11 septembre : le FBI révèle accidentellement le nom d’un responsable saoudien soupçonné d’avoir dirigé le soutien aux pirates de l’air
C’est une révélation fracassante. Le FBI a dévoilé par inadvertance l’un des secrets les plus délicats du gouvernement américain à propos des attaques du 11 septembre 2001 : l’identité d’un mystérieux responsable de l’ambassade saoudienne à Washington, soupçonné par des agents d’avoir apporté un soutien crucial à deux des pirates de l’air d’al-Qaïda.
L’information est révélée par Yahoo News qui explique que la divulgation est intervenue lors d’une nouvelle déclaration déposée devant un tribunal fédéral par un haut responsable du FBI, dans le cadre d’un procès intenté par des familles des victimes du 11 septembre qui accusent le gouvernement saoudien de complicité dans les attaques terroristes.
« La déclaration a été déposée le mois dernier mais descellée en fin de semaine dernière. Selon un porte-parole des familles des victimes du 11 septembre, cela représente une percée majeure dans cette affaire. Cette déclaration fournit pour la première fois une confirmation apparente des soupçons nourris par les agents du FBI enquêtant sur les attaques, selon lesquels il existait un lien entre les pirates de l’air et l’ambassade d’Arabie saoudite à Washington », explique le journaliste de Yahoo News Michael Isikoff.
« Dissimulation de l’implication saoudienne »
Cette information « met également en lumière les efforts extraordinaires déployés par les hauts responsables de l’administration Trump ces derniers mois pour empêcher que des documents internes sur la question ne deviennent publics », souligne la même source.
« Cela montre qu’il y a une dissimulation complète par le gouvernement de l’implication saoudienne », a déclaré Brett Eagleson, porte-parole des familles des victimes du 11 septembre dont le père a été tué lors des attaques. « Cela montre qu’il y avait une hiérarchie de commandement qui allait de l’ambassade saoudienne au ministère des Affaires islamiques [à Los Angeles] puis aux pirates de l’air. »
Après avoir été contactés par Yahoo News lundi, les responsables du ministère américain de la Justice ont informé le tribunal et retiré la déclaration du FBI du dossier public. « Le document a été incorrectement déposé », lit-on maintenant dans le dossier.
Le gouvernement saoudien a toujours nié tout lien avec les pirates de l’air du 11 septembre
Le gouvernement saoudien a toujours nié tout lien avec les pirates de l’air du 11 septembre, déclarant au New York Times et à ProPublica en janvier : « L’Arabie saoudite est et a toujours été un allié proche des États-Unis dans la lutte contre le terrorisme. »
« Ironiquement, la déclaration identifiant le fonctionnaire saoudien en question était destinée à appuyer les récentes déclarations du procureur général, William Barr, et du directeur des renseignements nationaux par intérim, Richard Grenell, interdisant la divulgation publique du nom du fonctionnaire saoudien et de tous les documents connexes, concluant qu’il s’agit de ‘’secrets d’État’’ ».
S’ils venaient à être divulgués, avaient-ils souligné, ils pourraient causer « un préjudice important à la sécurité nationale », rapporte Yahoo News.
La déclaration a été déposée par Jill Sanborn, directrice adjointe de la division antiterroriste du FBI.
Un rapport du FBI partiellement déclassifié
Sa déclaration étaye certaines des affirmations que Barr et Grenell ont utilisées dans leurs documents. Ils ont notamment fait valoir que la divulgation publique des fichiers internes du FBI – y compris « les rapports d’entrevue, les dossiers téléphoniques et bancaires, les documents de déclaration de source et les informations du gouvernement étranger » – révèlerait des sources et des méthodes de renseignement de collecte et entraverait la volonté des gouvernements étrangers d’aider le FBI dans les cas sensibles.
Mais alors que la déclaration de 40 pages de Jill Sanborn masque le nom du responsable saoudien dans la plupart des cas, une incohérence a été constatée cette semaine par un journaliste de Yahoo News.
« Dans une partie décrivant les documents exigés par les avocats des familles des victimes du 11 septembre, Sanborn fait référence à un rapport du FBI de 2012 partiellement déclassifié concernant une enquête sur les liens possibles entre les terroristes d’al-Qaïda et les responsables du gouvernement saoudien », poursuit Yahoo News.
