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Rapprochement entre l’Arabie saoudite et l’Iran : pourquoi l’heure était venue

Du rôle de Téhéran et Riyad dans la guerre au Yémen à l’essor de la Chine dans la région, la reprise des relations officielles entre l’Iran et l’Arabie saoudite présente d’énormes avantages pour les deux camps
(De gauche à droite) Le conseiller saoudien à la sécurité nationale Musaad ben Mohammed al-Aiban, le Chinois Wang Yi et Ali Shamkhani, membre du Conseil de sécurité nationale suprême iranien, lors d’une rencontre à Beijing, le 10 mars 2023 (Reuters)

Il aura fallu sept années et cinq cycles de négociations pour que l’Iran et l’Arabie saoudite parviennent finalement à un accord pour rétablir des relations officielles entre leurs deux pays.

Cet accord a vu le jour non seulement grâce à la médiation de l’Irak et Oman, mais plus encore parce qu’elle était l’initiative du président chinois Xi Jinping.

Les deux camps ont convenu de rouvrir leurs ambassades dans les deux prochains mois et de réactiver les accords de coopération et de sécurité signés en 1998 et 2001. Cet accord a été conclu le 10 mars après un dernier cycle de négociations qui n’a duré que quatre jours.

Les principales questions concernent le timing, les motifs à cet accord et ses implications pour les deux pays.

Les événements dans la région et la nécessité pour les deux pays de communiquer l’un avec l’autre sont des facteurs significatifs de la reprise de leurs relations, qui avaient été rompues en 2016.

Pour l’Iran, l’isolement politique sans précédent a été un facteur de motivation clé.

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Au cours de l’année écoulée, la répression brutale des manifestations populaires, l’envoi de drones en Russie pour sa guerre en Ukraine, la découverte de d’uranium enrichi à 84 % dans ses installations nucléaires, son expulsion de la Commission onusienne de la condition de la femme et la suspension des négociations sur le nucléaire entre l’Iran et les États-Unis ont valu à Téhéran la condamnation de la communauté internationale.

Ce climat était si dangereux pour la légitimité internationale de l’Iran qu’Abbas Araghchi, ancien vice-ministre des Affaires étrangères, a mis en garde le gouvernement de ne pas laisser des manifestations contre la République islamique être organisées à l’étranger.

Armes nucléaires

C’est en raison de cet isolement et de cette condamnation internationale que l’Iran était résolu à relancer ses relations avec l’Arabie saoudite. Riyad exerce une influence considérable sur Bahreïn, la Jordanie, les Émirats arabes unis et, jusqu’à récemment, l’Égypte. La désescalade des tensions avec l’Arabie saoudite fait suite à une diplomatie active avec ces États. 

En outre, dans le cadre d’une stratégie connue comme la « politique de voisinage », l’Iran pourrait bénéficier de la reprise des relations économiques avec l’Arabie saoudite et voir s’affaiblir le soutien de Riyad à la chaîne de télévision anti-iranienne Iran International, dirigée par un ressortissant saoudien à Londres, et à l’Organisation des moudjahidine du peuple iranien (MeK), organisation terroriste d’après l’Iran.

Les propos de Mohammed ben Salmane contre le dirigeant iranien ont été néfastes, en particulier lorsqu’il l’a comparé à Hitler

Quant à l’Arabie saoudite, elle avait elle aussi besoin de renouer le dialogue avec l’Iran. Des alliés de Téhéran dans le monde arabe ont entravé les activités diplomatiques de Riyad en Irak, au Yémen, au Liban et en Syrie.

Les propos du prince héritier Mohammed ben Salmane contre le dirigeant iranien ont été néfastes, en particulier lorsqu’il l’a comparé à Hitler.

Il avait déclaré que si l’Iran faisait l’acquisition de la bombe nucléaire, Riyad n’hésiterait pas à faire de même, puisque l’Arabie saoudite courrait le risque d’une attaque nucléaire depuis l’Iran. En novembre 2022, le Wall Street Journal a signalé une possible attaque iranienne imminente contre l’Arabie saoudite, tentative visant à détourner l’attention de l’opinion publique des manifestations contre le gouvernement.

La coopération entre l’Iran et l’Arabie saoudite pourrait mener à la résolution de conflits dans certains pays du Moyen-Orient. La situation politique et économique compliquée du Liban et l’impasse de la nomination d’un président pourraient être résolues plus aisément avec la patience des deux pays.

La semaine dernière, après que le Hezbollah a soutenu la candidature à la présidentielle de Soleimane Frangié, l’Arabie saoudite a riposté en annonçant qu’elle soutiendrait un président « non corrompu ».

Le Yémen et la Chine

Le sujet crucial entre les deux pays est le Yémen. Selon les analystes, les Saoudiens n’auraient pas donné leur accord pour améliorer leurs relations avec l’Iran sans obtenir en contrepartie des concessions sur l’implication de la République islamique au Yémen.

On ne sait pas quelles concessions a fait l’Iran ou ce qu’il peut promettre à Riyad. Même si l’Iran influence les Houthis, il ne les commande pas. Le mouvement houthi décide en toute indépendance de la poursuite du conflit ou la négociation de sa fin. Riyad et Téhéran finiront par conclure que les Houthis et le gouvernement à Aden sont deux réalités indissociables et que le chemin vers l’avenir politique du Yémen passera par les deux groupes.

