L’histoire de Mostafa : comment une Égyptienne a finalement eu son petit garçon
« Maman, raconte-moi l’histoire », demande Mostafa à sa mère, tandis qu’elle le borde dans son lit.
Comme tous les soirs, Rasha Mekky commence alors à raconter à son fils de 5 ans comment elle l’a rencontré dans un orphelinat du quartier de Maadi au Caire, alors qu’il n’avait que quatre jours.
Mais leur histoire commence bien avant l’arrivée de Mostafa dans sa vie, avant les orphelinats ou la fécondation in vitro (FIV) – avant même que Rasha n’ait rencontré son conjoint.
« J’ai toujours rêvé d’avoir dix enfants », confie Rasha. « Toute ma vie, j’ai aimé les bébés et les enfants. Mes amies ont toujours pensé que je serais la première à me marier et à avoir des tas d’enfants. J’étais la cousine la plus âgée dans ma famille des deux côtés, maternel comme paternel. Et j’ai toujours pris soin des plus jeunes que moi. »
Rasha a fini par être l’une des premières à se marier parmi ses amies, en 1993, alors qu’elle était au début de la vingtaine – mais elle ne fut pas la première à avoir des enfants.
« Tout ce que je faisais, c’était subir fécondation in vitro après fécondation in vitro… je voulais tellement avoir un bébé »
- Rasha Mekky
Avec son mari de l’époque, Rasha a déménagé du Caire à San Francisco, où elle a décidé de changer de carrière, quittant le tourisme et la gestion hôtelière pour travailler auprès des enfants. Trois ans plus tard, elle a ouvert une garderie pour les tout-petits et les enfants d’âge préscolaire.
C’est à cette époque que Rasha, alors âgée de 25 ans, a découvert qu’elle souffrait d’endométriose – une maladie chronique où des tissus semblables à ceux qui tapissent l’utérus commencent à se développer ailleurs, comme dans les trompes de Fallope ou les ovaires. Ses médecins lui ont expliqué que ses chances de concevoir un enfant étaient très minces.
Rasha et son mari ont donc plongé dans le monde des FIV. Les coûts physique, financier et émotionnel allaient s’avérer épuisants.
« Tout ce que je faisais, c’était subir fécondation in vitro après fécondation in vitro », raconte Rasha. « Dépensant un tas d’argent, empruntant de l’argent à mes parents, demandant des prêts, quoi qu’il m’en coûte. Je voulais tellement avoir un bébé. »
Après sept ans et cinq tentatives de traitement de l’infertilité, les résultats étaient toujours les mêmes. Après la rupture de son mariage, Rasha est retournée en Égypte, en 2004.
Prise en charge alternative
Aux États-Unis, un certain nombre d’options alternatives pour avoir un enfant, comme le don de sperme, avaient été présentées à Rasha. Mais aucune n’était acceptable en vertu de la loi islamique.
« Le terme “adoption” n’est jamais utilisé dans les pays arabes musulmans car c’est interdit dans l’islam », explique Nabila el-Gabalawi, du programme familial Face for Children in Need, une organisation belge à but non lucratif qui opère en Égypte depuis 2003.
À la place, l’Égypte, comme plusieurs autres pays arabes, utilise un système de prise en charge alternative pour les enfants abandonnés, appelé en arabe « kafala ».
La kafala est semblable à la famille d’accueil de longue durée ou à la tutelle, où les enfants abandonnés ne sont pas légalement adoptés, mais sont élevés au sein d’une famille.
Contrairement à l’adoption, on s’attend à ce que les parents disent à l’enfant accueilli en vertu de la kafala qu’ils ne sont pas leurs enfants biologiques. On s’attend également à ce que l’enfant conserve son nom de naissance, s’il est connu, afin de maintenir des lignées claires en ce qui concerne le patrimoine et l’héritage.
Cela s’applique dans la plupart des pays dont le système judiciaire est basé partiellement ou totalement sur la loi islamique. Il existe quelques exceptions comme la Tunisie, où l’adoption formelle est légalement autorisée.
