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La libération des détenus du Ritz-Carlton ne suffira pas à redorer l’image de l’Arabie saoudite

Pour attirer les capitaux étrangers, Riyad doit projeter une image positive et communiquer sur les modalités d’investissement
Mohammed al-Amoudi, Amr Dabbagh et Hani Khoja, trois des plus anciens détenus du Ritz, ont été libérés fin janvier (AFP/Twitter/@layanzd/@amggebre)
Par Dania Akkad à WASHINGTON DC, États-Unis 

La libération de trois des plus anciens détenus saoudiens arrêtés au Ritz-Carlton de Riyad fin 2017 est un coup de publicité visant à redorer le blason du royaume auprès des investisseurs internationaux, selon des analystes.

Les investissements étrangers décisifs pour le royaume, et élément essentiel de l’ambitieux plan de réforme économique Vision 2030 mis en œuvre avec l’accession au pouvoir du prince héritier Mohammed ben Salmane, ont diminué au cours des dernières années.

« Je pense que ceux qui savent des choses sur l’Arabie saoudite regardent [l’affaire Khashoggi] et se disent que c’était stupide, mais que cela ne leur dit rien de nouveau »

– Kenneth Pollack, chercheur à l’American Enterprise Institute

Les arrestations très médiatisées effectuées au Ritz, le conflit diplomatique enflammé survenu entre le royaume et le Canada l’été dernier pour un tweet et, dernièrement, l’assassinat du journaliste Jamal Khashoggi par un escadron d’agents saoudiens le 2 octobre, n’ont guère aidé à remédier à cette situation.

Mais selon des analystes, les investisseurs à long terme seront beaucoup plus préoccupés par les menus détails des opportunités d’investissement que par les apparences, d’autant plus que les événements qui ont plombé la réputation de Riyad, même l’assassinat de Khashoggi, ne les ont probablement pas surpris.

« Je pense que ceux qui savent des choses sur l’Arabie saoudite regardent [l’affaire Khashoggi] et se disent que c’était stupide, mais que cela ne leur dit rien de nouveau », explique à Middle East Eye Kenneth Pollack, chercheur résident à l’American Enterprise Institute, un think tank américain.

Fin janvier, Amr Dabbagh, homme d’affaires et ancien responsable de l’Autorité générale saoudienne des investissements d’Arabie saoudite, et Hani Khoja, ancien consultant chez McKinsey, ont été libérés au bout de quatorze mois.

La libération de ces hommes, qui comptaient parmi les derniers des plus de 200 membres de la famille royale et hommes d’affaires à être relâchés, est survenue au moment même du lancement du Forum économique mondial à Davos, à laquelle une importante délégation saoudienne a participé.

Le Ritz-Carlton de Riyad, où plusieurs dizaines de prisonniers haut placés ont été détenus (AFP)

Une source saoudienne a déclaré l’an dernier à MEE que Dabbagh avait été torturé, tandis que le Wall Street Journalrapporté que Khoja avait été battu à plusieurs reprises au cours de sa détention.

Ensuite, Mohammed al-Amoudi, un magnat saoudo-éthiopien, a été libéré quelques heures avant que le royaume ne lance une offre pour attirer plus de 400 milliards de dollars afin de développer ses secteurs minier, logistique et manufacturier.

« La libération de trois hommes d’affaires peut rassurer les investisseurs étrangers, mais il reste beaucoup à faire pour modifier l’image de centre de détention géant qui colle à l’Arabie saoudite »

– Madawi al-Rasheed, analyste à la London School of Economics

Si le gouvernement saoudien soutient que les arrestations s’inscrivent dans le cadre de mesures de répression contre la corruption endémique dans le royaume, ses détracteurs accusent Mohammed ben Salmane d’avoir utilisé le prétexte des réformes pour consolider son pouvoir.

Les autorités saoudiennes n’ont pas expliqué publiquement pourquoi les hommes avaient été arrêtés ou libérés, tandis que ces derniers, qui ont été remis aujourd’hui à leur famille, n’ont fait aucune déclaration publique. Il est largement admis qu’un grand nombre des centaines d’autres Saoudiens arrêtés lors de la purge ont été relâchés une fois qu’ils ont accepté de restituer des actifs importants.

Mais la politique semble aussi avoir joué un rôle.

Plusieurs rivaux du prince héritier ont été emportés par la purge de 2017. Un ami d’un des hommes récemment libérés, s’exprimant sous couvert d’anonymat, a confié à MEE qu’ils avaient été sommés de supprimer leurs messages politiques critiques sur les réseaux sociaux une dizaine de jours avant leur libération.

Des détenus haut placés précédemment libérés auraient été placés sous la surveillance de gardes du corps, contraints de porter un bracelet à la cheville, et interdits de parler librement aux médias une fois libérés. De même, selon certains observateurs, ces libérations ne devraient guère contribuer à dissiper les inquiétudes concernant le bilan récent du royaume en matière de droits de l’homme.

« Depuis le 2 octobre, l’Arabie saoudite a très mauvaise presse, avec l’assassinat de Khashoggi, puis l’arrestation de féministes et les informations relayées au sujet d’actes de torture à leur encontre », relève Madawi al-Rasheed, professeure et analyste saoudienne à la London School of Economics.