Les combattants houthis lors d’une parade dans la capitale yéménite Sanaa, le 2 février 2017 (AFP)
Les combattants houthis lors d’une parade dans la capitale yéménite Sanaa, le 2 février 2017 (AFP)

Le désir de l’Arabie saoudite de communiquer avec l’Iran vient également de la tendance à une politique étrangère indépendante de Washington. Ces dix dernières années, les États-Unis ont montré un intérêt moindre à soutenir leurs alliés au Moyen-Orient. Washington n’a pas réagi militairement aux attaques contre les installations pétrolières d’Arabie saoudite en 2019. « C’était une attaque contre l’Arabie saoudite. Ce n’était pas une attaque contre nous », avait alors déclaré le président Donald Trump.

Par ailleurs, les États-Unis ont été irrités par la réduction du quota pétrolier de l’OPEP soutenue par Riyad, malgré les demandes d’augmentation de la production du président Biden. Pour cette raison, il ne faut pas être surpris par la médiation de la Chine dans cet accord.

Le rôle de la Chine dans cet accord pourrait être un signe de sa confiance croissante en sa présence régionale et un signe qu’elle pense disposer d’un espace pour défier la domination américaine au Moyen-Orient.

En adoptant une « politique du zéro ennemi », la Chine a réussi à maintenir des relations équilibrées dans la région

« La Chine est désormais le parrain de cet accord et cela a de lourdes implications », indique Ali Shihabi, commentateur proche du gouvernement saoudien. 

« L’histoire nous a appris que les accords bilatéraux avec l’Iran ne veulent pas le papier sur lequel ils sont signés… », dit-il. « C’est l’implication de la Chine en tant que signataire (pas uniquement comme médiateur) qui rend les choses concrètes ici. »

Cependant, la Chine a tenté de rester neutre vis-à-vis de ses alliés au Moyen-Orient. En adoptant une « politique du zéro ennemi », la Chine a réussi à maintenir des relations équilibrées dans la région.

Beijing n’a pas l’intention de sanctionner ceux qui violent cet accord par des mesures punitives. Tout comme l’Arabie saoudite fournit à la Chine 18 % de son pétrole, l’Iran devrait également recevoir 400 milliards de dollars d’investissements dans ses infrastructures conformément à un accord de coopération sur 25 ans avec la Chine. Cela dit, s’il y a un pays qui a de l’influence sur le gouvernement Raïssi, c’est bien la Chine – ainsi que la Russie.

Perspectives iraniennes

Le gouvernement iranien salue cet accord. Le ministère des Affaires étrangères et le président du Parlement le voient comme un pas important vers la stabilité de la région et du golfe Persique.

Certains analystes iraniens pensent que le fait que l’intermédiaire soit la Chine plutôt que les États-Unis est un signe du pouvoir déclinant de Washington dans le nouvel ordre mondial. Une analyse de l’agence de presse Mehr, intitulée « Le nouvel ordre mondial sans le chef », stipulait que « les bougies du gâteau de la réconciliation entre Téhéran et Riyad [avaient] été soufflées à côté de la Grande Muraille de Chine [plutôt qu’aux États-Unis] ». 

D’autres articles se concentrent sur la colère d’Israël vis-à-vis de cet accord et de son impact sur les négociations sur le nucléaire.

Un autre point de vue dominant souligne la différence entre les deux camps politiques rivaux en Iran : les réformateurs et les radicaux (également appelés conservateurs).

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Certains politiciens conservateurs suggèrent que l’Arabie saoudite a été contrainte d’apaiser les tensions avec l’Iran en raison de sa faiblesse régionale. Ils prétendent que la politique active du gouvernement conservateur du président Raïssi leur a permis d’obtenir des gains diplomatiques, tels que l’adhésion à l’Organisation de coopération de Shanghai et la désescalade avec l’Arabie saoudite.

Mohammad Hosseini, vice-président iranien aux affaires parlementaires, a déclaré dans une interview télévisée qu’il avait rencontré le ministre saoudien des Affaires étrangères lors de la cérémonie d’investiture du président brésilien, Luiz Inacio Lula da Silva. Il était clair lors de cette réunion que l’Arabie saoudite était prête à établir des relations avec l’Iran.

De leur côté, les réformateurs affirment que l’administration conservatrice actuelle marche en fait dans les pas du gouvernement réformateur de l’ex-président Mohammad Khatami (1997-2005), qui avait adopté une politique de désescalade dans la région.

Hamid Aboutalebi, vice-président du gouvernement réformateur du président Hassan Rohani (2013-2021), a tweeté : « Près de deux ans de négociation par ce gouvernement, via des médiateurs, [n’ont eu pour seul résultat que de] parvenir à un protocole d’accord il y a vingt ans ! », en référence à la réactivation des accords de sécurité de 1998 et 2001 entre Riyad et Téhéran, à l’époque de Khatami.

Un autre argument se concentre sur l’impact de cet accord sur la devise iranienne, avec la baisse du dollar et de l’or en réaction. Récemment, l’Iran a connu une dévaluation face au dollar jusqu’à 600 000 rials. Le 10 mars, on était à 477 000 rials. Après cet accord, l’écart a chuté à 405 900 rials.

Bien que cet accord entre l’Iran et l’Arabie saoudite pour rétablir des relations diplomatiques après sept années de rupture ait été salué par divers pays, il serait judicieux de rester prudent.

L’accord est émaillé de problèmes structurels profondément enracinés à travers la région. Ainsi, reste à voir si les deux pays peuvent parvenir à une percée majeure sur certains problèmes constants ou si, au bout du compte, cet accord ne sera que de l’encre sur du papier.

- Mohammad Salami est chercheur au International Institute for Global Strategic Analysis (IIGSA). La politique et la gouvernance, la sécurité et la lutte contre le terrorisme au Moyen-Orient, et en particulier la région du golfe Persique, font partie de ses domaines d’expertise.

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

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