« La prise en charge des orphelins est un devoir qui est souligné dans le Coran et la sunna [pratique religieusement prescrite] », explique Nabila el-Gabalawy. « Il existe en fait plusieurs fatwas qui encouragent les familles à s’occuper d’un enfant par le biais du système de kafala. »
Une telle fatwa émise par l’institut religieux égyptien Dar al-Ifta encourage les femmes célibataires à parrainer un enfant par le biais du système de prise en charge alternative, ou kafala.
En 2014, une commission a été formée par le ministère de la Solidarité sociale pour aider à rationaliser le processus et à encourager la sensibilisation, y compris par une campagne vidéo. La réglementation égyptienne a été mise à jour ces dernières années pour élargir le groupe de candidats possibles, incluant désormais les femmes célibataires et veuves de plus de 30 ans.
La découverte de Mostafa
Rasha Mekky a rencontré son second mari, Mohamad Eleraky, en 2012. Il avait deux filles d’un précédent mariage, âgées de 7 et 11 ans à l’époque, et c’est son soutien qui a ranimé la quête d’un enfant chez Rasha.
« Il savait à quel point je tiens aux enfants, que j’aime tellement les enfants », rapporte-t-elle. « Et tout de suite, il a commencé à se renseigner avec moi, nous avons commencé à creuser où et comment nous pourrions adopter. »
Mais le processus n’a pas été simple. Il faudra au couple une année complète pour recueillir tous les renseignements et les documents nécessaires pour leur demande avant qu’elle ne soit approuvée. Et quand ils ont finalement reçu la bonne nouvelle, ils ont d’abord choisi de garder le secret.
Rasha a commencé à se remettre en question : « Est-ce que je fais la bonne chose ? Est-ce que je vais avoir un enfant à cet âge ? Quand aurai-je le temps d’élever cet enfant ? Aurai-je l’énergie pour jouer avec cet enfant ? »
« J’avais 44 ans à l’époque, et c’est tellement difficile à cet âge, à plus de 40 ans. Votre vie est déjà établie », confie Rasha.
Mais armée de l’approbation pour la kafala, Rasha pouvait maintenant visiter des orphelinats à la recherche d’un enfant.
Elle avait toujours rêvé d’avoir une petite fille : au fil du temps, elle avait réuni des valises pleines de vêtements pour bébés de sexe féminin, ainsi qu’une pompe d’allaitement vieille de quinze ans aujourd’hui dysfonctionnelle qu’elle avait achetée lorsqu’elle suivait ses traitements contre l’infertilité.
Quand elle appelait les orphelinats à travers le Caire, elle leur posait toujours la même question : avaient-ils une petite fille ? S’ils disaient non, elle raccrochait.
Un jour, Rasha a visité un orphelinat près de chez elle dans le quartier de Maadi, mais n’a été attirée par aucun des bébés qu’elle a vus. « Je pensais que c’était comme un film », dit-elle. « Une fois que vous voyez votre enfant, vous avez un déclic et quelque chose va se passer comme par magie. Mais ce n’est pas arrivé.
« J’ai été un peu déprimée pendant quelques semaines et puis je me suis décidée. Vous savez quoi ? Ok, ce n’est pas un film. Je vais juste aller chercher un enfant. »
« Je ne voulais pas d’un garçon… Mais j’ai vu ses yeux… c’était un nourrisson, de quatre jours, il me regardait. Je l’ai sorti du berceau et je n’ai pas pu le lâcher pendant cinq heures d’affilée »
- Rasha Mekky
Rasha était à l’affût d’une petite fille à la peau hâlée, ou du moins aux cheveux foncés, de sorte qu’elle ressemblerait à ses futurs parents.
Puis, lors d’une de ses visites à l’orphelinat, elle a entendu le personnel parler de deux enfants qui venaient d’être abandonnés et qui devaient arriver à l’orphelinat le lendemain après un examen à l’hôpital – un garçon et une fille.
Pleine d’espoir, Rasha s’est précipitée pour voir la petite fille le lendemain matin : « Et devinez quoi ? », demande-t-elle. « Blonde. Blonde, blonde, les cheveux presque blancs. Yeux très, très clairs et bleus. »
Puis son regard s’est porté sur le bébé juste à côté.