Cette enquête, dont l’existence n’est devenue publique que depuis quelques années, portait initialement sur deux personnes : Fahad al-Thoumairy, fonctionnaire des Affaires islamiques saoudiennes et religieux radical qui fut imam de la mosquée du roi Fahd à Los Angeles, et Omar al-Bayoumi, un agent présumé du gouvernement saoudien qui a aidé deux terroristes, Khalid al-Mihdhar et Nawaf al-Hazmi, ayant participé au détournement de l’avion d’American Airlines qui s’est envolé pour le Pentagone, tuant 125 personnes, explique Yahoo News.
« Une fois que les deux pirates de l’air se sont envolés pour Los Angeles le 15 janvier 2000, al-Bayoumi leur a trouvé un appartement, leur a prêté de l’argent et les a installés avec des comptes bancaires. »
Le mystérieux « troisième homme »
Une copie expurgée d’une « mise à jour » du FBI de trois pages et demie datant d’octobre 2012 sur l’enquête indiquait que des agents du FBI avaient découvert des « preuves » que Thumairy et Bayoumi avaient été « chargés » d’aider les pirates de l’air par une autre personne anonymisée, ce qui a incité les avocats des familles à désigner cette personne comme « le troisième homme » dans ce qu’ils affirment être une conspiration orchestrée par l’Arabie saoudite.
Et c’est l’identité de ce « troisième homme » qui a été révélée accidentellement par les avocats du FBI : Mussaed Ahmed al-Jarrah, un fonctionnaire de niveau intermédiaire du ministère saoudien des Affaires étrangères affecté à l’ambassade saoudienne à Washington en 1999 et en 2000.
« Jarrah est sur l’écran radar des avocats des familles des victimes du 11 septembre depuis un certain temps »
- Michael Isikoff, journaliste au Yahoo News
« Ses fonctions incluaient apparemment la supervision des activités des employés du ministère des Affaires islamiques au sein des mosquées et des centres islamiques aux États-Unis financés par l’Arabie saoudite. »
« Jarrah est sur l’écran radar des avocats des familles des victimes du 11 septembre depuis un certain temps et fait partie des neuf fonctionnaires saoudiens actuels ou anciens qui, selon eux, détiennent des informations importantes sur l’affaire », rapporte Yahoo News.
Jarrah « était responsable du placement des employés du ministère des Affaires islamiques connus sous le nom de guides et propagateurs postés aux États-Unis, y compris Fahad al-Thumairy », selon une déclaration distincte de Catherine Hunt, ex-agent du FBI basée à Los Angeles, qui a aidé les familles dans l’affaire.
Hunt a mené sa propre enquête sur le soutien apporté aux pirates de l’air en Californie du Sud. « Le FBI croyait qu’al-Jarrah soutenait al-Thumairy pendant l’enquête du 11 septembre », a-t-elle déclaré dans sa déclaration.
« La déclaration de Sanborn représente la première confirmation publique que le soi-disant ‘’troisième homme’’ mentionné dans le rapport de 2012 était en fait un diplomate saoudien accrédité. Mais toutes les preuves du FBI que les agents avaient rassemblées sur Jarrah et ses communications sur les pirates de l’air restent sous scellés », affirme Yahoo News.
Les faux-engagements de Trump
Les agents du FBI auraient-ils la possibilité d’interroger et de confronter Jarrah ? « Il n’y avait aucune raison de croire que les Saoudiens nous donneraient accès à lui », a déclaré à Yahoo News un ancien responsable du FBI.
Le 11 septembre 2019, un groupe de familles, leurs avocats et deux des anciens agents qui les aidaient ont rencontré le président Donald Trump à la Maison-Blanche et ont exprimé leurs préoccupations quant à leur manque d’accès aux documents.
« Nous lui avons dit : ‘’S’il vous plaît, Monsieur le Président, aidez-nous, veuillez déclassifier les documents. Notre gouvernement a dissimulé le rôle de l’Arabie saoudite’’. Trump était réceptif et a même été motivé après avoir été informé que parmi ceux qui avaient résisté à la divulgation dans le passé figuraient les anciens directeurs du FBI, Robert Mueller et James Comey. Trump a dit à un moment donné qu’ils étaient des ‘’racailles’’ et a juré d’aider les familles », rappelle Yahoo News.
Mais le lendemain, le 12 septembre, les avocats du ministère de la Justice ont donné aux familles l’identité du troisième homme – à condition qu’elles ne puissent pas la divulguer publiquement. Et le même jour, Barr a déposé sa première requête auprès du tribunal déclarant tous les éléments recherchés par les familles comme des « secrets d’État » qui ne pouvaient pas être partagés.
« Nous avons senti que nous avions été poignardés dans le dos », a confié à Yahoo News Brett Eagleson, porte-parole des familles des victimes du 11 septembre.
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