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Des tribus rivales s’unissent alors qu’une nouvelle guerre civile se profile dans le sud de la Libye

Les Toubous et les Touaregs, en conflit depuis quatre ans, mettent de côté leurs désaccords pour empêcher la progression de Khalifa Haftar
Combattant touareg sur une ligne de front d’Oubari, en 2015 (MEE/Tom Wescott)

Les Toubous et les Touaregs, tribus autochtones en discorde depuis 2014, forment actuellement une alliance sous l’égide du Gouvernement d’union nationale (GNA) soutenu par l’ONU pour défendre le sud de la Libye contre les avancées militaires des forces fidèles au gouvernement de l’est du pays. 

La vaste région du Fezzan, dans le sud de la Libye, échappe à tout contrôle gouvernemental significatif depuis 2011.

Désormais, l’Armée nationale libyenne (ANL), dirigée par le maréchal Khalifa Haftar, se déploie dans le centre-sud du pays pour consolider le pouvoir et l’amplitude du gouvernement de l’est de la Libye, basé à Tobrouk.

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L’ANL a alimenté une recrudescence des tensions la semaine dernière en revendiquant le contrôle du gisement pétrolier d’Al Sharara. Des sources sur le terrain précisent à Middle East Eye que malgré la communication faite autour de cette progression, les forces de l’ANL n’ont atteint que la périphérie de la vaste installation et ont été repoussées par la 30e brigade touarègue qui contrôle Al Sharara depuis mi-2017. 

Les avancées enregistrées par les forces de l’ANL de Tobrouk ont incité Fayez el-Sarraj, Premier ministre du GNA basé à Tripoli, à nommer Ali Kanna, commandant touarègue de l’époque kadhafiste, au poste de nouveau commandant militaire du Sud.

Mohamed Ibrahim, membre éminent de la communauté touboue à Mourzouk, dans le Fezzan, précise à MEE que le rôle de Kanna serait notamment d’unir et de mobiliser conjointement les milices indépendantes touboues et touarègues existantes contre l’ANL. 

Les milices touboues et touarègues locales se sont indépendamment emparées de vastes zones du sud, dont des installations pétrolières et de longs tronçons frontaliers, depuis le soulèvement de 2011, en réponse à la négligence quasi totale des gouvernements libyens défaillants et rivaux qui se sont succédé. 

Des ennemis tribaux devenus amis tribaux 

Les tensions entre les puissantes tribus du sud de la Libye ont été longtemps dissipées par les 42 ans de règne de Mouammar Kadhafi, qui collaborait beaucoup avec les chefs tribaux mais marginalisait systématiquement les Toubous. Elles sont cependant en plein essor depuis 2011. 

Les événements récents, qui menacent de faire sombrer dans la violence l’équilibre délicat préservé dans le sud par les tribus locales, ont à la fois apaisé et ravivé les revendications tribales antérieures.

Les tribus indigènes touboues et touarègues sont ennemies depuis 2014, année où les tensions qui ont suivi les événements de 2011 ont dégénéré en guerre civile dans la ville méridionale d’Oubari et rompu ainsi l’accord de paix conclu un siècle plus tôt entre les deux tribus sahariennes.

Le gisement pétrolier d’Al Sharara, que se disputent des forces fidèles à des gouvernements libyens rivaux (MEE/Tom Wescott)

Pendant le conflit à Oubari, les Touaregs étaient soutenus par un gouvernement désormais obsolète basé à Tripoli, alors que les Toubous recevaient un soutien modeste du gouvernement de Tobrouk.

Les tensions ont persisté après la négociation d’un accord de paix fragile fin 2015, mais les récentes avancées des forces de l’ANL ont poussé les deux tribus à mettre de côté leurs vieux différends.

« Les Toubous ont pleinement soutenu la nomination d’Ali Kanna par le GNA », relève Ibrahim. « Bien que certaines milices touarègues, notamment la 173e brigade, restent fidèles à Haftar, toutes les forces touarègues étaient subordonnées à Kanna avant 2011 et il peut pleinement regagner leur loyauté. »

Ahmed Allal, commandant touareg de la 30e brigade, qui contrôle le gisement pétrolier d’Al Sharara, est déjà allié à Kanna. Selon Ibrahim, la plupart des milices touboues et touarègues mettent actuellement de côté leurs récents différends, s’engagent à soutenir le GNA de Tripoli et s’unissent contre les forces de l’ANL de Tobrouk.

Lorsqu’un avion censé transporter Kanna a atterri samedi près du gisement pétrolier méridional d’Al Feel, la piste d’atterrissage a été visée par une frappe aérienne « d’avertissement » lancée par des avions de combat de l’ANL, selon Fezzan Libya, un compte présent sur les réseaux sociaux basé dans le sud du pays. Selon ce compte, Kanna aurait eu des entretiens avec les forces touboues qui contrôlent Al Feel avant de se rendre à Al Sharara, sous contrôle touarègue.

L’ancienne alliance entre les Toubous et le gouvernement de Tobrouk a vacillé en 2016 à la suite d’allégations de favoritisme à l’égard des milices arabes par rapport aux milices non arabes, qui ont désabusé de nombreux Toubous.

Tous les vestiges de bons sentiments se sont envolés lorsque Haftar a formé une alliance avec un autre ennemi de longue date des Toubous, la tribu arabe des Oulad Souleymane, dans la ville méridionale majeure de Sebha, compromettant ainsi le traité de paix signé en mars 2017 à Rome entre les chefs tribaux des Oulad Souleymane et des Toubous.

