Libye : les efforts de pourparlers de l'ONU sont au point mort dans un pays déchiré par la guerre
Suite au troisième report des pourparlers, prévus le 5 janvier, le processus de paix de l'ONU pour la Libye est entre la vie et la mort, s'il n'est pas déjà mort. Alors que les combats font rage à travers le pays, l’émissaire de l'ONU Bernardino Leon a avoué être « à court d'idées ».
Le processus de médiation initié par Bernardino Leon s'est avéré tumultueux. Il a démarré en septembre, peu de temps après la division du pays en deux, avec l’Aube de Libye, un groupement de révolutionnaires, prenant le contrôle de Tripoli et de Misrata, principal port du pays. La Chambre des représentants (CDR) nouvellement élue s'est réfugiée dans la ville de Tobrouk, à l'est.
L'action de Bernardino Leon, qui souhaitait rassembler tous les camps, a été entravée dès le départ par la reconnaissance officielle par l'ONU de la Chambre des représentants comme le gouvernement légitime de la Libye.
Dans cet esprit, Leon a initié le « processus de Ghadamès » en organisant des réunions réservées aux membres de la Chambre des représentants dans la ville éponyme de l'ouest de la Libye. Ces réunions rassemblaient des députés soutenant le parlement et un autre groupe de législateurs élus ayant par la suite boycotté le parlement pour se ranger du côté d'Aube de Libye.
Les pourparlers dans l'impasse
Trois réunions ont eu lieu. Le secrétaire général des Nations unies Ban Ki-moon a assisté à la dernière d’entre elles, dans l'espoir de trouver une tribune pour aboutir à une solution à la guerre civile qui n'a fait qu'empirer.
Les pourparlers se sont retrouvés dans l'impasse, entravés par le fait que les principaux chefs militaires des deux camps n'ont pas été intégrés au processus. Aube de Libye s'est prononcé pour le rétablissement de l'ancien parlement de Libye, le Congrès général national (CGN), en insistant sur le fait que celui-ci, et non pas la Chambre des représentants, était le gouvernement légitime.
Les revendications de légitimité du CGN ont pris un nouvel élan en novembre, lorsque la Cour suprême a statué que les élections de juin, qui avaient abouti à la création de la Chambre des représentants, n’étaient pas valides, et que par conséquent, cette institution pouvait être illégitime. La Chambre des représentants a dénoncé la décision, affirmant que les juges de Tripoli avaient agi sous la pression des milices d'Aube de Libye, et a refusé de reconnaître le jugement.
Pour Bernardino Leon, la décision du tribunal a constitué une occasion d'élargir le dialogue. Il a ainsi rapidement organisé une rencontre avec Nouri Bousahmein, représentant du CGN de nouveau réuni à Tripoli, pour appeler à soutenir de nouvelles négociations.
De multiples conflits
Désormais, la Libye est divisée entre les gouvernements rivaux qui siègent respectivement à Tobrouk et Tripoli et qui contrôlent des forces armées rivales.
Un nouveau processus de paix, officieusement appelé Ghadamès 2, a pris forme. Bernardino Leon a alors annoncé que tous les acteurs clés de la guerre en Libye y prendraient part, à l'exception du groupe Ansar al-Charia, qui lutte pour prendre le contrôle de Benghazi, dans l'est du pays, et que l'ONU a ajouté à sa liste noire des organisations terroristes. L'émissaire de l'ONU s'est mis en quête de l'accord de chaque partie à participer à une conférence de paix.
En novembre, la situation en Libye a empiré, la guerre se déclinant en une série de conflits interconnectés. Après avoir assuré le contrôle le Tripoli, les forces d’Aube de Libye ont mené une poussée vers le sud et l'ouest, combattant les unités de Zentan et Warshafan qui soutiennent la Chambre des représentants. A l'est, les forces armées de la Chambre des représentants se sont affrontées à Ansar al-Charia et au conseil (consultatif) de la choura pour le contrôle de Benghazi.
