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« Paresseux », « dur », « bègue » : les notes secrètes des diplomates britanniques sur la royauté saoudienne

Des documents récemment déclassifiés par les Archives nationales révèlent des évaluations hautes en couleur de la personnalité de l’ancien roi Fahd et du prince héritier Abdallah préparées pour John Major avant sa visite dans le royaume en 1994
John Major (au centre) serre la main du roi Fahd à Djeddah en 2000. L’ancien président américain George Bush se tient à gauche (AFP)
Par MEE

Les diplomates britanniques estimaient que le roi d’Arabie saoudite, Fahd ben Abdelaziz, était un dirigeant « pas apprécié mais respecté » qui « réagissait mal aux avis divergents », et notaient que le prince héritier de l’époque, Abdallah ben Abdelaziz, « bégayait énormément en cas d’accès de timidité », selon de nouveaux documents déclassifiés rendus publics jeudi dernier.  

Ces évaluations hautes en couleur de la personnalité des principaux membres de la famille royale saoudienne décrivent également leurs centres d’intérêt et leurs passe-temps, notamment les courses de chevaux, le ski et la musique classique. Elles ont été préparées par des diplomates pour le Premier ministre de l’époque, John Major, avant son voyage en Arabie saoudite en septembre 1994.

Les mémos décrivent également le roi Fahd, qui a dirigé l’Arabie saoudite de 1982 à 2005, comme n’étant « pas un intellectuel », mais estiment qu’il est « extrêmement astucieux et a appris par expérience » et qu’il est « progressiste dans les limites imposées par la nature islamique de l’Arabie saoudite ».

« Les fonctionnaires britanniques et les analystes arabes au Foreign Office continuent d’informer leur Premier ministre en utilisant le langage et les clichés qui ont dominé l’histoire impériale britannique »

- Madawi al-Rasheed, universitaire

Major passait par l’Arabie saoudite pour se rendre en Afrique du Sud, mais les documents suggèrent que son escale en Arabie saoudite était considérée comme une occasion lucrative pour le gouvernement britannique d’obtenir de gros contrats d’armements.

Major espérait persuader le roi Fahd d’accepter des contrats d’armement d’une valeur de plusieurs milliards de dollars, notamment la vente de 20 avions d’entraînement Hawk d’une valeur de 320 millions de livres sterling (400 millions de dollars), qui faisaient partie du controversé accord al-Yamamah. Signé dans les années 1980, celui-ci représente le plus grand contrat d’armement jamais conclu par Londres.

Les documents soulignent que la contribution du Royaume-Uni à la guerre du Golfe de 1991 – dans laquelle les forces sous commandement américain utilisant l’Arabie saoudite comme base ont combattu les forces irakiennes ayant envahi le Koweït voisin – avait « renforcé la bonne opinion [du roi] à l’égard du Royaume-Uni ».

« Un modéré, qui préfère le consensus au désaccord, mais peut se montrer dur au besoin. Sa ferme décision d’inviter des troupes étrangères après l’invasion du Koweït par l’Irak, contre l’avis de nombreux membres de la famille royale, était juste et courageuse », affirment-ils.

Le roi était « fermement attaché à l’Occident et particulièrement aux États-Unis », ajoutent les diplomates.

Toutefois, ils font également allusion au fait qu’il hésitait à agir sur la question controversée de la réforme constitutionnelle et des « pressions des islamistes radicaux ».

Note de la diplomatie britannique décrivant le roi Fahd, qui a dirigé l’Arabie saoudite de 1982 à 2005
Note du Foreign Office décrivant le roi Fahd, qui a dirigé l’Arabie saoudite de 1982 à 2005 (Archives nationales)

Dans d’autres documents, le prince héritier Abdallah, demi-frère du roi Fahd, qui lui a succédé en tant que roi et a gouverné jusqu’en 2015, est décrit comme ne parlant pas anglais et bégayant tellement en arabe qu’il est difficile à comprendre.

« Il voit tout en noir et blanc, hésite à consulter largement avant de prendre des décisions importantes et n’hésite pas à prendre des mesures fermes. Cela le rendra moins apte à gérer les problèmes délicats auxquels il sera confronté en tant que roi », estiment-ils.

Les parties de chasse et les courses de chevaux sont présentées comme les principaux centres d’intérêt d’Abdallah.