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La nouvelle alliance conclue par Haftar avec les Oulad Souleymane lui a permis de prendre le contrôle de Sebha fin janvier et d’assurer ainsi un point d’ancrage majeur au gouvernement de Tobrouk dans le sud de la Libye.

En accentuant la pression vers le sud en direction de la ville de Mourzouq, les forces de l’ANL ont affronté les forces touboues dans l’oasis de Ghodwa, à une soixantaine de kilomètres au sud de Sebha, des affrontements qui ont causé des pertes dans les deux camps, selon une source touboue présente dans la région. 

En signe de protestation contre l’escalade de la violence dans le sud et l’avancée dans le territoire traditionnellement contrôlé par les Toubous, plusieurs membres toubous du Parlement et du gouvernement de Tobrouk ont démissionné.

Le GNA manque depuis longtemps d’une emprise quantifiable au-delà de Tripoli, située sur l’ouest du littoral, alors que sa capacité militaire – fortement tributaire de milices souvent rivales – est discutable. Une alliance entre milices touboues et touarègues sous son giron serait le seul moyen de freiner les avancées de l’ANL dans le sud.

Combattant touarègue sur un massif surplombant Oubari, en 2015 (MEE/Tom Wescott)

« À eux seuls, les Toubous sont faibles sur le plan militaire, tout comme les Touaregs, mais unis, ils ont suffisamment de force pour défendre leurs régions », affirme Ahmed, ingénieur à Al Sharara. « Kanna ne dispose pas de ses propres forces mais s’il est à la tête d’une force conjointe formée par les Toubous et les Touaregs, sa puissance militaire sera considérable. »

À l’heure actuelle, les Touaregs et les Toubous exercent conjointement un contrôle total sur la ville stratégique d’Oubari, leur ancien champ de bataille, située à 60 km du gisement pétrolier d’Al  Sharara.

« Il serait presque impossible pour l’ANL de contrôler Al Sharara sans contrôler également Oubari », souligne Ibrahim. Les forces de l’ANL dirigées par Haftar occupent actuellement des positions militaires à une quarantaine de kilomètres d’Oubari.

Allégeances confuses et fluides

Les batailles pour le contrôle des installations pétrolières et des aéroports libyens de premier plan ainsi que des villes et des villages ont défini le chaos qui a envahi le pays après 2011, marqué par les rivalités pour le pouvoir entre des forces rivales, avec des allégeances souvent confuses et fluides à différents gouvernements.

La localisation d’Al Sharara, gisement reculé et désertique, l’a largement préservé de la guerre, mais celui-ci a changé de mains à plusieurs reprises.

Al Sharara est également en situation de blocage depuis début décembre. Des manifestants locaux sont entrés dans l’installation pour protester contre la négligence générale dont pâtit le sud de la Libye et réclamer des fonds issus des revenus de la Compagnie pétrolière nationale libyenne (NOC) afin de soutenir des projets de développement local.

« Nous ne travaillons plus depuis début décembre parce que les Touaregs ont exigé de l’argent au NOC, mais le président de la société [Mustafa Sanalla] a déclaré qu’il s’agissait de milices criminelles qui utilisaient illégalement Al Sharara comme base », précise Ahmed.

« Sanalla a mis Al Sharara à l’arrêt et nous sommes tous rentrés chez nous. Il ne reste que le personnel de base permettant d’assurer le bon fonctionnement de l’infrastructure pétrolière. »

Forces de sécurité d’Al Sharara en patrouille, en 2015 (MEE/Tom Wescott)

Mustafa Sanalla, qui assume depuis plusieurs années la tâche peu enviable d’essayer de faire fonctionner les installations pétrolières pour qu’elles continuent de puiser dans les vastes réserves d’hydrocarbures de la Libye alors que des conflits civils complexes ravagent le pays, a exhorté toutes les parties à faire preuve de retenue militaire à Al Sharara.

« La sécurité des travailleurs demeure notre principale préoccupation. Nous exhortons toutes les parties à éviter les conflits et la politisation des infrastructures clés », a-t-il déclaré dans un communiqué vendredi dernier. « Tout dégât causé au gisement pourrait avoir de graves conséquences pour le secteur, l’environnement et l’économie nationale. De toute évidence, les opérations normales ne peuvent pas reprendre tant que la sécurité ne sera pas rétablie. »

Présence présumée de forces étrangères

Les accusations et contre-accusations fusent également au sujet de la présence présumée de milices en venues de pays voisins, en l’occurrence du Soudan, du Tchad et du Niger.

Les Toubous soutiennent que Haftar a fait venir des milices de mercenaires du Soudan, notamment parce que les troupes provenant du littoral libyen ont parfois du mal à combattre dans des zones désertiques.

Les Toubous et les Touaregs sont depuis longtemps accusés – et se sont accusés mutuellement auparavant – d’avoir fait venir en Libye des parents éloignés et des camarades tribaux venus du Tchad et du Niger pour renforcer leurs forces militaires.

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Les termes de « terroristes » ou de « mercenaires » sont fréquemment employés par toutes les parties pour tenter de compromettre la légitimité nationale de l’opposition tout en décrétant la leur.

L’absence de tout contrôle cohérent aux frontières depuis 2011 a facilité non seulement les opérations de contrebande non contrôlées, notamment un trafic prolifique de migrants subsahariens, mais également une circulation fluide d’individus et de milices.    

Les affrontements dans le sud ont également remis en lumière l’engagement controversé de la France en Libye.

Les tribus indigènes du sud de la Libye accusent depuis longtemps la France de nourrir des intérêts particuliers dans la vaste région riche en pétrole du Fezzan et désormais de soutenir Haftar pour tenter d’assurer sa présence future dans la région.

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

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