La solution de Bernardino Leon, dont il a dessiné les contours lors d'une interview au journal espagnol El Pais, consiste en un plan de paix en plusieurs phases.
Tout d’abord, la signature d’un cessez-le-feu, suivi de la création d'un gouvernement d'union et d'une promesse de la part des milices de se retirer des villes principales. Ce gouvernement d'union guiderait la Libye le temps qu'une nouvelle constitution soit rédigée par une commission élue en février, en vue de la tenue de nouvelles élections l'année prochaine.
Bernardino Leon a appelé la banque centrale, la National Oil Corporation et la Libyan Investment Authority, qui détient plus de 100 milliards de dollars d'actifs étrangers, à rester « indépendantes ».
Un sentiment de crise
Un sentiment de crise a désormais envahi les coulisses du pouvoir à l'étranger. La guerre, de plus en plus intense, a laissé derrière elle des centaines de morts et, d'après l'ONU, 400 000 personnes sans toit. L'économie de la Libye, dépendante des revenus du pétrole en baisse, a entamé une chute libre.
Les difficultés rencontrées par Bernardino Leon pour rassembler tous les camps autour de la table sont liées à la nature mutuellement exclusive de la guerre. Les dirigeants de la Chambre des représentants insistent sur le fait qu’en tant que gouvernement reconnu, le pouvoir doit leur revenir exclusivement. Ils affirment qu’ils ne peuvent reconnaitre le CGN ou partager le pouvoir avec Aube de Libye, qu'ils qualifient de formation « terroriste ».
Le CGN a formulé la même demande, en soutenant que puisque la Chambre des représentants a été déclarée invalide par la Cour suprême, le pouvoir est entre ses mains. Aucun des deux camps n'est prêt à envisager un accord de partage du pouvoir.
Début décembre, alors que les combats gagnaient de l’ampleur, Bernardino Leon a indiqué aux ministres des Affaires étrangères de l'OTAN réunis à Bruxelles que les pourparlers de paix étaient prêts et que le processus de « Ghadamès 2 » aurait lieu le 9 décembre.
Une demande de reconnaissance
Toutefois, le soir précédant les pourparlers, il s'est envolé vers Tripoli pour rencontrer le président du CGN, Nouri Bousahmein, et a annoncé que les pourparlers seraient reportés d'une semaine.
La semaine suivante, les négociations ont de nouveau été reportées, les deux camps ayant conditionné leur présence à la reconnaissance de leur statut de gouvernement légitime.
Le 23 décembre, Bernardino Leon a assisté à une réunion du Conseil de sécurité des Nations Unies à New York. Cette réunion était privée mais le président du Conseil, Mahamat Zene Cherif, ambassadeur du Tchad à l'ONU, a déclaré à Reuters qu'une nouvelle date, le 5 janvier, avait été convenue pour les négociations.
Pendant ce temps, en Libye, les combats ont redoublé d'intensité. Abdallah Al-Thani, premier ministre de la Chambre des représentants, a annoncé des mesures visant à garder les revenus du pétrole hors de portée de la banque centrale, que Tobrouk accuse de soutenir Aube de Libye.
La reconnaissance internationale donne potentiellement à la Chambre des représentants la mainmise totale sur les actifs de la Libye à l'étranger et, avant tout, sur les revenus du pétrole. Eloigner cet argent de la banque centrale permettrait à la Chambre des représentants de couper les vivres d'Aube de Libye.
L'offensive d'Aube de Libye
Aube de Libye a par la suite lancé l'opération « Lever de soleil », une offensive ambitieuse visant à prendre le contrôle de quatre ports pétroliers clés (Es-Sider, Ras Lanouf, Brega et Zueitina) dans le centre de la Libye. Ces ports, qui forment le « croissant pétrolier », traitent l'essentiel des exportations de pétrole du pays.
