplir sa position contre la Fraternité.

Dangers d'une alliance anti-chiite

Une réconciliation durable entre Turquie et Egypte pourrait bien se profiler à l'horizon, mais en attendant, la colonne vertébrale de l'alliance anti-chiite c'est le soutien de la Turquie à l'opération saoudienne au Yémen, et le soutien de l'Arabie saoudite à la Turquie en Syrie.

Toutefois, selon certains spécialistes en politique étrangère turque, le bloc anti-chiite pourrait placer la Turquie sur un terrain glissant. Selon Semih Idiz, chroniqueur au Al-Monitor, les réactions mitigées d'Erdogan envers l'Iran au sujet du conflit sectaire dans la région, et son soutien initial aux Saoudiens au Yémen sont déroutants.

« Il est important de remarquer que M. Erdogan a activement tenté récemment de se distancier de toute suggestion lui prêtant des sympathies sunnites contre les chiites », a déclaré Idiz.

« Cette approche contraste avec l'affront qu'il a infligé à l'Iran il n'y a pas si longtemps, quand il a accusé Téhéran de rivaliser pour la prépondérance régionale, et promis le soutien diplomatique et logistique aux opérations dirigées par les Saoudiens contre les rebelles houthis au Yémen, soutenus par l'Iran. »

Selon Murat Yetkin du quotidien Radikal, participer à ce front anti-Iran va à l'encontre du principe de « paix chez soi, paix dans le monde » dont l'Etat turc a fait sa devise. Yetkin a soutenu que la paix de longue date entre Turquie et Iran ne doit pas être compromise, car ces deux pays partagent une frontière qui est restée incontestée depuis 1639.

La formation d'une alliance arabo-turque - et potentiellement turco-égyptienne - pourrait s'avérer souhaitable tant par les Arabes sunnites que par Israël et les Etats-Unis, mais elle pourrait avoir de graves répercussions sur les relations de la Turquie avec l'Iran, car la Turquie a des relations beaucoup plus complexes et profondes avec son voisin oriental qu'avec les autres membres de l'alliance.

Sécurité énergétique, commerce et stabilité politique régionale ne sont que les premières des nombreuses questions à examiner.

- Pour plus d'informations, cliquer sur: http://www.middleeasteye.net/news/analysis-what-does-turkish-saudi-alliance-say-about-middle-east-conflicts-2134953812#sthash.5GxDbIkk.dpuf

Traduction de l'anlgais (original) par Dominique Macabies.

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