Manque de respect

Selon Madawi al-Rasheed, une universitaire saoudienne basée à la London School of Economics, les documents suggèrent un « manque de respect pour les dirigeants saoudiens » et une relation toujours façonnée par les attitudes coloniales.

« Ces documents appartiennent à une époque révolue de la Grande-Bretagne impériale et coloniale. Cependant, en ce qui concerne l’Arabie saoudite, le bilan historique semble dominé par la même attitude et la même évaluation », a-t-elle déclaré à Middle East Eye.

D’après Madawi al-Rasheed, les documents suggèrent également que les relations entre les dirigeants saoudiens et britanniques étaient davantage fondées sur des attributs personnels que sur le professionnalisme.

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« Alors que les relations entre États sont souvent contenues dans des institutions durables, les relations entre les Saoudiens et le Royaume-Uni sont personnalisées suivant le fil conducteur de la psychologie : les Britanniques commentent les personnalités saoudiennes, leur capacité à communiquer, leur dureté et leurs compétences linguistiques en anglais », a-t-elle relevé.

Les documents sur le roi Fahd et le prince héritier Abdallah et d’autres, qui ont été publiés par les Archives nationales à Londres, restent expurgés pour des raisons de sécurité nationale et pourraient ne jamais être divulgués dans leur intégralité.

Parmi les autres profils, on trouve le prince Sultan ben Abdelaziz, frère du roi, alors vice-Premier ministre, responsable des forces armées et ministre de la défense et de l’Aviation.

« Il n’est pas très intelligent, mais peut être charmant. Il a des préjugés, est inflexible et impérieux, et il est dur en affaires. Sa proximité avec le roi Fahd le maintient évidemment fort. « 

Le document décrit les importantes transactions d’armes que Sultan a conclues précédemment avec le Royaume-Uni, y compris un accord officiel sur Yamamah II.

Sultan ben Abdelaziz deviendra plus tard prince héritier quand Abdallah deviendra roi.

Tennis et ski

Le prince Saoud ben Fayçal ben Abdelaziz est présenté dans un langage plus favorable, décrit comme un homme politique compétent, « s’exprimant bien », « stimulant » et « un allié fiable ».

« La diplomatie déterminée de Saoud, sa performance virtuose et son soutien loyal à la politique du roi pendant la crise du Golfe, ainsi que la sagesse qui lui vient d’une intelligence naturelle et d’une longue expérience, ont contribué à améliorer sa réputation et son statut. »

Les briefings sur Saoud mentionnent également son amour pour la musique classique, le tennis et le ski.

Madawi al-Rasheed explique que le langage utilisé pour décrire les dirigeants saoudiens était profondément enraciné dans l’impérialisme britannique.

« Si le briefing pour l’actuel Premier ministre britannique sur MBS était mis à disposition du public, il ne fait aucun doute que des termes tels que pas intelligent, erratique, perfide, arrogant et même criminel seraient utilisés pour le décrire »

- Madawi al-Rasheed, universitaire

« Les fonctionnaires britanniques et les analystes arabes au Foreign Office continuent d’informer leur Premier ministre en utilisant le langage et les clichés qui ont dominé l’histoire impériale britannique. La seule différence est que ces documents datent des années 1990 et non des années 1890 », estime-t-elle.

Dans une brève note de service, le prince Majid ben Abdelaziz, gouverneur de la Mecque, est décrit comme « amical » et possédant des maisons en Autriche et en Suisse. Toutefois, il est indiqué qu’il « était autrefois réputé paresseux » et qu’il « est un gouverneur réticent, qui a laissé sa province partir à la dérive, par exemple sous le contrôle d’éléments islamistes ».

Selon Madawi al-Rasheed, si des documents similaires sur le roi actuel, Salmane ben Abdelaziz al-Saoud, et le prince héritier Mohammed ben Salmane, connu sous le nom de MBS, étaient communiqués, ils seraient probablement tout aussi cinglants, voire davantage.

« Si le briefing pour l’actuel Premier ministre britannique sur MBS était mis à disposition du public, il ne fait aucun doute que des termes tels que pas intelligent, erratique, perfide, arrogant et même criminel seraient utilisés pour le décrire », a-t-elle déclaré.

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

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