L'opération « Lever de soleil » a commencé fort : le premier jour, les unités d'Aube de Libye, pour la plupart de Misrata, ont effectué une poussée vers l'est à bord de 300 véhicules, depuis les bases localisées à Syrte jusqu'aux portes d'Es-Sider, le plus grand port pétrolier du pays.
Ces unités se sont heurtées à la résistance des gardes des installations pétrolières, une unité militaire semi-autonome contrôlée par le commandant charismatique Ibrahim Jathran. Les unités d'Aube de Libye ont insisté sur le fait que leur manœuvre ne consistait pas à prendre le contrôle des ports, mais à les « libérer » de l'emprise de Jathran, qui avait organisé un blocus de douze mois de ces mêmes ports ayant pris fin en juin.
Dans les jours qui ont suivi, l'aviation libyenne a pilonné les unités de l'opération « Lever de soleil », finalement contraintes de battre en retraite vers la ville de Ben Jawad. Fin décembre, les unités d'Aube de Libye ont mené un raid en hors-bord sur Es-Sider. Bien que l'attaque ait été repoussée, un des énormes réservoirs de stockage de carburant a pris feu.
De la fumée visible depuis l'espace
Les deux camps se sont renvoyé la responsabilité de cet incendie qui a duré une semaine, consumant près d'un million de barils de pétrole et projetant un panache de fumée visible depuis l'espace.
S'il pouvait subsister une once de bonne volonté dans les deux camps, celle-ci s’est complètement évaporée entre fin décembre et début janvier, lorsque l'aviation contrôlée par le gouvernement de la Chambre des représentants a mené pendant trois jours des frappes aériennes sur Misrata. Ensuite, le 4 janvier, des bombardiers ont attaqué le pétrolier grec Araevo, qui livrait du carburant à Derna, ville tenue par des activistes, dont des unités de l'Etat islamique, d'après le Pentagone.
La Chambre des représentants a accusé le pétrolier d'avoir ignoré les demandes de fouilles qu'elle avait émises, craignant un approvisionnement en armes des combattants installés à Derna. La National Oil Corporation à Tripoli et le gouvernement grec ont demandé une enquête.
Pendant ce temps, les forces armées de la Chambre des représentants ont lancé une contre-offensive soutenue par des frappes aériennes contre l'opération « Lever de soleil », à Ben Jawad. Alors que le pays sombrait dans la violence, le 5 janvier est passé sans le moindre signe des pourparlers de paix que le président du Conseil de sécurité de l'ONU avait annoncés en décembre.
A court de temps
« Nous sommes à court de temps et d'idées », a indiqué Bernardino Leon à CNN le 7 janvier. « Si, dans les prochaines semaines, il n'est pas possible de relancer ce dialogue politique, la communauté internationale sera amenée à envisager d'autres formules et à parler dans un nouveau langage en Libye. »
Bernardino Leon n'a pas précisé ce que serait ce « nouveau langage ». Il a toutefois semblé insinuer que la communauté internationale adopterait une approche plus robuste, affirmant qu’elle pourrait décider d'utiliser « plus de bâtons et moins de carottes ».
Un des problèmes de Bernardino Leon est qu'il a peu de moyens de pression à disposition. Il n'y a pas de consensus au sein des Nations unies quant à la façon de résoudre la situation de guerre, et l'organisation est peu encline à déployer des casques bleus.
La seule source de réconfort pour l'émissaire de l'ONU, lorsqu’il s'interroge sur sa prochaine manœuvre, est la conviction que la plupart des Libyens, dont de nombreux dirigeants, veulent la paix. « Je pense que tous les Libyens, modérés et radicaux, savent qu'il n'y a pas de solution militaire en Libye, a-t-il déclaré. C’est une évidence pour la plupart des analystes libyens et étrangers. »
Légende photo : un milicien d'Aube de Libye observe la situation avec ses jumelles, alors que des affrontements font rage à 170 km à l'ouest de la capitale Tripoli, le 5 janvier (AFP)
Traduction de l'anglais (original).
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