« Alors j’ai regardé le berceau qui jouxtait celui de la petite fille et… M. Mostafa était là. Je ne voulais pas d’un garçon… Mais j’ai vu ses yeux… c’était un nourrisson, de quatre jours, il me regardait. Je l’ai sorti du berceau et je n’ai pas pu le lâcher pendant cinq heures d’affilée. »
Pendant ces cinq heures, Rasha a nourri Mostafa, a changé ses couches et l’a tenu étroitement, craignant qu’une autre famille vienne le choisir avant qu’elle n’ait eu la chance de présenter sa demande.
Dès que sa demande a été traitée, Rasha a pris rendez-vous avec un gynécologue pour commencer le médicament qui déclencherait la lactation, car elle voulait être en mesure de l’allaiter.
Six semaines plus tard, en janvier 2015, Rasha et Mohamad se tenaient dans une pièce avec trois autres couples dont les dossiers étaient également finalisés, attendant qu’on leur remette leur nouvel enfant.
« C’était tout à fait normal », raconte Rasha. « C’était mon fils. »
Ramener le bébé à la maison
De retour à la maison, les choses ne se sont pas déroulées aussi bien que Rasha s’y attendait.
« Lorsque vous êtes enceinte pendant neuf mois, votre corps et votre esprit vous préparent à l’arrivée d’un bébé », dit-elle.
« Mais nous sommes allés le chercher et sommes rentrés avec un bébé, qui se réveille toutes les trois heures, veut être nourri toutes les trois heures, pleure à chaque fois, des biberons partout, des vêtements et des vêtements de bébé, partout. »
Le changement soudain a sévèrement affecté l’humeur de Rasha et engendré chez elle des insomnies. Mais après qu’on lui a diagnostiqué une dépression post-adoption et prescrit les médicaments qui soulageraient les symptômes, elle était prête à célébrer son arrivée.
Cette fois, elle a diffusé la nouvelle, invitant tous ses amis et sa famille à un grand rassemblement traditionnel d’aqiqah, habituellement organisé pour marquer la naissance d’un nouveau bébé.
En avril 2015, Rasha et son mari ont décidé de s’installer à San Francisco pour le travail, emmenant Mostafa avec un visa de touriste dans un premier temps jusqu’à ce qu’ils puissent demander sa résidence permanente aux États-Unis.
Rasha s’est retrouvée ensevelie dans la paperasse une fois de plus quand elle a découvert qu’elle aurait à « réadopter » Mostafa conformément aux lois de l’État de Californie, avant de faire une demande aux services d’immigration : « J’ai commencé à essayer de déposer un dossier et ils ont dit que je devais avoir un avocat et faire un examen à domicile. Il fallait tout refaire de zéro. »
Le processus a été interminable. En janvier 2019, la demande d’immigration de Mostafa a finalement été déposée par ses avocats aux États-Unis.
Mais la famille allait recevoir un autre choc : Rasha et Mostafa, alors âgé de 4 ans et scolarisé en Californie, avaient 90 jours pour quitter le pays en attendant l’examen de leur dossier.
Ils sont rentrés en Égypte, sans savoir quand – et si – ils seraient de retour.
Aider les autres
Resté en Californie, Mohamad Eleraky a dû prendre son mal en patience pendant que sa femme et son fils étaient absents indéfiniment.
« Je dormais deux heures et je me remettais à répondre aux questions, toujours plus nombreuses, et à parler aux gens »
- Rasha Mekky
Entre-temps, au Caire, Rasha avait déjà commencé à encourager d’autres Égyptiennes aux prises avec la FIV à envisager à la place la kafala.
Elle a finalement créé une page Facebook où les gens pouvaient la contacter directement et où elle pouvait poster des informations sur son histoire et d’autres comme la sienne.
Un matin, elle a constaté qu’un de ses messages avait été partagé 2 500 fois et que son téléphone était « en feu ». En l’espace d’une semaine, le message avait été partagé 4 500 fois.