« Pour disperser les mauvaises nouvelles, Mohammed ben Salmane doit projeter une image positive. La libération de trois hommes d’affaires peut rassurer les investisseurs étrangers, mais il reste beaucoup à faire pour modifier l’image de centre de détention géant qui colle à l’Arabie saoudite. »

Sarah Leah Whitson, directrice de Human Rights Watch pour le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord, a accusé la semaine dernière le Forum économique mondial d’aider les Saoudiens à « normaliser un état très anormal et condamnable des affaires d’État ».

James Gorman, PDG de Morgan Stanley (AFP)

Mais d’autres, comme James Gorman, PDG de Morgan Stanley, qui a laissé entendre à Davos. que les détentions au Ritz constituaient l’un des moyens les plus créatifs et les plus efficaces de lutter contre la corruption, ne considèrent pas nécessairement la purge comme un problème.

Entre-temps, un grand nombre de ceux qui nourrissaient des appréhensions à l’idée d’investir dans le royaume pourraient bien être prêts à poursuivre les affaires avec Riyad – si tant est que cet intérêt ait réellement disparu.

En octobre dernier, de nombreux hauts dirigeants ont annoncé en grande pompe leur refus de participer à une conférence d’investissement majeure à Riyad suite à l’assassinat de Khashoggi.

Et bien qu’elles aient certainement été un mauvais signe pour le gouvernement saoudien, ces absences ne signalent pas nécessairement une perte de confiance vis-à-vis du potentiel économique du royaume, note Rachel Ziemba, analyste spécialiste des marchés émergents et chercheuse associée au Center for New American Security.

Au contraire, il se peut qu’il ait été plus facile de renoncer à la conférence que de vendre des actifs en portefeuille ou d’annuler des investissements, explique-t-elle.

De plus, ajoute-t-elle, au-delà des machinations en matière de relations publiques, personne ne sait si les arrestations du Ritz ou l’affaire Khashoggi sont spécifiquement responsables du déclin des investissements étrangers survenu au cours de l’année écoulée.

En réalité, le royaume éprouvait des difficultés à attirer les investissements étrangers bien longtemps avant de dévoiler son programme économique Vision 2030 et l’hésitation des investisseurs à s’engager auprès des Saoudiens pourrait davantage refléter le fait que les investisseurs attendent encore plus de détails, en dépit des appels d’offres tape-à-l’œil et des initiatives clinquantes.

« Au-delà des risques politiques, des questions se sont posées sur la nature de ces termes. Il y a donc eu des investissements, mais pas beaucoup », remarque Rachel Ziemba.

« Je suis ravie que les détenus sortent, mais il est aussi question de ce que le gouvernement fait avec tous les actifs qu’il a pu saisir »

– Rachel Ziemba, chercheuse associée au Center for New American Security

La question pour ceux qui conseillent les investisseurs au sujet des détenus, selon elle, portera moins sur des préoccupations en matière de réputation que sur les manœuvres réelles du gouvernement.

« Je suis ravie que les détenus sortent, mais il est aussi question de ce que le gouvernement fait avec tous les actifs qu’il a pu saisir ou qui pourraient être aujourd’hui des actifs du gouvernement », souligne Rachel Ziemba.

« Comment cela sera-t-il géré ? Quel a été l’impact sur les richesses privées ou individuelles en Arabie saoudite ? Et quels sont les détails et les ajustements à venir ? »

Discutant avec des Saoudiens, Kenneth Pollack écarte l’idée d’une sortie effrénée de l’argent des entreprises, soulignant plutôt le fait que Riyad avait anticipé des investissements plus importants compte tenu des réformes juridiques qu’ils avaient apportées sur la base des retours des investisseurs.

Quoi qu’il en soit, ajoute-t-il, il convient de tempérer les attentes quant au fait que cette dernière initiative en date serait la première d’une longue série de concessions sous forme de coups de pub de la part des Saoudiens.

Certains acteurs à Washington ont exprimé leur frustration et leur désillusion face aux récents faux pas des Saoudiens. Selon Kenneth Pollack, une grande partie des tentatives de réhabilitation via les relations publiques visent directement les États-Unis.

Le ministre saoudien de l’Énergie Khaled al-Faleh au sommet de l’OPEP à Vienne, en décembre (AFP)

Cela devrait toutefois changer, selon lui, suite au tweet du président Donald Trump qui annonçait fin décembre le retrait des troupes américaines de Syrie. Ce tweet a rendu « furieux » les Saoudiens qui, dans leur tête, ont vu Trump céder la Syrie à l’Iran et trahir un lien assimilé depuis longtemps qui scellait la relation, précise le chercheur.

Le mécontentement était alimenté par le fait qu’ils avaient maintenu les prix du pétrole à un niveau faible à la demande de Trump lors du sommet de l’OPEP qui avait eu lieu plus tôt dans le mois.

« La contrepartie telle qu’ils l’avaient comprise était la suivante : “Nous allons maintenir le prix du pétrole à un niveau faible, mais nous avons besoin de votre aide à propos de l’Iran”, » explique Kenneth Pollack. Ils se sont un peu calmés, mais la visite [du secrétaire d’État américain Mike] Pompeo n’a pas vraiment changé leur point de vue. »

Désormais, les Saoudiens ont de plus en plus le sentiment qu’ils ne peuvent pas compter sur Trump et prendront probablement des mesures, comme l’annonce faite le mois dernier d’une nouvelle réduction de la production de pétrole pour signaler leur mécontentement.

« [La libération des détenus] était un coup de publicité, mais je pense qu’ils ont le sentiment que les relations publiques ne sont plus aussi nécessaires qu’avant le tweet de Trump sur la Syrie », conclut-il.

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

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