Mgr Henri Teissier : « Au Moyen-Orient, se joue l’avenir entre chrétiens et musulmans »
ALGER – Toute sa vie, Henri Teissier a tissé des liens avec le Maghreb et avec le Moyen-Orient. Arrivé avec sa famille au Maroc en 1946, il partira faire des études à l’Université du Caire puis dirigera Caritas (organisation catholique à but caritatif) de 1874 à 1987 pour la région MENA pendant la guerre du Liban.
Mais c’est en Algérie que le Français s’installera : évêque d’Oran de 1973 à 1981, puis archevêque d’Alger de 1988 à 2008, il présida aussi la Conférence épiscopale d’Afrique du Nord de 1983 à 2008. Aujourd’hui à la retraite, Henri Teissier vit toujours en Algérie et suit toujours avec autant d’intérêt l’actualité au Moyen-Orient et en Afrique du Nord.
À l’occasion de ce jour de Noël, Middle East Eye l’a rencontré pour évoquer la situation des chrétiens au Moyen-Orient et parler diplomatie.
Middle East Eye : Les attentats contre les Coptes en Égypte, les persécutions de l’EI contre les chrétiens d’Irak et de Syrie, mais aussi les attaques au Pakistan ou en Érythrée : encore une fois cette année, quel que soit le pays, les violences n’ont pas épargné les chrétiens…
Henri Teissier : La violence dans le monde est liée aux pays où elle s’exprime et n’est pas, au départ, une volonté de s’en prendre aux chrétiens.
En Syrie, la violence a été le résultat d’une tension entre l’État et des groupes qui voulaient créer une nouvelle réalité politique. En Irak, c’est l’expansion du groupe État islamique (EI) et l’effondrement de l’État minoritaire sunnite au profit des chiites qui a suscité une tendance extrémiste parmi les sunnites. Mais l’agression contre les chrétiens ne s’est développée qu’à partir du moment où l’EI a rassemblé ses opposants et en a fait un élément de sa radicalisation. Les chrétiens ont été attaqués au même titre que les partisans du régime d’Assad ou les chiites.
En Égypte, les extrémistes en veulent surtout à l’État. Et pour affaiblir l’État, ils s’en prennent aux chrétiens, aux Coptes, ou à une autre minorité. Cela me rappelle à bien des égards l’Algérie des années 1990 : les groupes armés avaient uniquement attaqué les chrétiens européens, mais pas ceux du Moyen-Orient ou d’Afrique subsaharienne qui, eux aussi, vivaient là.
En Algérie, cela a eu pour conséquence un resserrement des liens entre la communauté chrétienne et la population. Je crois qu’aujourd’hui, on doit pouvoir dire la même chose de la Syrie ou de l’Irak. Les populations ont conscience que les communautés chrétiennes dans leur région ont des droits historiques et sont une richesse pour leur pays.
MEE : Plus que jamais déchirée entre les musulmans et les juifs, Jérusalem est au cœur de l’actualité. Le pape François a appelé à la prudence, à la sagesse et au statu quo. Mais Jérusalem est aussi une ville sacrée pour les chrétiens. Comment regardez-vous ce qui s’y passe ?
HT : Toutes ces difficultés ne sont que la suite de ce qui s’est passé à partir de 1948 [naissance de l’État d’Israël]. Je veux dire par là que la reconnaissance de Jérusalem par Donald Trump comme capitale d’Israël n’est qu’une péripétie de plus dans le dépouillement des Palestiniens de leurs terres.
Que Jérusalem devienne le symbole de l’affrontement entre les trois religions est en contradiction absolue avec l’espérance qui a été donnée à tous ceux qui se veulent les fidèles de Dieu
Nous nous sentons évidemment très proches de nos frères palestiniens, chrétiens et musulmans – et pas uniquement parce qu’il s’agit de droits bafoués, mais aussi parce que Jérusalem est un symbole de la paix promise aux chrétiens, aux juifs et aux musulmans. Qu’elle devienne le symbole de l’affrontement entre les trois religions est en contradiction absolue avec l’espérance qui a été donnée à tous ceux qui se veulent les fidèles de Dieu.
MEE : En décembre, le roi Abdallah II de Jordanie a reçu le pape. Quelle lecture faut-il faire de la diplomatie du Vatican au Moyen-Orient ?
HT : Pour le pape, la diplomatie est un engagement de fidélité à son identité chrétienne de travailler à la paix. Le pape s’est aussi rendu en République centrafricaine, dans la zone musulmane de Bangui où depuis le début de la crise, n’était entré aucun non musulman.
Ce que le pape fait en Palestine, il le fait pour les raisons que j’ai évoquées auparavant [Jérusalem, promesse de paix et de justice] mais aussi parce que cette région évoque les souvenirs de Jésus, c’est là qu’est né le christianisme. C’est à Bethléem que le Christ est né, à Nazareth qu’il a grandi, au bord du lac de Tibériade qu’il a recruté ses apôtres et à Jérusalem qu’il a été crucifié.