« Je continuais à répondre aux femmes et aux familles jusqu’à 2-3 heures du matin », raconte-t-elle. « Je dormais deux heures et je me remettais à répondre aux questions, toujours plus nombreuses, et à parler aux gens. »
Rasha a été inondée de questions par des Égyptiennes qui lui envoyaient également des prières virtuelles : « Ma boîte de réception était saturée… C’était tout simplement du non-stop. »
En l’espace de seulement deux semaines, l’attente a pris fin : Mostafa a reçu son autorisation d’immigration et ils ont pu retourner aux États-Unis.
Aujourd’hui, Rasha est plus motivée que jamais à partager son histoire avec le monde entier, diffusant notamment un guide en anglais sur les critères requis pour la kafala.
Traduction : « Voici la demande de kafala/adoption en Égypte et les documents requis. »
Ses messages sont souvent en anglais et en arabe, pour encourager les Égyptiens vivant à l’étranger à accueillir un enfant égyptien.
Avec un nombre croissant de bénévoles, elle a mis en place un site et des comptes sur les réseaux sociaux visant à aider d’autres Égyptiens envisageant des options de prise en charge alternative et à présenter d’autres réussites.
Par le biais de ses rencontres avec d’autres personnes ayant rencontré des difficultés similaires en Égypte et aux États-Unis ainsi que des organisations caritatives comme Face for Children in Need et Wedad Charity Foundation, Rasha Mekky a commencé à créer un groupe de soutien pour les familles ayant opté pour la kafala afin de partager leurs propres expériences et combattre la stigmatisation à laquelle elles pourraient être confrontées.
L’un des projets du groupe est de traduire en dialecte égyptien des livres d’images en anglais qui apprennent aux enfants ce qu’est l’adoption. Ils les publient sous forme de vidéos doublées dans d’autres langues.
Leur première vidéo est une traduction d’Une maman pour Choco, livre de Keiko Kasza. Dans l’histoire, Choco, un oiseau jaune à bec bleu solitaire, erre à la recherche d’une mère, mais ne trouve aucune autre créature qui lui ressemble.
Finalement, il rencontre par hasard Madame Ourse, qui l’accueille dans sa maison comme son fils. Lorsque Choco rencontre ses autres enfants – un hippopotame, un alligator et un cochon –, il trouve ce qu’il lui manquait. Les enfants se blottissent tous sur les genoux de leur mère, le visage rayonnant. Choco est heureux que « sa nouvelle maman soit comme elle est ».
L’histoire de Mostafa
Aujourd’hui âgé de 5 ans, Mostafa commence à demander à sa mère s’ils peuvent « aller chercher un bébé dans l’endroit où vous avez dit qu’il y a des bébés qui n’ont pas de mamans et de papas ».
« Il n’est pas triste. Il le voit comme quelque chose d’heureux », observe Rasha.
Depuis le début de leur aventure, elle a insisté sur le droit de Mostafa de connaître ses origines, dès la première fois qu’il l’a demandé.
Quand un jour, Mostafa, alors âgé d’environ 3 ans, est rentré de l’école en disant : « Je sais que les bébés viennent du ventre des mamans », Rasha savait qu’il était prêt à apprendre la vérité. « Je lui ai dit qu’il venait de mon cœur. »
Et c’est alors que « l’histoire de Mostafa » est née, s’ajoutant à sa routine du coucher. À mesure que Mostafa grandit, il en va de même pour l’histoire : « Maintenant, elle implique plus de personnages qu’il connaît, comme mes amis », indique Rasha. « Et il peut vous raconter toute l’histoire. »
Il est clair que Rasha tire autant de joie que Mostafa à raconter cette histoire. Elle lui raconte à quel point elle voulait un bébé, même quand son médecin lui a dit qu’elle ne pouvait pas en avoir. « Maman est allée voir cet endroit dont un de ses amis lui avait parlé, où il y avait beaucoup de bébés qui n’ont pas de maman ou de papa.
« Alors j’y suis allée et j’ai cherché, cherché et cherché et – oh ! J’ai trouvé » – elle marque une pause pour l’effet, avant d’entonner la réponse heureuse de son fils – « Mostafa ! »
Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.
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