Le pape François fait ce que Benoît XVI, qui a organisé le Synode des églises du Moyen-Orient [rencontre des églises catholiques du Moyen-Orient], Jean-Paul II ou encore Paul VI, qui fut le premier à visiter la Palestine depuis Saint-Pierre, ont fait avant lui.
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MEE : Face à ces guerres, cette escalade verbale entre puissances, et la folie qui s’empare de certains dirigeants, se pose la question de comment délivrer un message de paix, d’espoir et d’amour…
HT : Il faut faire la distinction entre les extrémistes qui prônent la violence et les populations qui vivent avec les minorités. Nous avons un profond respect pour les chrétiens qui restent en Irak et en Syrie malgré les menaces, mais la violence de quelques-uns ne doit pas nous pousser à partir. En Libye, à Tripoli, il y a toujours un évêque.
Si, lorsque le GIA nous a envoyé une lettre pour nous donner l’ordre de quitter le pays, nous étions partis, il n’y aurait plus de chrétiens en Algérie
Je reviens au contexte algérien des années 1990 : si, le 29 octobre 1993, lorsque le Groupe islamique armés (GIA) nous a envoyé une lettre pour nous donner l’ordre de quitter le pays avant le 1er décembre, nous étions partis, il n’y aurait plus de chrétiens en Algérie.
Nous espérons que nos frères chrétiens pourront traverser la crise dans leur pays, car c’est leur pays. Au Moyen-Orient, ils étaient là sept siècles avant les musulmans. Un chrétien libanais est libanais. Les Coptes sont les héritiers des Égyptiens. Il faut continuer à vivre ensemble car c’est l’avenir de la relation entre chrétiens et musulmans qui se joue au Moyen-Orient.
MEE : Autre dossier important cette année et sans doute aussi en 2018 : celui des migrants, au sujet desquels le pape a fait de nombreuses déclarations. Qu’est-ce que l’Église peut apporter face aux politiques sécuritaires européennes ?
HT : Comme d’habitude, le pape publiera le 1er janvier 2017 une lettre pour la paix. Cette année, elle comprend huit pages sur les migrants et les réfugiés, pour que leurs droits soient respectés. Mais je ne peux pas dévoiler le contenu de cette lettre avant qu’elle ne soit officiellement publiée.
MEE : En octobre, l’agence de presse officielle algérienne a annoncé que dix-neuf religieux catholiques assassinés en Algérie pendant les années 1990, dont les moines de Tibhirine, étaient en voie de béatification. Est-ce que vous pouvez nous en dire plus ?
HT : Pendant les années 1990 en Algérie, nous avons perdu 10% de prêtres, religieux et religieuses du diocèse d’Alger. Nous étions 190 et 19 ont été tués. S’ils sont béatifiés, ce n’est pas parce qu’ils ont été assassinés – il y a eu, je le rappelle, environ 200 000 morts – mais parce qu’ils sont restés dans les lieux où ils vivaient en fidélité à la population algérienne qu’ils servaient et qui savaient combien cette relation était précieuse.
La preuve, lorsque le GIA a voulu kidnapper les moines de Tibhirine, il a été obligé de demander à un groupe armé qui ne les connaissait pas, car le groupe le plus proche du monastère avait refusé de s’emparer d’eux.
Devant un enfant, le désir de paix est plus fort que devant un homme en armure
MEE : Le pape, qui a eu 81 ans le 17 décembre, a appelé les pèlerins à être « toujours joyeux même quand les événements ne vont pas dans le sens que l’on souhaite ». Et vous, quel serait votre message pour Noël ?
HT : On lie habituellement la fête de Noël à la paix, selon les Évangiles, au nom du chant qui a été entonné au-dessus du berceau du Christ : « Paix sur la Terre aux hommes que Dieu aime ». Nous célébrons la venue de Dieu parmi les hommes sous la forme d’un enfant accueilli par les bergers du voisinage. Car devant un enfant, le désir de paix est plus fort que devant un homme en armure.
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Mon souvenir le plus émouvant remonte à l’époque où j’étais évêque d’Alger, je devais alors faire le sermon de Noël à la radio algérienne. Bien sûr, j’étais surtout écouté par une majorité de musulmans qui m’en parlaient. Il faut se remettre dans le contexte des années 1990 : chaque semaine, il y avait des dizaines d’attentats. Cela n’empêchait pas les journalistes algériens, qui étaient menacés, de me faire venir et de ne pas céder à la violence alors même qu’il était facile de les atteindre.
Cette paix, il faut que l’on se la partage, car il n’y a aucun avenir si nous n’arrivons pas à établir de paix entre les nations.
Mon message pour Noël est donc un message de paix, pour ma famille mais aussi pour la famille humaine. J’espère qu’elle va multiplier les liens et découvrir que nous avons tous les mêmes origines. Les scientifiques sont aujourd’hui persuadés que l’Afrique est le berceau de l’humanité et que c’est du continent que les hommes sont partis vers les autres continents.
Je suis donc heureux de vous répondre sur ce continent africain, dans mon identité blanche, en sachant que mon ancêtre était noir.
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